Ce mardi 13 mai, le discours sur l’état de la nation marquera un moment clé: Luc Frieden dressera un bilan d’étape de l’action gouvernementale et – surtout – dévoilera ses grandes priorités pour les mois à venir. À cette occasion, l’économiste Jean-Baptiste Nivet, de la Fondation Idea, livre son analyse de la politique budgétaire et fiscale menée par l’exécutif luxembourgeois depuis le début de la législature.
«Le cœur de la stratégie gouvernementale est de relancer la machine économique», rappelle-t-il en préambule. «Le gouvernement a affiché une orientation très claire dès le départ: il mise sur une politique économique centrée sur la croissance. Cela se traduit par un ensemble de mesures fiscales et budgétaires visant à renforcer l’attractivité du pays et sa compétitivité et à stimuler l’activité économique.»
Quel est votre bilan de la mise en œuvre des engagements pris par le gouvernement dans le domaine des finances publiques et de la fiscalité?
Jean-Baptiste Nivet. – «L’accord de coalition mentionne quatre axes principaux. Le gouvernement les a respectés.
D’abord, le soutien au pouvoir d’achat. Le crédit d’impôt SSM constitue une mesure phare en faveur des personnes à revenu modeste, tandis que des baisses d’impôt sur les personnes physiques bénéficient à l’ensemble de la population. Cela dit, l’effet macroéconomique global de ces mesures est difficile à évaluer à ce stade, surtout dans le contexte économique complexe que nous traversons.
Deuxième axe: maintenir un niveau élevé d’investissement public. On parle ici d’un effort situé entre 4,8% et 5% du PIB d’ici 2025, contre moins de 4% en moyenne entre 2012 et 2018. Cela marque un retour aux niveaux des années 2000. Les investissements sont répartis sur plusieurs secteurs: infrastructures, santé, éducation, environnement, sécurité… C’est un effort important qui témoigne d’une volonté claire.
Troisième pilier: renforcer la compétitivité, notamment en matière fiscale et d’attractivité des talents. Le en est un bon exemple, de même que les baisses d’impôt décidées.
Enfin, en matière de logement, l’objectif est de créer un cadre plus favorable à la construction. Dans ce domaine structurant, on est encore dans une logique de gestion de crise.
L’accord de coalition reste assez peu précis sur les finances publiques. Pourquoi?
«Effectivement, il ne fixe pas d’objectif chiffré clair. Contrairement au gouvernement précédent, qui évoquait un plafond de dette publique à 30% du PIB, cette coalition ne l’a pas repris, même si elle respecte encore ce seuil pour l’instant, du moins jusqu’en 2028.
Cela peut s’expliquer par le contexte européen: les règles de surveillance budgétaire sont en pleine révision. On réfléchit à de nouveaux indicateurs, à une nouvelle manière d’apprécier la soutenabilité budgétaire. Dans ce cadre mouvant, il peut sembler prématuré de se fixer des cibles trop rigides au niveau national.
Le niveau des dépenses publiques reste élevé depuis la crise du Covid.
Ce que l’accord met en avant, c’est surtout le maintien du triple A…
«Oui, c’est une priorité symbolique. Le Luxembourg est l’un des rares pays encore notés triple A par les principales agences. Ce maintien traduit la confiance dans la solidité financière du pays.
Mais cette confiance repose aussi sur des engagements implicites. Par exemple, si le Luxembourg n’avait pas annoncé de réforme des retraites, il n’est pas certain qu’il aurait conservé cette note. Ce genre de signal est important pour rassurer les marchés et les agences de notation.
Comment interprétez-vous l’objectif affiché d’une «politique budgétaire responsable et soutenable»?
«Il faut distinguer deux temporalités, marquées par deux dynamiques négatives. À court terme, le gouvernement semble viser une résorption progressive du déficit hérité des crises récentes. Il ne s’est, en tout cas, pas engagé à être en excédent dans trois ou quatre ans. Il ne se focalise manifestement pas sur le niveau du déficit, mais plutôt sur la croissance du PIB.
Sur le moyen et long terme, le principal défi reste le vieillissement de la population, qui affecte aussi bien les retraites que la santé. La réforme des pensions annoncée constitue donc un levier central pour préserver la soutenabilité budgétaire.
Les récentes statistiques Eurostat des finances publiques permettent de . Que disent-elles de l’orientation budgétaire actuelle?
«Pas grand-chose. Ces chiffres sont trop agrégés pour tirer des conclusions précises. Les effets des décisions récentes se noient dans la masse des dépenses et des recettes. Il y a eu des suppressions et des ajouts d’aides, des effets conjoncturels... Le signal est brouillé.
On voit cependant que le niveau des dépenses publiques reste élevé depuis la crise du Covid. On est passé d’environ 40% du PIB en 2016 à près de 47% en 2020, et les projections restent autour de 50% jusqu’en 2028. Ce bond structurel s’est installé durablement.
En 2024, les impôts directs – notamment les impôts sur les traitements et salaires – . Cela contredit-il les engagements en faveur du pouvoir d’achat?
«Pas nécessairement. Ces hausses ne viennent pas forcément des ménages. Au Luxembourg, c’est une constante, une part importante des recettes fiscales provient des entreprises, parfois sous forme de recettes exceptionnelles. Donc une augmentation globale des recettes ne signifie pas forcément une pression accrue sur la population. Il faut analyser plus finement les sources de ces recettes avant de tirer des conclusions.
Le Luxembourg a historiquement fait bénéficier sa population de sa prospérité.
Avec un excédent, l’État pourrait-il envisager un «retour» direct aux citoyens?
«C’est possible, mais ce n’est probablement pas la priorité actuelle. Il est plus probable que des excédents éventuels soient utilisés pour prolonger les dispositifs existants, ou qu’ils soient réinvestis dans des secteurs structurants comme le logement, la diversification économique ou la transition écologique et numérique.
Cela dit, il faut replacer la question dans le contexte luxembourgeois. Le Luxembourg est un pays qui a historiquement fait bénéficier sa population de sa prospérité, que ce soit par des prestations sociales, des politiques familiales ou des services publics. La réforme des retraites de 2002, extrêmement favorable aux pensionnés, en est un bon exemple. Ce partage de la richesse est une constante du modèle luxembourgeois, qui s’applique aussi aux frontaliers.
, liquide, qui permettrait à l’État d’intervenir rapidement en cas de choc concurrentiel ou de besoin stratégique. Qu’en pensez-vous?
«C’est une idée défendable, surtout dans un petit pays exposé à des cycles économiques rapides. Mais dans le contexte actuel, je préfère qu’on investisse directement dans des politiques qui renforcent l’économie et limitent les risques de crise, plutôt que de créer une réserve pour réagir après coup.
Un tel fonds pourrait aussi être utilisé à mauvais escient. L’exemple de la France avec la baisse du prix de l’essence montre les risques: des milliards dépensés pour une mesure peu ciblée. Quand on a de l’argent disponible, la tentation est grande de financer une mesure «populaire», mais pas forcément utile ou efficace. À mon sens, il y aura toujours une priorité plus urgente que de constituer un fonds de réserve.
Partagez-vous les sur la politique budgétaire du Luxembourg?
«Globalement, oui. L’appel à la prudence budgétaire est justifié. L’OCDE a raison de souligner les tensions futures sur les dépenses: retraites, transition écologique, défense…
Je suis également d’accord sur la suppression progressive des aides énergétiques, et sur le besoin de mieux cibler les politiques de logement. De même, l’idée d’augmenter la surtaxe sur les terrains inoccupés pour lutter contre la rétention foncière me paraît pertinente.
En revanche, une hausse de la TVA, comme le suggère l’OCDE, est difficilement conciliable avec une politique de soutien au pouvoir d’achat des ménages modestes.
Et sur les retraites?
«Nous partageons le diagnostic, mais pas forcément les solutions. L’OCDE . De notre côté, des personnes âgées de 60 ans. Concrètement, si cette espérance de vie évolue comme prévu, cela se traduirait par environ un mois de travail en plus par an. Cela permettrait une adaptation plus douce.»