Le système de protection sociale luxembourgeois, en général, et de pension en particulier, s’est construit en parallèle de la prospérité économique issue de la réussite industrielle, puis celle de la place financière, dans un contexte particulièrement porteur pour le marché du travail, avec un grand nombre de cotisants et peu de bénéficiaires de pensions. Système par répartition basé sur l’équité intergénérationnelle, le système de pensions est reconnu comme étant particulièrement généreux par rapport aux autres pays européens, tant en termes de montants que d’âge effectif de départ en retraite. Le Luxembourg est même aujourd’hui le seul pays de l’Union européenne où les résidents à la retraite ont des revenus supérieurs aux résidents qui travaillent.
Les Luxembourgeois sont, en grande majorité, très attachés au modèle social national et, par là même, au système de protection sociale mis en place pour garantir la solidarité au sein de la population: les électeurs luxembourgeois faisaient du risque de sortie de l’État providence l’une de leurs principales préoccupations dans le Politmonitor de novembre 2022. Ce modèle social est aussi considéré comme primordial pour les chefs d’entreprises qui ont placé la sécurité sociale et le système de pensions comme étant les deux plus grands atouts compétitifs du pays dans le Baromètre de l’économie de la Chambre de commerce de l’automne 2022.
Nier l’insoutenabilité du système de pension, à terme et en absence de nouvelles réformes, risque de placer le Luxembourg au pied du mur, avec des marges de manœuvre limitées engendrant des réformes potentiellement plus douloureuses économiquement et socialement.
Mais le financement de ce système à plus ou moins long terme est à présent considéré comme un défi, sachant que les conditions avantageuses dans lesquelles il a été mis en place s’estompent, avec une croissance économique impactée durablement par les différentes crises et un vieillissement de la population qui intervertit le rapport entre cotisants et pensionnés. Selon les plus récentes données de l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) [1], le déséquilibre entre recettes et dépenses de pensions est annoncé dès l’année 2027, et l’épuisement de la réserve de compensation à l’horizon 2047. Même si les projections sont par nature incertaines, se basent sur des hypothèses et peuvent faire l’objet de révisions, le système de pensions est sous pression. Nier son insoutenabilité, à terme et en absence de nouvelles réformes, risque de placer le Luxembourg au pied du mur, avec des marges de manœuvre limitées engendrant des réformes potentiellement plus douloureuses économiquement et socialement.
Or, comme le rappelle très justement Idea dans son idée du mois n°19 «Pensons pensions», la soutenabilité est une condition nécessaire d’un système par répartition dont la pertinence repose sur le contrat de confiance entre les générations et sur la promesse que les actifs trouveront au moment de leur retraite – après avoir financé les retraites passées – un régime encore viable pour eux-mêmes.
Mais dessiner les réformes nécessaires et définir leur horizon temporel sont deux éléments particulièrement difficiles, car cela nécessite de faire des hypothèses (sur la démographie, sur le taux de croissance de l’emploi et de la productivité, sur la législation sociale, etc.). Selon la Chambre de commerce, toute réforme du système de pensions doit cependant répondre à cinq principes qui en garantiront la réussite:
1. Assurer la soutenabilité à terme du système et le respect de l’équité intergénérationnelle
2. Déterminer les prestations en fonction des ressources financières disponibles
3. Sauvegarder, voire renforcer le caractère social du régime
4. Veiller à ce que toute prestation soit générée par une cotisation
5. Maintenir la compétitivité de l’économie luxembourgeoise
Ainsi, en vertu du principe 4, et comme pour tout budget équilibré, il s’agira soit d’agir sur les dépenses, soit sur les recettes.
S’agissant des dépenses, une altération des majorations ne concerne que les pensions nouvelles et ne se manifestera donc que progressivement au niveau des dépenses pour pensions, ayant comme corolaire un impact substantiel relatif au niveau de vie des cohortes concernées, allant à l’encontre de l’équité intergénérationnelle.
Une augmentation du taux de cotisation de plus de dix points de pourcentage impacterait immédiatement et simultanément le pouvoir d’achat des salariés actifs, le coût salarial des employeurs, et donc leur compétitivité, et les finances publiques.
S’agissant des recettes, une hausse pure et simple du taux de cotisation ne semble pas être la solution idoine, car elle serait en directe contradiction avec le principe 5. À en croire des simulations de l’IGSS, le taux de cotisation global devrait être porté à 35,1% (au lieu des actuels 24%), en complément d’autres mesures touchant le modérateur de réajustement [2] et l’allocation de fin d’année, afin que la réserve ne tombe pas en dessous du seuil légal [3] avant 2070. Une telle augmentation du taux de cotisation de plus de dix points de pourcentage impacterait immédiatement et simultanément le pouvoir d’achat des salariés actifs, le coût salarial des employeurs, et donc leur compétitivité, et les finances publiques.
La prolongation de la vie active au-delà de 65 ans n’entraîne pas à elle seule non plus une viabilité financière du régime, selon le rapport 2022 de l’IGSS, vu que ce n’est pas moins qu’une augmentation instantanée de trois ans des conditions d’âge à remplir pour l’éligibilité à une pension de vieillesse ou une pension de vieillesse anticipée qu’il faudrait appliquer, mais aussi une réduction du taux des majorations proportionnelles, ainsi qu’une hausse du taux de cotisation. Car une augmentation des âges de départ à la retraite conduit à une diminution du temps moyen passé en retraite, et ainsi à une réduction du coût des pensions de vieillesse. Cet effet est toutefois contrebalancé par une prolongation des carrières d’assurance qui, à son tour, provoque un accroissement des montants moyens de pension. La réduction du fossé entre l’âge légal (65 ans) et l’âge effectif de retraite (61 ans) pourrait cependant être encouragée, via des politiques en faveur du vieillissement actif et de l’emploi des seniors. D’importants progrès sont à accomplir pour un meilleur upskilling/reskilling des seniors dans le contexte de transition digitale et d’évolution des compétences.
Tendre vers une croissance qualitative, non gourmande en emploi, ni en consommation environnementale, reposant sur la matière grise et l’accroissement de la productivité, doit être l’objectif.
La question se pose dès lors des mesures à privilégier. Outre la réforme proposée par Idea, la Chambre de commerce estime que le maintien d’un système de pension se caractérisant par une redistribution soutenable financièrement et équitable entre générations passera par une hausse de la productivité, qui est atone depuis de nombreuses années au Luxembourg.
En effet, les recettes du régime dépendent de la masse cotisable, qui progresse en fonction du marché de l’emploi, des salaires réels (productivité du travail) et de l’inflation. Si une forte évolution des actifs, et donc des cotisants, permettrait de générer davantage de recettes, il faudrait [4], selon l’IGSS, 1.715.000 assurés en 2070, tranchant ainsi substantiellement avec les 605.000 assurés projetés pour ce même horizon dans le scénario de base. En laissant imaginer les impacts sur le marché du logement et la mobilité… De plus, cet atout d’aujourd’hui que représente une forte évolution des cotisants, représente en même temps les risques de demain, parce que les nombreux cotisants d’aujourd’hui deviendront de toute évidence les pensionnés de demain. Le problème ne serait alors que déplacé.
Dès lors, tendre vers une croissance qualitative, non gourmande en emploi, ni en consommation environnementale, reposant sur la matière grise et l’accroissement de la productivité, doit être l’objectif, et ce afin de conserver à son niveau actuel le taux de cotisation, véritable facteur de compétitivité du pays. Cette croissance est cependant plus facile à souhaiter qu’à réaliser dans les faits.
*Christel Chatelain est directrice des affaires économiques à la Chambre de commerce.
[1] IGSS, Bilan technique du régime général d’assurance pension 2022
[2] Facteur déterminant le rythme d’ajustement des pensions en cours à l’évolution «ambiante» des salaires réels.
[3] L’article 238 du Code de la sécurité sociale impose que la réserve de compensation du régime général d’assurance pension reste supérieure à 1,5 fois le montant des prestations annuelles.
[4] Condition pour que la réserve de compensation du régime général d’assurance pension reste supérieure à 1,5 fois le montant des prestations annuelles, comme prévu par l’article 238 du Code de la sécurité sociale.