Les patrons des clubs professionnels du football français vont encore passer pour… des amateurs. Dimanche – 14-Juillet en France – leurs dirigeants à la tête de Filiale LFP 1 (créé ad hoc en 2022 pour gérer les droits du football français) et de la Ligue ont signé un deal à 500 millions d’euros avec DAZN – qu’on présente comme le Netflix du football – et BeIN. La plateforme britannique s’engagerait à mettre 400 millions d’euros en moyenne par saison pour huit matches sur neuf, en incluant les droits du quasi-direct qui étaient jusqu’à présent la propriété de Free. Selon RMC Sport, l’abonnement coûterait de 30 à 35 euros. Le neuvième et dernier match de chaque journée (la meilleure affiche et le deuxième choix en alternance une semaine sur deux, hors top 10) sera diffusé sur beIN Sports, contre 100 millions d’euros par an, selon RMC Sport et L’Équipe.
Problèmes: seul le comité de supervision de cinq membres (trois membres de la Ligue, le président de la Fédération française de football ou son représentant et les deux membres de CVC, Jean-Christophe Germani, et son associé Édouard Conques) peuvent valider des deals de cette nature, que ce soit des investissements, des crédits ou des décisions qui engagent Filiale LFP 1; ensuite la hauteur du deal est très éloignée du plan d’affaire dont MM. Germani et Conques ont été invités à parler, le 20 juin dernier, devant la commission d’enquête du Sénat français sur la financiarisation du football français, 1,11 milliard d’euros.
Une valorisation attendue à trois milliards avant une «sortie»
Avant cet aimable coup de poignard dans le dos, M. Germani s’était dit «enthousiasmé par ce projet». En 2022, en plein fiasco MediaPro et alors que les clubs avaient besoin d’argent pour éviter la faillite, la Ligue française de football avait accepté de céder 13% du capital d’une filiale dédiée aux droits, sans limitation de durée, contre 1,5 milliard d’euros d’argent frais. Un milliard d’euro avait été payé avant l’audition des deux représentants de CVC pour plus de 9% via une société créée spécialement Renaissance Investissement – elle-même détenue à 100% par Renaissance Luxembourg – et ils s’apprêtaient à verser les 500 millions d’euros promis pour monter à 13,04%.
À ses investisseurs, avait dit M. Germani du bout des lèvres, CVC promet de faire fois deux en six à sept ans. Donc de revendre ces 13,04% à terme pour trois milliards d’euros, «terme» étant généralement chez CVC de six à sept ans, mais comme le football français ne déclenche pas tout à fait les passions chez les fonds d’investissement, il n’est pas exclu que la durée de détention des parts aille plus loin. Difficile de préciser aujourd’hui ce qu’il adviendra de cette aventure.
Ce mardi après-midi, avec ce nouveau fiasco, les présidents de 16 des 18 clubs de Ligue 1 (le Collège de Ligue 1 représenté par Jean-Pierre Caillot et Jean-Pierre Rivère, et Foot Unis, syndicat des employeurs du football professionnel, représenté par Laurent Nicollin), sauf Lens et Lyon, ont demandé un audit de la société Filiale LFP1 que tout le monde appelle «LFP Media», et de la Ligue professionnelle de football, devant «des résultats ne sont pas au niveau des investissements consentis», peut-on y lire.
Un gros écart avec le plan d’affaires
Techniquement, avait rappelé le managing partner de CVC à la commission d’enquête, quand les résultats s’éloignent de plus de 25% du plan d’affaires, il est possible d’obtenir la révocation des dirigeants. «Mais nous n’avons pas l’intention de demander. C’est une chose de pouvoir le faire et une autre de le faire», avait ajouté M. Conques.
Les deux hommes étaient même venus dire qu’ils ne s’attendaient pas à ce que les premiers résultats soient mirobolants. «C’est le risque que nous avons pris. Si pendant une période donnée, les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions que les clubs se sont fixées, cela nous impactera à hauteur de notre quote-part, c’est tout. Il est beaucoup trop tôt pour tirer le bilan. Nous restons très engagés, y compris dans les moments difficiles, au côté des clubs et de la Ligue», assurait M. Germani.
«Était-il légitime de revoir notre stratégie à la lueur d’un contexte difficile? Non», avait-il à la fois questionné et répondu.
Difficile de croire que ce gestionnaire de fonds, rodé aux subtilités du monde sportif, ait durablement changé d’avis malgré la décision de dimanche dont il a été évincé. Liga espagnole, WTA (tennis féminin), rugby: CVC a 125 sociétés ou projets dans son portefeuille d’investissement et gère 193 milliards d’euros d’investissement. Un coup de gueule, probablement. Un peu de défiance, aussi. Mais rien de plus.
«Le casse du siècle», selon un artisan de la débâcle MediaPro
«Pour le football français, c’est le casse du siècle. L’écrasante majorité des clubs n’a pas compris comment cela s’est déroulé. Tout a été fait dans la plus grande opacité», avait critiqué le président du Havre, Jean-Michel Roussier [directeur conseil délégué sur l’antenne et des programmes, mais également sur les droits TV de MediaPro, en pleine déconfiture en 2021, ndlr.] au cours d’une autre session de la commission d’enquête, dénonçant le contexte dans lequel le business plan a été conclu: «CVC a profité d’une extraordinaire dégradation du football français à la suite de l’éviction de Mediapro», dans un contexte également de crise Covid qui a plongé les clubs dans une grande difficulté financière.
Sur le milliard offert par le groupe à l’époque, il reconnaît sur Sénat.fr «une bascule dans la surenchère: on arrive à ce total que personne n’attendait, qui illumine tout le monde, on dépasse un milliard, c’était un accident, le championnat ne le valait pas du tout», y assure-t-il. «Le business plan était compliqué sur des aspects de distribution sans aucun doute. Sur une durée de trois-quatre ans, il était possible d’arriver au montant envisagé par les équipes de Mediapro en Espagne». Le président du HAC (Le Havre) juge le «business plan optimiste mais pas irréalisable».