La Bourse de Luxembourg avait choisi comme thème de la jeudi 23 mai: «It’s not just climate change, it’s everything change!»
Nous y avons rencontré Isabelle Durant, secrétaire générale adjointe de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) depuis 2017, et auparavant vice-présidente du Parlement européen, et vice-Première ministre de la Belgique.
Elle livre sa vision du rôle de la finance dans l’atteinte, d’ici à 2030, des 17 objectifs du développement durable (ODD ou SDG) fixés par les Nations unies en 2015.
Quel est votre message principal à l’attention des acteurs de la finance?
Isabelle Durant. - «Nous essayons de travailler sur la mobilisation de moyens financiers pour des objectifs verts, au sens des 17 objectifs du développement durable des Nations unies, et pour lesquels l’argent public ne suffira jamais pour les mettre en œuvre.
Étant donné les sommes investies par différents fonds, il est évident que davantage de moyens pourraient être mobilisés par la finance sur de grands projets, en matière d’énergie, de transport, d’isolation des bâtiments, d’épuration des eaux ou de progrès social.
Car il n’y a pas de progrès environnemental sans progrès social. Il y aurait ainsi moyen de faire avancer des projets concrets, dans l’UE et les pays développés, mais aussi, et surtout, dans les pays en développement.
La finance peut-elle vraiment changer le monde?
«Elle devrait. Elle doit. Mais elle n’a pas toujours fait ce qu’elle devait. Et je ne suis d’ailleurs pas sûre que nous soyons à l’abri de nouveaux agissements de même nature que ceux qui ont mené à la crise de 2008. À l’échelle mondiale, on ne peut pas dire que le milieu soit totalement assaini.
Mon message principal consiste à dire qu’il faut revenir à un autre type de croissance et investir vraiment dans l’économie réelle. Il faut arrêter cette course effrénée aux bénéfices immédiats et aux dividendes des actionnaires.
Les investisseurs sont ceux qui peuvent, à un moment donné, privilégier certains types d’investissement.
Il faut, par exemple, investir de manière beaucoup plus déconcentrée pour essayer de faire grandir des start-up qui résolvent des problématiques locales spécifiques, dans les domaines qui répondent aux ODD. Les investisseurs sont ceux qui peuvent, à un moment donné, privilégier certains types d’investissement. Il faut notamment arrêter d’investir dans les énergies fossiles. Ce n’est pas raisonnable!
Que préconisez-vous?
«Cela demande un autre regard de la part de la finance. L’investissement privé est indispensable, mais avec des investisseurs qui acceptent de revoir leur copie dans les choix qu’ils font.
Tout cela demande une réforme profonde dans la façon dont on produit et dont on finance la production. Cela requiert une énorme remise en question de tous les acteurs économiques et une révision en profondeur de notre modèle global de développement.
Les acteurs de la finance peuvent, en tous cas, faire beaucoup mieux que ce qu’ils font aujourd’hui. Et de manière plus structurelle, plus forte, plus puissante, car ils ont une force de frappe gigantesque!
Or, ce que certaines banques proposent est parfois ridicule: par exemple, lorsqu’elles poussent à investir dans les activités considérées comme durables de certaines multinationales, alors que le reste de leurs activités vont à l’encontre des principes de développement durable.
Mettre en avant la branche développement durable qui sert de petit cache-sexe vert à une grande entreprise, ce n’est pas sérieux. Le packaging, ça ne va pas.
Si le secteur financier se certifie lui-même, il risque de perdre en crédibilité.
La certification ou labellisation de produits financiers va-t-elle dans le bon sens?
«Le problème de la certification est le suivant: qui certifie et quels sont les critères retenus pour certifier? On a tout intérêt à avoir une hétéro-certification, c’est-à-dire que ce soit des personnes hors du secteur qui délivrent les certifications. Sinon, si le secteur financier se certifie lui-même, il risque de perdre en crédibilité. Si l’on passe par une certification, il faut être sérieux dans sa mise en œuvre.
Le quotidien britannique The Guardian a annoncé la modification de son code stylistique. Ses journalistes écriront désormais «urgence» ou «crise climatique» au lieu de «changement climatique», ou encore «surchauffe» à la place de «réchauffement». Qu’en pensez-vous?
«Ils ont raison, quand on dit ‘réchauffement’, certains se disent: ‘c’est bien le réchauffement, on va consommer moins d’énergie!’
Employer les mots justes pour augmenter la prise de conscience est une très bonne idée.
Et les nouvelles générations nous poussent à ça dans tous les domaines. On ne peut pas, en tant que financiers, politiques, Nations unies, journalistes, rester figés dans un modèle antérieur. Il faut que chacun fasse vraiment sa part pour faire bouger les lignes.»