Papiers s’il vous plaît. À partir du 1er janvier prochain, il sera indispensable de montrer patte blanche si l’on souhaite continuer à être destinataire de prospectus promotionnels. Seules les boîtes aux lettres identifiées par un sticker «Oui Pub» seront approvisionnées. Pour les autres, fin de partie. La distribution systématique des folders vit ses derniers jours, comme réclamé par une directive européenne transcrite au Luxembourg qui prononce son interdiction.
Pour le consommateur, il s’agit d’un changement notable car jusqu’alors il fallait apposer un autre autocollant, «Keng Reklammen! weg», pour éviter de retrouver son courrier noyé sous des liasses anarchiques de publicités. En moyenne, chaque boîte aux lettres était susceptible d’accueillir jusqu’à 800 dépliants dans l’année. Pour un total de 100 millions d’unités ventilées dans le pays.
Premières conséquences
Ce chiffre est appelé à fondre de manière drastique quand on sait qu’à peine 97.700 foyers (sur les plus de 275.000 dans le pays) n’utilisent pas la signalétique anti-pub, selon une estimation de Post Luxembourg. Sans attendre son entrée en vigueur, la loi déchets a, du reste, eu de premières conséquences, à l’image de l’arrêt de la diffusion de la société Infomail SA (1,21 million de chiffre d’affaires en 2022), dans la foulée du vote. Créée en 1997, la joint-venture entre Mediahuis et Post distribuait chaque semaine sous blister des folders atteignant une audience moyenne de 177.800 lecteurs, d’après l’étude Plurimedia 2022 réalisée par TNS Irles et Kantar Belgium. La fin d’i-mail a entraîné la fermeture annoncée de l’imprimerie de Gasperich, dont les rotatives fabriquent le «Luxemburger Wort» et «Contacto».
L’activité de Post Luxembourg s’en ressentira également. «Les imprimés publicitaires sont distribués par les facteurs lors de leur tournée habituelle. En raison de la baisse continue du volume de courrier, ces tournées sont systématiquement optimisées, et les variations du volume d’imprimés publicitaires sont prises en compte», indique l’opérateur de services postaux, qui en attendant de connaître le nombre exact de résidents d’accord pour recevoir des pubs se refuse à toute prévision quant au manque à gagner possible.
Le retail déjà prêt
Gros consommateur de folders, le retail se plie de bonne grâce aux exigences du législateur. «Cela reste évidemment un challenge au niveau commercial, mais c’est une transition nécessaire», admet-on chez Delhaize (une vingtaine de prospectus par an, écoulés à 136.000 exemplaires). «L’arrêt de la distribution des folders était nécessaire en raison de l’impact environnemental et du gaspillage, car malheureusement, un grand nombre de ces prospectus étaient jetés par les consommateurs», souligne Auchan Luxembourg (environ 70 catalogues par an produits à 100.000 exemplaires chacun).
«Globalement, nous ne devrions pas être directement impactés par cette nouvelle mesure», affirme Colruyt Luxembourg, qui avait effectué de premières démarches. «Notre publicité se veut la moins invasive possible, c’est pourquoi nos dépliants sont adressés. Les clients ne les reçoivent que s’ils en font la demande», explique le groupe belge. Depuis un an et demi, chacun se prépare à cette bascule. «Nous avons testé et testons encore différentes alternatives au format toutes-boîtes», indique Delhaize, pour qui «les retours sont positifs et très concluants».
Applis, QR codes, WhatsApp…
L’anticipation a été la règle ces derniers mois. À l’image d’Aldi, le premier détaillant au Luxembourg à avoir habillé ses emballages de QR codes donnant accès à la version numérique de ses folders. Depuis peu, ses publications hebdomadaires sont également disponibles sur WhatsApp. «Au cours de l’année écoulée, les consultations ont augmenté de plus de la moitié. C’est et cela restera un outil de communication important.» «La conjoncture actuelle renforce même cette popularité, avec une attention toujours plus forte portée sur les prix», complète Colruyt. «Les folders sont une source d’info sur les promotions en cours. Ils inspirent les clients et les informent sur les nouveaux produits.»
Pour sa part, dès mars de l’année dernière, Cactus s’était donné «six mois» pour passer à une «politique de communication réduisant la consommation de papier d’au moins 50% dans un premier temps, et encore bien plus dans les mois à venir». L’enseigne luxembourgeoise, qui entend «switcher vers une communication digitale moderne, efficace et responsable», s’appuie pour ce faire sur un site internet récemment toiletté ainsi que sur son partenariat avec Biscuit, une appli pionnière au Luxembourg qui compile au format numérique les prospectus d’une quarantaine de clients. , Biscuit revendique 120.000 utilisateurs.
«À l’avenir, les consommateurs pourront accéder aux folders de notre enseigne via divers canaux: notre site internet et sa liseuse interactive, notre application mobile, notre site e-commerce, ainsi que sur des applications partenaires», détaille Auchan. Même stratégie chez Colruyt, au travers de l’inscription au programme de fidélité Xtra. «Cette app ambitionne de devenir l’assistant personnel de nos clients», résume-t-on.
Datas et «bonheur» digital
De là à imaginer que la loi déchets signe la mort à court terme des catalogues imprimés, il y a un pas que tout le monde ne franchit pas (encore?). «Il ressort de nos analyses internes, confirmées par une étude indépendante, que les dépliants papier restent très populaires auprès de nos clients», affirme Colruyt. «Leur tirage augmente au fur et à mesure de l’augmentation d’inscriptions au programme Xtra.» Pour autant, les prospectus à l’ancienne semblent avoir fait leur temps. «Si la transition digitale se fait correctement, vous n’ouvrirez plus de folders. Vous aurez directement accès aux produits connexes avec ce dont vous avez envie», anticipe le cofondateur et cogérant de l’appli Biscuit, Roman Salvi, un «ex» de la grande distribution (Aldi), au même titre que son associé Loris Beaumont (Orchestra).
«Pour le moment, on prend les folders distribués jusqu’ici dans les boîtes aux lettres et on les diffuse différemment. Mais si demain les enseignes ne peuvent plus distribuer, elles vont arrêter d’en fabriquer pour basculer vers un autre format», poursuit Roman Salvi, convaincu que le numérique servira les intérêts du retail. «Le Luxembourg n’est pas du tout le pays du couponing, jusque-là on avait du mal à savoir ce qui fonctionnait réellement et ce qui ne fonctionnait pas, on n’avait aucune data sur ce que l’on envoyait et sur nos actions. Le digital, par comparaison, c’est le bonheur en termes de données expérientielles: vous avez tourné toutes les pages, vous avez passé tant de temps sur telle page, vous êtes revenu sur tel produit, vous l’avez consulté à tel moment… Cela sert à prendre des décisions stratégiques.» Deux applis supplémentaires, Woodee et Reklamm, ont vu le jour plus dernièrement.
Question budget, «l’arrêt de l’impression nous offre l’opportunité de réaffecter [les sommes engagées] vers d’autres canaux médiatiques», renseigne Auchan. «Le budget création est maintenu et les coûts d’impression et de distribution seront investis dans d’autres médias», conclut Delhaize. Pour l’imprimé, une page se tourne.