Les enfants n’étant plus rattachés à leur parent frontalier au niveau de la sécurité sociale française, ils ne pouvaient plus non plus être affiliés à la CNS, ce qui change désormais avec la mesure dérogatoire mise en place par la CNAM française. (Photo: Photomontage Christophe Lemaire/Maison Moderne)

Les enfants n’étant plus rattachés à leur parent frontalier au niveau de la sécurité sociale française, ils ne pouvaient plus non plus être affiliés à la CNS, ce qui change désormais avec la mesure dérogatoire mise en place par la CNAM française. (Photo: Photomontage Christophe Lemaire/Maison Moderne)

Au regard de la sécurité sociale, un enfant dont un seul des deux parents est travailleur frontalier, est rattaché au parent qui travaille dans le pays de résidence. Cette règle fixée par un règlement européen posait problème en cas de séparation, mais la France a désormais mis en place une mesure dérogatoire. 

«Suite à votre demande, je vous informe que votre fille est désormais rattachée à votre dossier.» C’est par ces mots écrits d’un conseiller de la CPAM (Caisse primaire d’allocation maladie) Moselle que Pierre* a eu la confirmation, au début du mois d’octobre, qu’il pouvait à nouveau emmener sa fille chez le médecin et être remboursé par la Sécurité sociale française. Car ce papa frontalier travaillant au Luxembourg et séparé de la mère de sa fille depuis plusieurs années, avait appris en 2019 que sa fille n’était plus rattachée à lui en sa qualité d’ayant droit.

La raison? En application des dispositions de l’article 32 du règlement CE n° 883/2004, «un enfant dont seul l’un des deux parents à la qualité de travailleur frontalier est rattaché en sa qualité d’ayant droit au parent qui exerce son activité professionnelle salariée ou non-salariée dans le pays de résidence», explique Frédérique Wagner, responsable notamment du service des relations internationales à la caisse primaire de Moselle. En cas de séparation des parents, et lorsque seul un des deux parents est frontalier, cette règle s’applique également, et ce, qu’il s’agisse d’une garde totale, partielle ou alternée.

Plusieurs étapes successives

«De nombreux frontaliers se sont donc retrouvés coincés par ce règlement européen, car dès lors que leur enfant n’était plus rattaché à eux au niveau de leur sécurité sociale française, leur enfant ne pouvait pas non plus être affilié à la CNS, ni être sur la mutuelle du parent frontalier», confirme Julien Dauer, directeur de l’association Frontaliers Grand Est. La solution proposée pendant plusieurs années par la CPAM, aux frontaliers concernés, était d’emmener leur enfant chez le médecin, de payer la consultation, de demander une feuille de soins remplie avec le numéro de sécurité sociale de l’autre parent, d’envoyer la fiche de soins à la CPAM, sans oublier de joindre à la demande de remboursement une explication de la situation avec l’autre parent, son RIB et la facture.

«Sauf que de mon côté ça n’a jamais fonctionné, et qu’entre temps, l’autre parent était, lui, généralement remboursé», confie Céline*, mère frontalière de deux enfants, séparée depuis 2016 de son ex-compagnon. De nombreux frontaliers expliquent cependant que leurs enfants étaient bien sur leur carte vitale. Mais il semblerait que la CPAM se soit mise en conformité avec le règlement européen au niveau des dossiers entre 2018 et 2019, car c’est durant cette période qu’ils ont «perdu» le rattachement de leur(s) enfant(s), alors que leur divorce ou séparation étaient bien antérieurs. Une interrogation à laquelle ne peut pas répondre Mme Wagner «car j’ai intégré le service cette année donc je ne sais pas.»

123 contentieux en Moselle

La deuxième étape proposée par la Caisse française était d’aller en commission de recours amiable et d’échanger avec un conciliateur pour expliquer sa situation. Ce qu’ont fait Céline et Pierre, sans succès. «L’étape suivante était donc de lancer une procédure contre la CPAM devant la commission amiable du tribunal de grande instance de Metz», poursuit Céline qui a fait cette démarche en décembre 2018. Elle perd en première instance, mais fait appel de la décision, «je suis donc allée en cour d’appel, et j’ai gagné en 2021, mais la CPAM s’est pourvue en cassation», raconte la trentenaire. «Heureusement, comme le jugement en appel était exécutoire, j’ai pu retrouver mes enfants sur ma carte vitale en attendant la décision de la Cour de cassation, mais j’ai quand même dû attendre un certain temps».

Il est difficile de connaître le nombre exact de frontaliers qui sont allés jusqu’à porter plainte contre la CPAM pour obtenir gain de cause. Il y a notamment le cas de Charlotte, maman frontalière de deux enfants qui a aussi perdu leur rattachement sur sa carte vitale en 2019 et qui est allée devant le tribunal de grande instance à Metz. «J’ai gagné mais la CPAM a fait appel, puis s’est désistée et j’ai à nouveau pu avoir mes enfants rattachés à mon dossier en 2021.»

Le nombre de contentieux au niveau des services de la CPAM Moselle est, lui, connu: «on en recense 123 entre 2019 et début 2022. C’est face à ces contentieux, que certaines caisses départementales comme la nôtre ont fait remonter au niveau de la caisse nationale d’assurance maladie, que la décision a été prise de mettre en place cette mesure dérogatoire. Nous ne souhaitions pas qu’il y ait un renoncement des soins pour l’enfant, et les frontaliers travaillant au Luxembourg représentent 56% de nos flux», ajoute Frédérique Wagner. Publiée au second trimestre 2022 au sein du réseau de l’assurance maladie par la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie), cette décision permet désormais aux enfants de bénéficier d’un double rattachement dès lors que l’un des parents a le statut de travailleur frontalier, et quel que soit le mode de garde.

Aux frontaliers de se manifester

«Il faut fournir à sa CPAM départementale un jugement de divorce ou une attestation sur l’honneur en cas de séparation sans mariage, et un jugement de garde des enfants. Le parent frontalier remplit alors le document S3705, qui est la demande de rattachement des enfants mineurs à l’un ou aux deux parents assurés, auquel il joint le livret de famille», précise Frédérique Wagner. En théorie, à la confirmation du rattachement, celui-ci est «vérifiable» sur le compte ameli.fr (compte de sécurité sociale française) en une dizaine de jours, mais en pratique «il faut quelques fois relancer la caisse départementale car pour ma part, j’ai eu une confirmation que la législation avait changé au 10 août, et j’ai obtenu une réponse à mon courrier mi-septembre, m’expliquant que ma fille était bien rattachée. Sauf que ça n’a pas fonctionné et après une nouvelle relance, j’ai enfin retrouvé ma fille sur mon dossier de sécurité sociale début octobre», nuance Pierre.

Une mesure dérogatoire qui devrait donc faciliter la vie de nombreux parents séparés frontaliers français, mais qui pour le moment n’est pas encore connue de tous. Et les démarches ne sont pas automatisées, donc c’est aux parents de se manifester. La mise en place d’une telle dérogation montre aussi qu’une solution était possible pour que les parents frontaliers français séparés n’aient pas à réaliser des procédures juridiques comme certains l’ont fait, avec des dépenses d’avocat à leurs frais.

Aujourd’hui, le double rattachement est donc possible si les conditions suivantes sont réunies:

– les parents sont séparés,

– les deux parents résident en France,

– les deux parents sont actifs,

– l’un des parents est affilié en France et l’autre est affilié auprès d’un autre état de l’UE.

Un double rattachement pour deux parents frontaliers n’est cependant pas possible.

* les prénoms ont été modifiés.