Philippe-Emmanuel Partsch estime que la zone euro vient d'éviter l'implosion à court terme. (Photo: Arendt)

Philippe-Emmanuel Partsch estime que la zone euro vient d'éviter l'implosion à court terme. (Photo: Arendt)

Après deux jours de négociations serrées, les ministres des Finances européens se sont accordés sur un plan de sauvetage de plus de 500 millions d’euros le 9 avril. Avocat spécialisé en droit européen de la concurrence chez Arendt, Philippe-Emmanuel Partsch analyse les différentes mesures et jauge l’ambition européenne.

Comment analysez-vous la solution dégagée par l’Eurogroupe ce 9 avril?

. – «L’accord dégagé a été trouvé non pas (seulement) au sein de l’Eurogroupe (zone Euro), mais du Conseil de l’Union européenne, réunissant les ministres des Finances des 27 États membres. Même si les négociations ont été âpres, l’UE a démontré une capacité à prendre des initiatives, importantes, qui plus est. C’est un message important qui est lancé à la population, aux pays tiers et aux marchés financiers.

Le dispositif arrêté est conjoncturel et temporaire d’ampleur visant à assurer la résilience de la société et de l’économie européenne, donc à résister à la crise dans l’immédiat et à la surmonter. C’est un ensemble de mesures d’urgence, frappées du sceau de la solidarité vis-à-vis tant des États membres les plus touchés que des catégories les plus frappées dans les populations des États membres.

Le dispositif est d’ampleur puisqu’il s’élève à 540 milliards d’euros au moins (éventuel fonds de relance non compris et sans consommation de la totalité de la force de frappe du Mécanisme européen de Stabilité, 170 milliards supplémentaires). C’est plus du quart du plan américain. En outre, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’ajoute aux initiatives de la BCE (750 milliards d’euros) et de diverses initiatives relatives au budget européen.

Dans la pratique, comment se plan va-t-il fonctionner?

«Le dispositif est à plusieurs étages, chaque compartiment ayant un rôle et une cible déterminés. Tout d’abord, il y a une composante spécifique à la zone euro: deux lignes de crédit pour un montant total de 240 milliards d’euros, des lignes de crédit à conditions améliorées (ECCL), qui seront utilisées pour la première fois, via le Mécanisme européen de stabilité (MES). Elles soutiendront le financement national des coûts directs et indirects de soins de santé, de guérison et de prévention en raison de la pandémie. Les États membres de la zone euro qui demanderont à bénéficier de ces prêts pourront emprunter jusqu’à 2% de leur PNB.

Dans les limites de cette affectation spéciale (qui est toutefois large et donnera lieu à interprétation), les États emprunteurs ne seront pas astreints à des exigences de conditionnalité, c’est-à-dire à des mesures d’amélioration de la gestion, notamment de leurs finances publiques. L’abandon de cette exigence classique dans le cadre du MES était une condition posée par l’Italie. Concession donnée aux Pays-Bas, il ne vaut que pour le financement national des coûts directs et indirects des soins de santé. Le ministre néerlandais des Finances n’a toutefois pas exclu que les lignes de crédit puissent être utilisées jusqu’à épuisement des moyens du MES, soit 410 milliards d’euros.

Le MES a-t-il déjà fait ses preuves dans la pratique?

«Oui, lui et les structures qui l’ont précédé ont été utiles à l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. L’Espagne a cessé d’y faire appel assez rapidement, car elle n’admettait pas les exigences de conditionnalité ou les trouvait excessives ou injustifiées. L’Irlande a pu se rétablir rapidement. Par ailleurs se posait la question ces dernières années du rôle exact du Mécanisme européen de stabilité et de l’utilité qu’il pouvait offrir, compte tenu de la sortie progressive de crise de certains États membres. La pandémie est une occasion de le solliciter et de réfléchir à son avenir.

Les deux autres dispositifs concernent, eux, les 27 États membres...

«Oui, d’une part, il y aura 100 milliards d’euros pour les mesures de chômage partiel (travailleurs) à travers le mécanisme de la Commission européenne, SURE: Support to mitigate unemployment risks in emergency. Il consistera en prêts de l’UE aux États membres en vue du financement des systèmes nationaux de chômage partiel. Les États membres devraient apporter une garantie de 25 milliards d’euros, même si le point est flou. Ce financement ne fait pas l’objet de mention dans la déclaration de ce 9 avril.

D’autre part, il y aura un fond de garantie permettant à la BEI de prêter jusqu’à 200 milliards aux entreprises, spécialement aux PME, à partir de 20 ou 25 milliards d’euros de garantie des États (entreprises). A nouveau, le calcul de la contribution des États membres est flou. Ceux-ci en préciseront le montant durant le processus législatif.

Puis il y a le fonds de relance, voulu par la France: le seul accord acté est celui de la disposition des États membres à travailler sur le projet.

La zone Euro évite l’implosion à court terme et est parvenue à trouver un consensus notamment entre les Pays-Bas et l’Italie.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschPartnerArendt

La zone Euro se tire donc d’un mauvais pas?

«La zone Euro évite l’implosion à court terme et est parvenue à trouver un consensus notamment entre les Pays-Bas et l’Italie. En outre, le projet spécifique à la zone Euro, via le MES, semble plus abouti que les autres éléments du dispositif, spécialement en ce qui concerne le financement. Les ambiguïtés se situent davantage au niveau de l’affectation des prêts. La zone Euro donne un message aux marchés sur sa capacité de réaction et sur la solidarité qui a finalement prévalu entre ses membres, même si ce fut péniblement.

Maintenant, et cela vaut pour l’ensemble de l’Union européenne, ce n’est qu’un début. Les accords de principe doivent être coulés dans des textes. Il n’est pas exclu que des questions surgissent. Puis, il faudra mettre en œuvre, appliquer tout cela. En outre, tout ce dispositif (à l’exception de l’éventuel fonds de relance) ne concerne que la situation de crise actuelle. Il faudra affronter la sortie de la crise, revenir à la normale et jeter les fondements d’une reprise durable de l’économie européenne.

Il faudra être à même, davantage que par le passé encore, de poser les bases de la prospérité et de la croissance.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschPartnerArendt

De nouveaux défis en perspective?

«La fin de la pandémie ne signifiera pas la fin des défis pour l’Europe au niveau économique, social, environnemental. Il faudra être à même, davantage que par le passé encore, de poser les bases de la prospérité et de la croissance, pour affronter tous ces challenges et pour réaliser les objectifs ambitieux et généreux que l’Europe s’est assignés. Pour prendre une image, pour le moment, les responsables politiques mettent de l’essence et de l’huile dans un moteur (le marché intérieur), qui ne fonctionne que sur la moitié des cylindres compte tenu du niveau de protectionnisme élevé – qui a crû depuis la crise de 2008 – et de l’excès de réglementation et qui, sous l’effet de la crise, risque de ne fonctionner que sur un tiers ou un quart des cylindres, compte tenu des tentations de repli. 

L’UE doit-elle profiter de cette période pour voir plus loin?

«Les esprits ne sont probablement pas encore prêts à l’entendre. Mais, parallèlement aux mesures de stimulation via l’éventuel fonds de relance, via le plan Juncker bis (le futur INvestEUprogramm), une approche qui ne nécessite pas d’argent public (que l’on n’a pas ou pas assez) est de véritablement réaliser le marché intérieur, en allégeant substantiellement les charges pesant sur les entreprises et les personnes. Il est essentiel de libérer les énergies créatrices et de mettre en place un cadre global à tout niveau qui facilite le déploiement de l’activité économique en Europe.

Seul ce surcroît d’activité permettra de payer l’addition de la pandémie et de la transition écologique et énergétique tout en préservant l’économie sociale de marché et la social-démocratie. Nous vivons suffisamment depuis longtemps dans l’UE pour nous faire davantage confiance. Notamment, il faut permettre aux PME, plutôt que de les aider à tour de bras, à réellement pouvoir exporter leurs biens et services dans d’autres États membres, et de la sorte d’acquérir une taille plus importante, synonyme de gains de productivité, de capacité d’autofinancement et d’innovation technologique. Il sera donc très vite urgent de travailler à long terme.

les ministres des Finances devaient tenir compte des pressions populistes des divers pays qui sont en sens divers.
Philippe-Emmanuel Partsch

Philippe-Emmanuel PartschPartnerArendt

Les ministres des finances auraient-ils pu se montrer plus ambitieux?

«Ce qui compte, c’est, est-ce assez comme signe fort? La réponse est oui. Les montants cités plus hauts sont conséquents au vu du PIB global de l’Europe des 28 et de toutes les autres mesures prises au niveau européen et à celui des États membres. Par ailleurs, il faut garder des cartouches, car on ne sait pas combien de temps la crise durera et quelle sera sa gravité. Enfin, les ministres des Finances devaient tenir compte des pressions populistes des divers pays qui sont en sens divers. D’un côté, une insuffisance de mesures ouvre la porte à Salvini en Italie. D’autre part, un excès de générosité fera les délices des populistes dans les pays germaniques.

Les eurobonds ont-ils encore une chance de voir le jour suite à cette crise?

«À la différence d’un État fédéral, la construction européenne reste bâtie sur la responsabilité financière et budgétaire individuelle des États membres. Ni l’Union européenne ni les autres États membres ne peuvent répondre des dettes d’un État membre ou les apurer, sauf en cas de projet commun. Les vingt dernières années ont révélé le défaut d’effectivité des règles budgétaires imposées aux États membres. Les mécanismes de sanction n’ont pas été appliqués. En conséquence, une série d’États membres continuent à méconnaître ces règles.

Plus fondamentalement, certains États membres contestent l’opportunité de la discipline budgétaire. On notera qu’ils forment de plus en plus une minorité, environ sept États membres sur 27 ou 28. Les autres États membres, germaniques, mais aussi nordiques, baltes et slaves font très attention à leur dette publique et à leur déficit public. En conséquence, tant que les États latins ne montreront pas davantage de rigueur dans la gestion de leurs finances publiques, il est illusoire de voir des Eurobonds en tout cas sous la forme d’une mutualisation des dettes nationales en général. Par contre, on pourrait voir la mutualisation de dettes en relation avec des projets communs.

Par ailleurs, la mise en œuvre de tout le dispositif contre la pandémie est une occasion pour les États membres et les institutions européennes de coopérer. Si les divers acteurs se montrent efficaces et responsables, des murs mentaux pourraient s’effriter.»