Me Kremer passe le relais à l’issue d’un bâtonnat marqué par le Brexit, la crise sanitaire et diverses attaques contre le secret professionnel de l’avocat. (Photo: Matic Zorman/archives Maison Moderne)

Me Kremer passe le relais à l’issue d’un bâtonnat marqué par le Brexit, la crise sanitaire et diverses attaques contre le secret professionnel de l’avocat. (Photo: Matic Zorman/archives Maison Moderne)

Me François Kremer cèdera sa place à l’issue de l’assemblée générale du Barreau de Luxembourg du 17 septembre après un bâtonnat riche en avancées et en batailles aussi.

C’est l’une des dernières interventions en public de Me en tant que bâtonnier. Recevant Paperjam dans la grande salle de la Maison de l’avocat, celle dans laquelle se réunit le Conseil de l’Ordre, il s’attarde sur les portraits de ses prédécesseurs depuis 1896. La plupart des derniers ne portent pas la robe. «Ma vie est au Palais et je serai photographié en robe», a-t-il choisi pour sa part.

Chargé de préserver l’intégrité d’une profession multiséculaire, le bâtonnier se doit aussi d’embrasser une modernité désarçonnante. «Auparavant, avoir une étude signifiait poser sa plaque et nécessitait une réception, un bureau, une bibliothèque, un secrétaire, et éventuellement un stagiaire», explique Me Kremer. «Aujourd’hui un ordinateur portable suffirait techniquement, et on peut se demander si l’on peut encore exiger un téléphone fixe. La difficulté se pose notamment lors d’une perquisition dans des locaux partagés ou loués à la journée, ou bien si l’avocat est domicilié. Les frontières deviennent alors floues. Or, il faut pouvoir délimiter ce qu’est une étude et ce qu’elle doit avoir au minimum comme infrastructures. Nous sommes en train de travailler sur une réglementation.»

, bâtonnier de 2016 à 2018, a eu le mérite de rendre un Barreau financièrement sain – notamment en troquant les locaux du Glacis au loyer exorbitant contre une Maison de l’avocat  – et mieux ordonné. Son successeur François Kremer a continué sur cette lancée, instituant la «conférence des bâtonniers», ce triumvirat composé des bâtonniers sortant, actuel et à venir (traditionnellement le vice-bâtonnier). «Le poids est partagé sur trois personnes, et c’est beaucoup plus fluide. On ne découvre pas les dossiers le lendemain de son élection, et le bâtonnier sortant partage son savoir.»

Des Panama Papers à Dac6, le secret sous pression

La Maison de l’avocat fonctionne désormais en services dûment identifiés et dont les chefs dépendent du bâtonnier et non plus du secrétaire général, un poste éliminé. «Le chantier n’est pas terminé, mais nous avons mis toutes les procédures par écrit – comme le requiert d’ailleurs le RGPD.» La Maison de l’avocat compte aujourd’hui une vingtaine d’employés, y compris ceux affectés au service public de l’assistance judiciaire, resté au Glacis. Le bâtonnier bientôt sortant a aussi créé plusieurs commissions consultatives: droit pénal, droit social, tutelles/curatelles, immigration et protection internationale, faillites et liquidations.

La dernière nouveauté en date: la cellule de contrôle du Barreau de Luxembourg, présidée par l’ancien bâtonnier François Prum pour les deux années à venir. Cette cellule centralise administrativement les contrôles opérés sur les comptes tiers des études – il s’agit de vérifier que les avocats ne mélangent pas leur argent avec celui de leurs clients – et les contrôles commandés par la lutte anti-blanchiment, un aspect renforcé ces dernières années. «Il faut des avocats chevronnés pour ces contrôles, c’est donc un rôle idéal pour un ancien bâtonnier», commente Me Kremer.

L’associé d’Arendt & Medernach a surtout dû défendre la profession face à diverses attaques. Le Barreau a ainsi appuyé devant le tribunal administratif les avocats se rebiffant contre l’insistance de l’Administration des contributions directes à connaître l’identité de certains , en violation du secret professionnel. L’affaire est en délibéré depuis novembre dernier. Il a également bataillé contre la transposition trop gourmande de la directive Dac6 qui revenait à  un client bénéficiant d’un montage fiscal agressif. Les au projet de loi sont «à l’actif de Me Kremer», souffle un membre du Conseil de l’Ordre, tant le bâtonnier s’est démené pour défendre le secret de l’avocat, un droit fondamental consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme. La réglementation des avocats d’origine britannique suite au Brexit est .

Je reçois depuis fin août des appels au secours de confrères qui se retrouvent avec l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et la Sécurité sociale sur le dos.
Me François Kremer

Me François KremerbâtonnierOrdre des avocats de Luxembourg

Un autre combat n’a pas été auréolé du même succès. Le Barreau n’a pas réussi à ramener le gouvernement à de meilleurs sentiments envers les avocats, touchés par la crise sanitaire. Des avocats particulièrement visés par la fâcheuse sortie du vice-Premier ministre  (LSAP) sur Facebook, et réclament des aides. «Le Premier ministre avait dit qu’il ne laisserait personne dehors sous la pluie», rappelait Me Kremer . «Nous, avocats, comme d’autres indépendants, avons dû ouvrir nos parapluies…»

Faute d’avoir pu faire fléchir le gouvernement, la ministre de la Justice,  (Déi Gréng), a octroyé, à la demande du Barreau, une – lequel était inférieur au taux horaire d’un plombier, raillait un ancien bâtonnier.

«Je reçois, depuis fin août, des appels au secours de confrères qui se retrouvent avec l’Administration des contributions directes, l’Administration de l’enregistrement et la Sécurité sociale sur le dos», confie Me Kremer. Une situation puisque l’automne marque la fin du moratoire de six mois décrété par le gouvernement au début du confinement. L’appel à cotisation du Barreau en septembre sera un autre baromètre de la santé financière de la profession – a priori surtout des petites études.

C’est frustrant parce que nous en sommes souvent à fonctionner avec des outils du XIX e  siècle.
Me François Kremer

Me François KremerbâtonnierOrdre des avocats de Luxembourg

La crise sanitaire et surtout le gel de l’économie et durant plus de deux mois ont d’ailleurs ravivé le besoin d’un cadre juridique permettant la liquidation d’une étude d’avocats. «La loi prévoit pour l’instant des mesures conservatoires du Bâtonnier. Or, rien n’est précisé concernant le patrimoine privé du liquidé. Nous allons œuvrer pour faire adopter un texte rapidement face à la vague d’insolvabilités qui nous guette.» L’idée étant d’ajouter plusieurs articles spécifiques dans la loi sur les faillites .

Me Kremer laisse ce dossier à son successeur, élu le 17 septembre prochain par l’assemblée générale de l’Ordre, ainsi que , dont l’exaspère, . «Le Barreau a fait de lourds investissements depuis des années, mais le programme n’est nulle part… C’est frustrant parce que nous en sommes souvent à fonctionner avec des outils du 19e siècle. Mais la ministre a compris que c’était un chantier à prioriser maintenant.» Et la crise sanitaire a au moins eu le mérite de montrer l’efficacité des échanges électroniques. «Il existe désormais un embryon de greffe électronique, il faut le maintenir.»

Deux années particulièrement chargées, donc, et qui ne se termineront pas par un dîner d’écrevisses comme le veut la coutume – née à l’époque où ces crustacés proliféraient dans les eaux luxembourgeoises –, Covid-19 oblige. Me Kremer restera aux côtés du bâtonnier nouvellement élu durant les deux prochaines années, à savoir – sauf coup de théâtre lors de l’assemblée générale – la vice-bâtonnière Me Valérie Dupong, seule candidate au poste. Une continuité toutefois moins chronophage pour celui qui a consacré trois quarts de son temps à son bâtonnat depuis son élection.