Gina Miller s’inquiète que les services soient ignorés dans les discussions sur le Brexit. (Photo: LaLa La Photo, Keven Erickson, Krystyna Dul)

Gina Miller s’inquiète que les services soient ignorés dans les discussions sur le Brexit. (Photo: LaLa La Photo, Keven Erickson, Krystyna Dul)

Connue pour sa liberté de ton, la femme d’affaires Gina Miller est la voix des anti-Brexit au Royaume-Uni. Elle analyse sans filtre les impacts politiques, économiques et sociétaux d’un départ retardé mais qui paraît inévitable. Rencontre en marge de la conférence Horizon organisée par Deloitte le 4 avril.

Les partisans du Remain ont-ils encore un rôle à jouer dans les négociations du Brexit? Plus que jamais, selon Gina Miller, femme d’affaires et figure emblématique de la lutte contre le Brexit au Royaume-Uni. Elle s’est notamment illustrée en 2016 en saisissant la Cour suprême de justice (où elle a obtenu gain de cause) pour que le Parlement britannique puisse voter l’accord de sortie de l’Union européenne (UE).

Et elle ne compte pas baisser les bras, considérant que chaque étape du Brexit et chaque interrogation qu’il soulève donnent encore l’occasion d’éduquer les citoyens et de décrypter le fonctionnement de l’UE. Via sa société Centrum Campaign, Gina Miller a déjà lancé deux campagnes anti-Brexit: «End the chaos» en septembre 2018 et «Lead not leave» fin janvier 2019.

L’atteinte du Brexit à l’image de son pays et les conséquences qui en découlent font partie de ses préoccupations majeures. «Aux frontières ou dans les aéroports, nous n’avons pas recruté suffisamment de personnel, et cela devient difficile au Royaume-Uni, parce que nous avons maintenant la réputation de ne pas aimer les étrangers. Il y a donc beaucoup de gens basés à l’étranger qui ne candidatent plus au Royaume-Uni. Notre réputation est ternie dans le monde entier, ce qui se traduit par une réelle pénurie de ta­lents», constate Gina Miller, rencontrée par Paperjam le 4 avril après son intervention lors de la 9e édition de la conférence ­Hori­zon organisée par Deloitte pour alimenter les débats sur l’avenir de la place financière.

Autre motif d’inquiétude: la supervision de certains secteurs d’activité, une fois que le Royaume-Uni ne fera plus partie des différentes agences européennes comme l’Agence européenne des médicaments (EMA), Euratom, ou l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA). Car celles-ci n’ont pas encore été répliquées au niveau national.

Gina Miller se bat également pour que les impacts du Brexit sur le secteur tertiaire soient davantage pris en compte. «Les services sont complètement ignorés dans l’équation, alors qu’ils représentent 85% de notre économie. J’imagine que la majorité de la population assimile les services aux services financiers, c’est-à-dire aux riches banquiers ou aux gestionnaires de fonds de pension. Or, quel politicien voudrait défendre ces personnes? Les services ne sont pas protégés par les politiciens parce que cela n’aide pas leur carrière», lance-t-elle, avec son franc-parler habituel.

Décalage psychologique

Les répercussions du Brexit dans la vie quotidienne des Bri­tan­niques motivent tout autant son activisme. «En choisissant d’être membre de l’UE, nous nous sommes adaptés à tous les niveaux de notre vie quotidienne. Maintenant, nous devons inverser cela. Mais comment revenir sur 44 ans d’adaptation en l’espace de 2 à 4 ans?», s’interroge-t-elle. Elle rappelle par ailleurs que les trois principales appréhensions des citoyens britanniques concernent avant tout leur quotidien, à savoir des questions liées aux animaux de compagnie (alimentation, passeport, soins vétérinaires...), les voyages et les médicaments. Des sujets trop rarement abordés par les dirigeants politiques selon elle.

Les répercussions du Brexit dans la vie quotidienne des Bri­tan­niques motivent tout autant son activisme. «En choisissant d’être membre de l’UE, nous nous sommes adaptés à tous les niveaux de notre vie quotidienne. Maintenant, nous devons inverser cela. Mais comment revenir sur 44 ans d’adaptation en l’espace de 2 à 4 ans?», s’interroge-t-elle. Elle rappelle par ailleurs que les trois principales appréhensions des citoyens britanniques concernent avant tout leur quotidien, à savoir des questions liées aux animaux de compagnie (alimentation, passeport, soins vétérinaires...), les voyages et les médicaments. Des sujets trop rarement abordés par les dirigeants politiques selon elle.

Avec le Brexit, nous avons contaminé l’Europe avant même d’en être partis.
Gina Miller

Gina MillerFemme d’affaires britannique, leader anti-Brexit

Enfin, concernant les atermoiements politiques en cours, Gina Miller déplore les écarts de vision et de posture des différents camps. «Il y a un décalage psychologique entre les politiciens britanniques et l’UE, parce que le Royaume-Uni ne parle que d’argent, de ce qu’il peut retirer du Brexit. Il n’est jamais question de paix, d’harmonisation, de protection ou des grands enjeux d’avenir comme le changement climatique.» Avant de poursuivre: «L’UE a déjà fait preuve d’une patience incroyable, tandis que les effets du Brexit entachent déjà tous les États membres, par exemple en encourageant la montée du populisme. Nous avons donc contaminé l’UE avant même d’en être partis.»

Le Luxem­bourg constitue-t-il alors une sortie de secours opportune pour les sociétés britanniques? Gina Miller, dont la société de gestion de patrimoine SCM Direct dispose déjà d’une licence pour opérer sur place, en est convaincue. Elle souligne notamment le fait que le Grand-Duché soit particulièrement attractif pour les entreprises qui souhaitent profiter de leur déménagement pour innover. Ce qu’elles ont du mal à faire au Royaume-Uni en raison des nombreuses barrières réglementaires.