Après avoir abaissé à trois reprises consécutives de 25 points de base le taux Fed funds, le ramenant à 1,75%, son niveau d’avril 2018, la Réserve fédérale américaine a indiqué, lors de sa réunion du 30 octobre, qu’elle avait l’intention de faire une pause dans ce processus de baisse de son taux directeur. Toutefois, elle s’est donné les moyens, par ailleurs, de continuer d’assouplir discrètement les conditions monétaires.
La décision de la Fed de faire une pause s’inscrit pleinement dans sa communication entreprise depuis juillet et qui vise à rassurer en expliquant que les baisses de taux sont une mesure préventive, c’est-à-dire non pas motivée par le ralentissement de la croissance américaine, mais prudentielle face aux risques économiques et commerciaux internationaux. Autrement dit, il ne s’agit pas d’un cycle classique d’assouplissement monétaire.
Mais si, alors que la croissance du PIB américain a déjà ralenti de 3,0% en moyenne en 2018 à 2,0% au troisième trimestre 2019, la Fed peut interrompre, temporairement au moins, ses baisses de taux, c’est très certainement aussi parce qu’elle s’est dotée parallèlement des moyens de continuer à assouplir les conditions financières, via la reprise de l’expansion de son bilan.
Il ne s’agit pas d’un cycle classique d’assouplissement monétaire.
Cette mesure, annoncée le 11 octobre en marge des réunions de politique monétaire, a, certes, des raisons techniques: elle vise à accroître les réserves excédentaires des banques, devenues insuffisantes après le processus de dégonflement de son bilan, ce qui a généré depuis septembre 2019 des tensions haussières sur les taux d’intérêt des marchés de «repo» de court terme. Pour ramener ces taux d’intérêt proches du niveau du taux directeur, la Fed a donc indiqué qu’elle procéderait à des achats de bons du Trésor à un rythme de 60 milliards de dollars par mois, et ce jusqu’au second trimestre 2020 au moins.
Tant les communiqués de la Fed que Jerome Powell lui-même se sont attachés à souligner le caractère purement technique de ces opérations qu’il conviendrait de ne surtout pas assimiler à un Quantitative Easing (QE), c’est-à-dire aux programmes d’assouplissement quantitatif menés par la banque centrale américaine entre 2008 et 2014.
D’un point de vue formel, l’expansion du bilan de la Fed qui sera menée en 2019 et 2020 ne peut pas être, en effet, considérée comme du QE car ce dernier repose sur deux piliers: d’une part, l’injection massive de liquidité dans le système financier et, d’autre part, la compression des primes de termes, via l’achat d’obligations de long terme par la banque centrale, qui incite les investisseurs à la recherche de rendement à se reporter sur des marchés d’actifs plus risqués. Alors que la Fed va acheter des titres de court terme, des bons du Trésor, ce deuxième critère n’est bien sûr pas respecté.
Dans ce contexte, la seule injection de liquidité pourrait être suffisante pour avoir des effets proches de ceux d’un QE.
Toutefois, la nécessité de faire baisser davantage les rendements de long terme, comme cela avait été le cas lors des précédents épisodes de quantitative easing, semble moindre aujourd’hui compte tenu de leur très bas niveau. À titre d’exemple, depuis août 2019, alors que les inquiétudes des investisseurs quant aux perspectives pour le commerce et la croissance mondiale se sont accrues, le rendement du Treasury 10 ans s’est établi en moyenne à 1,68% contre 2,40% en moyenne depuis 2010.
Bien plus, depuis août 2019, la prime de terme à 10 ans a fortement baissé. Selon l’estimation faite par le modèle ACM de la Réserve fédérale de New York, son niveau moyen depuis août 2019 serait 160 points de base inférieur à celui auquel il est depuis 2010.
Dans ce contexte, la seule injection de liquidité pourrait être suffisante pour avoir des effets proches de ceux d’un QE.
Un montant d’achat mensuel non négligeable
Or, le montant mensuel d’achats annoncé par la Fed est non négligeable et semble aller nettement au-delà de l’objectif qu’elle s’est fixé qui est de maintenir les réserves excédentaires des banques à un niveau égal ou un peu supérieur à celui qui prévalait en septembre 2019, quand les tensions sur les marchés «repo» n’étaient pas encore apparues.
En effet, un rythme d’achat de 60 milliards de dollars par mois jusque juin 2020 impliquerait une hausse de près de 13% du bilan de la Fed – soit une progression en rythme annualisé de près de 20% –, ce qui reviendrait à le ramener à un niveau proche du niveau auquel il était avant que la décrue du bilan soit amorcée en octobre 2017.
Cela va nettement au-delà du besoin de reconstitution des réserves excédentaires des banques qui nécessiterait, selon nos calculs, une hausse immédiate de 2% du bilan, puis un rythme d’augmentation annuelle proche, comme le suggère la théorie macroéconomique, du niveau de la croissance potentielle, c’est-à-dire n’excédant pas 4,5%.
Ainsi, le futur accroissement du bilan de la Fed est loin d’être anodin et son ampleur n’est pas très éloignée de celle des précédents programmes d’assouplissement quantitatif. Pour mémoire, le montant maximum d’achats mensuels lors du QE3 mené de 2012 à 2014 s’était établi à 85 milliards de dollars.
En conclusion, si la reprise de l’expansion de son bilan par la Fed n’est pas à proprement parler un nouveau quantitative easing, il n’en demeure pas moins que son effet sur les conditions financières pourrait être substantiel. Sa mise en place montre que la Fed, malgré sa volonté de rassurer, pourrait ne pas être aussi sereine qu’elle le prétend quant à l’atterrissage de la croissance américaine.