L’achat d’une maison représente souvent le projet de toute une vie. Mais aujourd’hui, pour de nombreux Luxembourgeois, acquérir la maison ou l’appartement de ses rêves au Grand-Duché relève tout simplement de l’utopie. La faute à une offre toujours plus réduite et à un prix au mètre carré toujours plus élevé. En effet, si l’augmentation du prix des maisons et des appartements avait tendance à suivre une courbe constante ces dernières années (de 4% à 7% entre 2012 et 2018), les prix ont littéralement explosé ces deux dernières années, faisant bouillir le marché de l’immobilier.
Depuis 2019, cette croissance a en effet été spectaculaire: +10,12% il y a deux ans, et même +14,5% en 2020! Sur l’ensemble du pays, selon les chiffres publiés par l’Observatoire de l’habitat, il faut compter une moyenne de 7.014 euros le mètre carré pour un appartement existant, et 8.014 euros le mètre carré pour un appartement neuf.
Pour les maisons, il faut disposer d’une enveloppe moyenne de 897.000 euros pour devenir propriétaire. On note toutefois de grandes disparités en fonction de la région du pays. Le prix moyen varie en effet entre 624.829 euros dans le Nord et 1.345.192 euros dans le canton de Luxembourg-ville. Au niveau européen, si l’on prend les données du 4e trimestre de l’année 2020, c’est le Luxembourg qui a subi la plus grosse augmentation du prix des logements (+16,7%), très loin devant le Danemark (+9,8%) et la Lituanie (+9,4%).
Un marché tendu
Une situation qui engendre évidemment de grosses tensions sur le marché de l’immobilier au Luxembourg. «Si le marché est aujourd’hui tendu, c’est parce que le nombre de personnes qui souhaitent avoir un logement est supérieur à l’offre disponible dans le pays. On manque notamment de biens neufs, et ce n’est pas une tendance nouvelle », analyse Jean-Nicolas Montrieux, CEO d’Inowai.
Pour répondre correctement à la demande, il faudrait que 6.000, voire 6.500 logements sortent de terre chaque année. Pourtant, on en est encore loin, puisque seulement 4.000 à 4.500 habitations sont construites annuellement sur le sol grand-ducal.
«Toutes les régions du pays sont touchées par ce manque de biens sur le marché, confirme Robby Cluyssen, directeur du secteur résidentiel pour JLL. Cette situation s’explique par le fait que les taux d’intérêt sont historiquement bas et rendent l’accès à l’achat plus facile. Le manque de volonté de vendre, de la part des propriétaires de terrains, explique également ce phénomène. Leurs ares prenant de la valeur tous les ans, et ces personnes n’ayant pas besoin de liquidités, ils n’ont aucune raison de vendre.»
Pour les inciter à vendre leurs terrains, certains partis politiques représentés au conseil communal de la capitale, comme déi Gréng, le LSAP et déi Lénk, souhaiteraient davantage taxer les terrains à bâtir. Ils proposent de multiplier par 30 l’impôt foncier de ces terrains, qui passerait de 500 à 15.000%. Cela signifierait qu’une parcelle de 2 ares coûterait à son propriétaire 13.500 euros annuellement au lieu de 450 actuellement. De quoi certainement motiver quelques propriétaires à se séparer de leurs terrains inoccupés.
Le Covid a ralenti les opérations
La crise du Covid n’a évidemment pas arrangé la situation immobilière du pays, bien au contraire. «La crise a en effet engendré beaucoup de retard, que ce soit en matière de montage de projet ou d’autorisation. On aurait pu croire que les gens allaient pouvoir se concentrer sur l’administratif pour faire avancer les choses, mais cela n’a malheureusement pas été le cas…», poursuit le CEO d’Inowai. C’est ce décalage de plus en plus grand entre l’offre et la demande qui a fait décoller les prix, ces dernières années. «Quoi que l’on fasse, les prix de l’immobilier ne seront jamais bon marché au Luxembourg. Et c’est une bonne nouvelle, car ce serait un mauvais signal pour le pays. Mais il est important d’accompagner le marché pour qu’il retrouve un certain équilibre. Et, pour cela, il n’y a pas 36 solutions: il faut augmenter le volume de biens disponibles sur le marché.»
Pour relever ce challenge, la première étape consiste à simplifier et fluidifier les processus d’autorisation. «C’est très simple à avancer, mais beaucoup plus compliqué à mettre en œuvre, avoue le CEO d’Inowai. Il est facile de dire que les services administratifs n’avancent pas, mais il faut se rendre compte qu’aujourd’hui, de nombreuses données entrent en ligne de compte dans le processus de construction, notamment l’impact que l’habitat a sur son environnement. On ne compressera jamais totalement ces délais mais, clairement, il y a moyen de les optimiser.»
Être propriétaire à tout prix?
Pour la majorité des acteurs de l’immobilier, cette hausse perpétuelle et sans limites du prix des logements doit cesser rapidement. «Dans le cas contraire, on verra les gens se désintéresser de l’immobilier car, premièrement, ce ne sera plus rentable pour les investisseurs et, deuxièmement, on va priver toute une partie de la population de la possibilité d’être propriétaire», poursuit Jean-Nicolas Montrieux. Qui pointe justement le fait que le Luxembourgeois aime être propriétaire, voire multipropriétaire.
«En raison de cette tendance, peu de bâtiments anciens sont remis sur le marché. La demande se reporte donc sur des biens neufs qui, comme je le disais, peinent à être construits en suffisance. Ce qui est surprenant, c’est que les personnes d’origine étrangère se conforment rapidement au modèle luxembourgeois, c’est-à-dire qu’elles ont cette envie d’être propriétaires à tout prix, et qu’elles sont prêtes à faire de nombreux sacrifices pour cela.»
Quitte à faire une croix sur la maison de leurs rêves. «On constate en effet que les gens ont tendance à se jeter sur tout ce qui passe, même un bien qui ne leur plaît pas forcément. L’objectif est d’avoir son chez-soi, coûte que coûte», assure Jean-Nicolas Montrieux, qui rappelle que nos voisins français, belges ou allemands connaissent eux aussi ce phénomène actuellement.
«Si elle est exacerbée au Luxembourg, cette tendance n’est pas propre à notre pays. Je pense qu’acheter sa propre habitation, cela fait partie du cheminement de la vie, ajoute Robby Cluyssen. Par contre, ce que l’on remarque, c’est que l’on devient propriétaire de plus en plus tard. En Belgique, par exemple, on a repoussé l’acquisition de 10 ans, donc au lieu d’acheter à 30 ans, on achète à 40 ans. Et cela est évidemment dû au fait que les logements sont de plus en plus chers et que les salaires n’ont pas suivi cette évolution.»`
«Mais aussi parce que les Belges terminent leurs études plus tard qu’auparavant», précise Francesca Roberto, senior consultant au sein du département résidentiel de JLL.
L’immobilier résidentiel est toujours perçu, par les particuliers, comme un excellent moyen de placer son argent pour se constituer un patrimoine. Disposer d’un appartement ou d’une maison est vu comme un placement tangible et sûr. «Dans le contexte actuel, ils n’ont donc aucune raison de s’en séparer puisque ces biens vont prendre de la valeur avec le temps», explique Robby Cluyssen. Le challenge est donc de trouver des solutions pour inciter ces propriétaires à vendre.
Les bienfaits de l’achat
Au regard de l’augmentation des prix de l’immobilier, posséder son appartement ou sa maison semble être la meilleure option, pour autant que l’on puisse se l’offrir. De plus, le pays jouit d’une fiscalité intéressante en matière d’achat immobilier. Lors de l’acquisition d’un bien, les frais liés aux actes notariés sont de 7% (6% pour les droits d’enregistrement et 1% pour les frais de transcription). Si ce bien est une résidence principale et qu’il est habité pendant au moins 24 mois (48 mois pour un terrain ou un bâtiment en cours de construction), il est possible d’obtenir un crédit d’impôt d’une valeur de 20.000 euros par acquéreur sur ces actes notariés.
Ensuite, au Luxembourg, l’impôt foncier est quasi inexistant, la plus-value immobilière n’est pas taxable sur la revente de la résidence principale et les intérêts sur les crédits hypothécaires sont déductibles fiscalement (jusqu’à 10.000€). Par ailleurs, l’État luxembourgeois offre un taux de TVA réduit à 3% dans le cadre de travaux de construction et de rénovation pour un bien de première occupation.
Conséquence de tous ces avantages: selon les chiffres d’Eurostat, en 2019, 71% des résidents luxembourgeois sont propriétaires quand la moyenne européenne est de 69%. 23% sont locataires sur le marché privé. Les 6% restants sont logés gratuitement chez des connaissances ou payent un loyer inférieur au prix du marché (par exemple les locataires des logements locatifs sociaux).
Toutefois, lorsque l’on songe à acheter un bien immobilier, il ne faut jamais oublier de prendre en considération l’ensemble des coûts: les actes notariés, s’il s’agit d’un deuxième achat, les intérêts bancaires, mais aussi l’apport financier, loin d’être négligeable. Le Comité du risque systémique (CRS) a ainsi récemment sommé les banques de se montrer beaucoup plus prudentes dans l’octroi de crédits hypothécaires. Si un primo-accédant peut toujours avoir accès à 100% du montant du bien visé, la barre est fixée à 80% pour les personnes souhaitant étendre leur patrimoine, avec un maximum de 800.000 euros.
Pour les personnes qui déménagent, ce plafond est également de 80%. Sans oublier, naturellement, l’ensemble des frais courants liés à l’acquisition d’un bien immobilier (fuites, réparations, travaux, etc.). «Il faut aussi être attentif au crédit hypothécaire. Certes, les taux sont bas, mais il y a parfois d’autres coûts derrière, liés à l’âge ou à l’historique des gens. On voit des assurances obligatoires greffées au crédit qui plombent complètement le prix et qui rendent l’investissement moins intéressant qu’on ne pouvait l’imaginer au départ», fait remarquer Jean-Nicolas Montrieux.
La location a aussi ses avantages
Si le climat actuel, marqué notamment par des taux d’intérêt bas, favorise l’achat d’un bien immobilier, la location a, elle aussi, ses avantages. Le locataire, par exemple, n’a pas à se soucier des frais liés au logement, il lui suffit en effet de contacter le propriétaire pour effectuer les réparations. La location reste également une possibilité lorsque l’on ne dispose pas des fonds nécessaires pour acheter. Toutefois, si le prix d’achat des maisons et des appartements connaît une véritable flambée depuis quelques années, celui de la location n’est pas en reste. Les loyers ont en effet augmenté de 30% en l’espace de deux ans seulement au Luxembourg!
En outre, un locataire qui loue un bien qui lui coûte 2.500 euros par mois dépensera 750.000 euros au bout de 25 ans… pour un bien qui ne lui appartient pas. «Le montant des loyers augmente tout de même moins vite que le prix de vente des logements, assure Francesca Roberto. Mais il est vrai que les prix ont grimpé, principalement dans le centre de Luxembourg. Les personnes qui souhaitent trouver une location doivent désormais élargir leur rayon de recherche de 20 ou 30 km pour trouver des biens plus accessibles.»
Un argument qui fait pencher la balance du côté de l’achat. «Toutefois, je reste persuadé que la location peut être intéressante pour plusieurs profils de personnes, assure Francesca Roberto. Notamment les jeunes qui sont aujourd’hui à la recherche de plus de flexibilité dans leur vie personnelle et professionnelle. Ils sont plus fougueux et n’hésitent pas à partir à l’aventure à l’étranger pendant plusieurs mois, que ce soit dans le cadre de leur travail ou même dans leur sphère privée. Ils envisagent les opportunités intéressantes partout où elles se présentent.»
Un comportement difficilement compatible avec l’achat d’un bien immobilier. En effet, louer ou vendre sa maison peut être une démarche fastidieuse et chronophage. De plus, gérer son bien depuis l’étranger peut s’avérer compliqué, qui plus est lorsque des incidents se produisent et qu’il faut faire appel à des professionnels pour régler le problème. Pour certaines personnes, posséder une maison peut même être un véritable fardeau.
«Je pense que les personnes qui bougent beaucoup doivent peser le pour et le contre, émettre quelques hypothèses sur le temps qu’ils vont rester sur place, sur la confiance qu’ils ont par rapport au marché immobilier, sur les coûts réels d’une location ou d’un achat, et comparer ce qui est le mieux pour eux. Vouloir être propriétaire à tout prix, quitte à avoir la corde au cou, c’est un très mauvais calcul», prévient le CEO d’Inowai.
Louer tout en épargnant
L’un des arguments phares de l’achat d’un bien est que celui-ci est un excellent moyen de se constituer un patrimoine pour ses vieux jours. «L’immobilier est un véritable pilier de la pension», rappelle Jean-Nicolas Montrieux. Toutefois, lorsqu’un locataire opte pour un bien plus modeste, il a la possibilité d’investir ce qu’il a épargné de différentes manières. Il peut par exemple faire fructifier son épargne grâce à des produits de retraite fiscalement avantageux ou sur le marché des actions. Avec une épargne judicieuse, le locataire peut ainsi se constituer un patrimoine aussi intéressant qu’un propriétaire. Il convient toutefois de tenir compte de la fiscalité.
Tout revenu provenant de dividendes boursiers et de plus-values sera imposable, sauf s’il s’agit d’un produit d’investissement fiscalement intéressant, tel qu’une épargne-pension. Quiconque souhaite acheter ou louer un bien immobilier devra impérativement se renseigner auprès de professionnels qui pourront l’aiguiller dans son choix. «Les conseillers bancaires ont en effet un grand rôle à jouer pour informer les particuliers sur les différentes formules qui peuvent leur être proposées. On voit d’ailleurs de plus en plus de simulateurs en ligne qui intègrent toutes les données à prendre en compte pour l’achat ou la location d’un bien», explique Jean-Nicolas Montrieux.
L’alternative du coliving
Pour contrer la montée des prix, d’autres solutions pourraient également être envisagées. De plus en plus de personnes optent par exemple pour des formules de cohabitation ou de coliving. Ce concept, situé entre la cohabitation et l’hôtel, consiste à partager une grande surface d’habitation qui comporte des espaces privés, mais aussi des surfaces collectives comme les salons ou les cuisines. Une formule de plus en plus privilégiée par les jeunes de passage. En plus de ces espaces, les habitants d’une formule de coliving peuvent également profiter d’une salle de cinéma, d’une salle de sport, d’un espace de coworking, d’une bibliothèque, d’une piscine… Si le coliving attire particulièrement les étudiants de 18 à 25 ans, ce nouveau type d’habitation pourrait également convenir aux nomades qui apprécient la vie en communauté et les mélanges intergénérationnels et interculturels.
Au Luxembourg, le coliving pourrait être une alternative plus que viable pour faire face au problème du logement. Plusieurs start-up se sont d’ailleurs déjà emparées du concept. C’est le cas notamment de Cocoonut qui proposera, d’ici la fin de l’année, des logements en coliving. Le projet Gravity, prévu en 2023 à Differdange, offrira également un espace de coliving comptant 25 unités privées sur un plateau de 8.000m², dont 80m² seront réservés aux espaces communs.
Tirer la sonnette d’alarme
Face à cette flambée des prix des maisons et des appartements ainsi que des loyers – que rien ne semble pouvoir arrêter –, certains sont contraints de trouver des alternatives, malgré eux. «Ils sont obligés de s’éloigner du centre, voire de trouver une habitation hors des frontières du pays, en Belgique, en France ou en Allemagne. Cela a un impact évident sur leur qualité de vie puisqu’ils passent davantage de temps dans leur voiture ou dans les transports en commun, souligne Jean-Nicolas Montrieux. Quand on voit que des Luxembourgeois de souche sont obligés d’aller à l’étranger pour trouver une maison, c’est très inquiétant. Il est vraiment temps que l’on tire la sonnette d’alarme.»
Alors, faut-il acheter ou louer? Dans l’absolu, l’achat est sans aucun doute l’option la plus avantageuse, mais de nombreuses variables entrent en ligne de compte. Ainsi, la croissance perdurera-t-elle dans le temps, ou la bulle immobilière – si elle existe – finira-t-elle par exploser? Également, dans quelle mesure le locataire est-il prêt à sacrifier sa liberté? Il n’y a donc pas de mauvaise option, la location pouvant elle aussi être une possibilité, à condition toutefois de se constituer une épargne pour profiter de sa retraite paisiblement.
Cet article a été rédigé pour parue le 15 juillet 2021.
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