Pour Anton Brender et Florence Pisani, le problème de la dette est actuellement avant tout le problème de l’épargne et de sa bonne allocation. (Photo: Candriam)

Pour Anton Brender et Florence Pisani, le problème de la dette est actuellement avant tout le problème de l’épargne et de sa bonne allocation. (Photo: Candriam)

Les deux économistes, en collaboration avec Émile Cagna, publient «Économie de la dette», un essai dans lequel ils explorent la problématique de la dette: alors que l’on se focalise sur son remboursement, la vraie question est, selon eux, celle de l’allocation de l’épargne.

«Les fourmis ont besoin de cigales.» Une vérité souvent ignorée et qui relativise la traditionnelle vision négative de la dette qui occupe le devant de la scène, alors que l’attention devrait se focaliser sur la réforme des canaux de financement.

À un moment où la dette publique, comme privée, explose et inquiète, où l’on commence à remettre en cause les actuelles règles budgétaires héritées du traité de Maastricht et où les analystes – journalistes compris – se focalisent sur le volet poids et soutenabilité de la dette, Florence Pisani et Anton Brender, économistes chez Candriam, veulent remettre les pendules à l’heure en mettant en avant la face cachée de la dette: «Cette montée des dettes est la contrepartie de l’accumulation de richesses financières qui se déroule dans les différentes régions du monde. La montée du poids des dettes, c’est la contrepartie nécessaire de la montée du poids de la richesse financière.»

Et pour les deux économistes, le fait que l’on dispose de plus d’argent devant nous «devrait être rassurant».

La question des garanties

Attention cependant: Florence Pisani et Anton Brender ne veulent pas dire que la dette est en soi un bien. Pas plus que l’épargne, d’ailleurs. Tout dépend de l’utilisation faite de l’une et de l’autre. La vraie question à se poser est de savoir si l’endettement nous permet de faire un bon usage de l’épargne qui se dégage. Et pour les deux économistes, l’usage actuel de l’épargne n’est pas optimal et il convient de travailler sur les canaux de financement pour y remédier.

Des canaux de financement qui transféreraient le risque – tout ou en partie – aux États ou à certaines institutions financières internationales, comme la Banque européenne d’investissement, permettant ainsi d’éponger l’actuel excédent d’épargne peu productif et de financer des investissements indispensables dans les infrastructures humaines et physiques.

«Les dettes sont une source de risque. Et donc les mécanismes par lesquels les risques associés à ces dettes sont portés jouent un rôle essentiel dans l’allocation de l’épargne. Pourquoi est-ce qu’on prête facilement aux ménages pour s’acheter des logements? Parce qu’il y a une hypothèque qui réduit les risques que supporte le prêteur.» Le problème, soulignent Florence Pisani et Anton Brender, c’est que cette épargne pourrait être dirigée vers des projets qui auraient un meilleur rendement pour la société, mais qu’ils ne le sont pas, car le risque porté est trop grand.

La solution passerait par l’octroi de garanties par l’État ou les États collectivement. «L’Europe vient de faire quelque chose d’assez extraordinaire avec Next Generation UE. Un emprunt collectif qui oriente l’épargne vers des investissements en infrastructures et pour lequel l’ensemble des États européens se portent garants de la bonne fin de ces opérations», souligne Anton Brender, pour qui ce type de mécanisme pourrait être employé dans la lutte contre le réchauffement climatique. «Donner les garanties, voire emprunter nous-mêmes pour prêter ou pour donner aux pays émergents pour qu’ils puissent tenir leurs engagements en matière climatique aurait du sens. Surtout si on regarde le risque que l’on prend en ne le faisant pas.» Ou encore en matière de développement, afin de réduire la pression migratoire.

Pour une meilleure allocation de l’épargne

Cette meilleure allocation de l’épargne permettrait également d’éviter de surcharger les canaux de financement existant actuellement, concentrés sur l’immobilier.

Une concentration facilitée, nous les avons évoquées, par les garanties réelles existantes et par le fait que les entreprises n’ont actuellement pas besoin d’emprunter pour investir. «Au final, le mécanisme de transmission de la politique monétaire passe actuellement surtout par l’endettement des ménages. Donc, à chaque fois que les taux baissent, les banques centrales provoquent une hausse de l’endettement des ménages.»

Pour Florence Pisani et Anton Brender, les États doivent soulager la politique monétaire en recourant à l’endettement public pour éviter que l’épargne ne se concentre toujours au même endroit et favorise une bulle immobilière.

Ce qui permettrait de soutenir la transition énergétique des États, mais aussi des entreprises. «Les règles du jeu climatique sont loin d’être claires pour les entreprises. Et donc, il faut peut-être que les États prennent à leur charge une partie des risques que les entreprises ne prendront pas.»

«Nous ne voulons pas tomber dans l’étatisme», se défendent les deux économistes. «Nous disons seulement que l’État a dans ses missions celles de préparer l’avenir et qu’aujourd’hui, il y a de l’épargne qui est disponible pour le faire.»

Charge à eux de faire en sorte que l’épargnant puisse récupérer sa mise demain.

Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous mensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.