Discret à l’exception… des réseaux sociaux, Adrien Labi a finalement été rattrapé par la justice française début mars après sept ans d’enquête. (Illustration: Dall-e/OpenAI)

Discret à l’exception… des réseaux sociaux, Adrien Labi a finalement été rattrapé par la justice française début mars après sept ans d’enquête. (Illustration: Dall-e/OpenAI)

Le Parquet financier français a mis la main, la semaine dernière, sur «le fantôme du Triangle d’or», un millionnaire britannico-syrien, auquel il a saisi 461 millions d’euros en vue d’une éventuelle amende et de la régularisation de sa situation fiscale. Un sujet dans lequel est coincée Cardif Lux Vie.

Le «fantôme du Triangle d’or» n’est plus que l’ombre de lui-même. Non seulement Adrien Labi, millionnaire d’origine syrienne et titulaire d’un passeport britannique, a été arrêté par les autorités françaises, mais 17 des 25 propriétés qui sont dans son patrimoine immobilier ne sont pas situées dans le mythique quartier du Triangle d’or, bordé au nord par l’avenue des Champs-Élysées, à l’est par l’avenue Montaigne et au sud-ouest par l’avenue George V.

La semaine dernière, les autorités françaises ont fini par mettre la main sur celui sur lequel elles enquêtaient depuis près de sept ans à l’occasion d’une banale transaction. De Crans Montana ou Los Angeles, il ne venait plus en avion pour ne pas être interpelé dans un aéroport parisien, mais en voiture depuis d’autres aéroports continentaux. L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales avait ouvert une enquête en 2015 à la suite de deux plaintes de l’administration fiscale pour un défaut de paiement de l’impôt sur le revenu, l’impôt de solidarité sur la fortune et l’impôt sur la fortune immobilière.

Un patrimoine immobilier à plus de 1,7 milliard

Placé en garde à vue mardi dernier et visé par une information judiciaire le lendemain, il a été mis en examen pour fraude fiscale et omission de passation d’écriture comptable en 2010 et 2011, ainsi que pour fraude fiscale et blanchiment de cette infraction entre 2018 et 2022. La fraude fiscale n’était pas une infraction primaire du blanchiment jusque-là au Luxembourg, ce qui explique peut-être la longueur de la procédure. Présumé innocent au regard de la loi, il a été placé sous contrôle judiciaire avec une caution obligatoire dont le montant s’élève à 30 millions d’euros.

Le 24 février, ajoute le secrétaire général et chargé de communication du Parquet national français, le PNF avait ouvert une enquête préliminaire pour des soupçons de blanchiment en bande organisée de fraude fiscale aggravée, portant sur le remploi de plus-values immobilières non déclarées.

Au moment de la garde à vue, des saisies à hauteur de 461 millions d’euros ont été réalisées dans les deux procédures pour garantir le paiement d’une éventuelle amende et la régularisation de sa situation fiscale. Selon l’AGRASC, elles représentent une année entière de saisies à l’échelle de la France entière.

De 940 millions d’euros, en 2015, selon une longue et passionnante enquête que Le Monde lui consacrait alors, la valeur de son patrimoine immobilier est passée à 1,7 milliard d’euros, selon le dernier rapport annuel de la financière du Triangle d’or APS, la société danoise qu’il a enregistrée en 2008.

L’exemple le plus spectaculaire d’une opération récente tient dans la vente annoncée du 64-66 rue Pierre-Chaurron au Crédit Suisse pour 200 millions d’euros. Mais le montage financier entre Paris et Luxembourg ne témoigne pas du 25.000 euros le mètre carré souvent cité. D’abord parce que la banque suisse n’a communiqué que sur 32.000 m² sur les 76.000 m² de cette double adresse, mais aussi parce que le «64» reste dans le périmètre de la société danoise selon le dernier rapport annuel publié fin décembre.

Une convention fiscale, deux interprétations

Pourquoi aller en 2008 au Danemark? Probablement parce ce que son fiscaliste ou son avocat luxembourgeois lui ont conseillé de le faire. Avec la holding Paris Premier Properties (PPP), Adrien Labi avait commencé à enregistrer des sociétés au Luxembourg pour profiter d’un arrêt du Conseil d’État français puis de la Cour d’appel du Luxembourg qui avait introduit un doute dans l’interprétation de la convention fiscale entre les deux pays: chacun pensait que c’était à l’autre de taxer les revenus ou les plus-values de l’immobilier en France.

Seulement en 2008, un vent de panique s’empare du Luxembourg: la convention fiscale est renégociée et le législateur est plus précis sur l’endroit de l’imposition. De nombreuses études et de nombreux fiscalistes ont alors gentiment désigné le Danemark comme nouvel eldorado. Exactement pour la même raison: un flou sur la fiscalité de l’immobilier dans la convention entre les deux pays, la France et le Danemark.

À l’exception de PPP et de Tempolux (qui sera mise en faillite en 2019), l’homme d’affaires a déjà fermé les autres et s’engouffre dans la brèche pour les plus-values et les revenus de son parc immobilier. Il ne conserve PPP comme un pied-à-terre au Luxembourg que pour continuer à profiter d’un autre mécanisme: l’exonération de la taxation à 3% pour les biens qui seraient détenus dans une société contrôlée par une institution financière.

Cardif Lux Vie coincée par la procédure

Il garde PPP mais la confie à ABN Amro Life en deux temps trois mouvements: 30 décembre 2005, son trustee The Diamond Trust à Jersey transfère les 1.000 parts de PPP à la société d’assurance vie liée à ABN Amro; moins d’un moins plus tard, il souscrit à une augmentation de capital en prenant les 2.500 nouvelles parts via des apports en nature (des sociétés immobilières des deux côtés de la frontière); les nouvelles parts sont transférées à son trustee… qui les transfère à ABN Amro Life.

Au départ d’ABN Amro du Luxembourg, les assets tombent dans le giron de la BGL BNP Paribas, dont l’État est actionnaire à 35%. Les 3.500 actions de PPP passent d’ABN Amro Life à Cardif Life (le 14 juillet 2017) puis à Cardif Lux Vie (en avril 2021). Contactée, la compagnie d’assurance-vie répond qu’elle ne communique «aucune information sur une affaire judiciaire en cours». 

Si l’enquête a effectivement commencé en 2015 et que la compagnie a bien fait son travail, elle devait avoir connaissance du problème lié au contrat qu’ABN Amro Life avait conclu avec Adrien Labi. Et si ce problème avait été signalé au Parquet, il est tout à fait possible que la justice ait demandé à l’institution de maintenir le lien commercial avec le chef d’entreprise sans pour autant évoquer cela avec lui, en attendant que la situation se décante.

L’autre volet judiciaire…

Moins connu, Adrien Labi doit faire face à un deuxième volet judiciaire, en Italie. Notamment passionné de bolides, le millionnaire avait décidé de racheter la Fabbrica Blu à Campogalliano, le lieu mythique de fabrication des Bugatti en Italie. Après la fermeture et trois ans de travaux, l’usine avait été rouverte et inaugurée le 15 septembre 1990. Un an après, la supersportive EB 110 (pour Ettore Bugatti et 110 pour son âge), fabriquée en 128 exemplaires seulement, sortait de l’usine. Las, le succès de la monocoque au V12 de 3,5 l, quatre turbos capables d’atteindre 351 km/h – ce qui en fait le véhicule de série le plus rapide de son temps – prenait fin en 1995. 

12 EB110 garée devant la Fabbrica Blu, que M. Labi voulait acquérir pour en faire un musée à la gloire de la marque née en Italie. (Photo: Bugatti)

12 EB110 garée devant la Fabbrica Blu, que M. Labi voulait acquérir pour en faire un musée à la gloire de la marque née en Italie. (Photo: Bugatti)

L’ancien gestionnaire des installations Ezio Pavesi et son fils Enrico donnent bénévolement de leur temps pour entretenir les lieux mythiques. Jusqu’à ce qu’Adrien Labi décide de les racheter, via une autre structure luxembourgeoise logée à la même adresse, au 45 avenue de la Liberté, Fabbrica Blu, pour en faire un musée Bugatti.

Sauf que la transaction, qui semble avoir été signée, n’a jamais été honorée financièrement, indique l’ancien propriétaire Romano Artioli. Et les deux hommes sont devant la justice pour démêler l’avenir du site, ce qu’indiquait déjà le dernier bilan de la société luxembourgeoise.