Vous arrivez à Luxembourg-ville pour prendre les commandes du restaurant panoramique du rooftop du complexe Royal-Hamilius. Un projet très attendu, puisque les premiers locataires sont arrivés en 2019. Il doit y avoir pas mal de pression sur vos épaules, et une obligation de réussite immédiate?
Henry Hassid. – «Non, je ne ressens aucune pression. La Ville de Luxembourg s’est passée de nous pendant des années, nous ne sommes pas indispensables. Et il n’y a aucune frustration à arriver après les autres. Cet endroit était très convoité, et des bruits ont circulé au sujet de différentes enseignes pressenties pour en prendre possession. Ce n’est, au final, pas l’enseigne la plus connue qui s’installe, mais je peux vous promettre que tout va être mis en œuvre pour en faire, je l’espère, le plus beau restaurant du Luxembourg.
Quand avez-vous entendu parler du rooftop du Royal-Hamilius?
«J’ai créé ma holding personnelle en 2012 au Luxembourg. Mon activité étant le développement et la production de médicaments génériques, j’avais demandé à mon fils Maxime d’en prendre la direction et de commencer à internationaliser nos productions. Après huit ans de collaboration, il a décidé de voler de ses propres ailes et a créé un nouveau centre sportif (Sport4Lux, ndlr). En mars 2021, son architecte lui évoque le Royal-Hamilius et lui dit: ‘Tiens, puisque ton père a un restaurant à Versailles, il sera peut-être intéressé d’en ouvrir un au Royal-Hamilius’. Une heure après, Maxime m’appelle. Deux heures après, je contacte les responsables de Codic. Et, le lendemain, je fais une offre.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce restaurant?
«J’aime les projets uniques, quelques fois difficiles. Mais, en même temps, qui me permettent d’avancer dans la vie. J’ai toujours apprécié la restauration et j’ai acquis un restaurant il y a trois ans à Versailles. Le Bleue Blanche Rouge était moribond, mais affiche maintenant presque tout le temps complet. Et ce, avec peu de choses: une nouvelle stratégie, l’implication du personnel dans le développement, une déco rafraîchie…
Quelle est votre ambition avec le SixSeven de Luxembourg-ville?
«Ma première ambition, c’est de me faire plaisir. Ma seconde, c’est, comme déjà dit, d’en faire le plus beau restaurant du Luxembourg. La troisième, c’est – maintenant que je vis dans ce pays – d’écrire un nouveau chapitre de ma vie. J’y mets donc beaucoup d’énergie, beaucoup d’argent, et j’espère, avec mon équipe, qu’on réussira à développer une adresse incontournable au Luxembourg.
Vous avez signé au printemps 2021 et entamé des travaux en décembre de la même année. Le bâtiment construit par Codic était pourtant flambant neuf. Quels sont les aménagements entrepris?
«De mai à décembre, il a fallu mener énormément d’études autour du projet parce que ce bâtiment magnifique a aussi de très grands problèmes: rien n’est droit, il n’y a pas de murs, mais que des baies vitrées. De plus, nous prenions la suite de l’association Manko-Codic – restaurant qui devait s’installer voici trois ans. Nous avons été contraints de détruire 95% des travaux menés par les précédents locataires, tout simplement parce qu’ils avaient été très mal faits. Enfin, il a fallu trouver des solutions aux aberrations du bâtiment, comme les trois ascenseurs panoramiques qui montent jusqu’au sixième étage alors qu’il y en a sept, l’accès impossible pour les personnes à mobilité réduite. Il a donc été nécessaire de remettre tout cela en ordre.
«Très souvent, lorsque je suis allé au restaurant au Luxembourg j’ai trouvé qu’il y avait un certain nombre de choses qui pouvaient être améliorées.
Le cahier des charges de la Ville de Luxembourg prévoit que les terrasses du Royal-Hamilius restent des lieux publics. Comment composer avec cette contrainte?
«Effectivement, la terrasse au sixième étage sera accessible par tout le monde sous certaines conditions prévues dans un règlement d’ordre intérieur et aux heures d’ouverture des Galeries Lafayette. Ainsi, ce ne sera pas contraignant de permettre à chacun de venir se promener et de profiter de cette vue magnifique en toute sécurité et sans être importuné.
Quel est l’investissement consenti?
«Beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Mais je ne vois pas trop l’intérêt de donner le montant précis, qui se chiffre à plusieurs millions.
Le secteur horeca souffre actuellement d’une pénurie de main-d’œuvre. Comment cela impacte-t-il la constitution de vos équipes?
«Paradoxalement, cela n’a pas d’impact pour nous. Nous avons reçu des centaines de CV, réalisé des dizaines d’entretiens, et je pense que la constitution de notre équipe est en très bonne voie. Elle comptera une cinquantaine de personnes.
Comment comptez-vous vous distinguer de la concurrence?
«Premièrement, je pense que le restaurant bénéficie d’un emplacement unique. Ensuite, la décoration a été réalisée par le cabinet Jouin Manku, connu pour avoir décoré et agencé beaucoup de restaurants du chef Alain Ducasse. Surtout, il y a le choix d’un directeur, Thibaut Deltour, et d’un chef, Michele Tenzone, qui vont mener leur brigade de manière tout à fait efficace pour pouvoir offrir quelque chose d’exceptionnel dans l’assiette. Avec, en plus, un service irréprochable. Michele Tenzone a travaillé quelques années au Mosconi, puis à Macao, d’où il est revenu pour rejoindre le SixSeven. Il va pouvoir proposer cette double culture culinaire européenne et asiatique.
Thibaut Deltour était votre directeur dans votre restaurant versaillais. Il vient à Luxembourg pour y appliquer des méthodes qui ont fait leurs preuves?
«Non, ça ne sera pas la même recette, car le contexte n’est pas le même. À Luxembourg, Six et Seven sont deux établissements totalement différents: l’un est axé sur les tapas, et l’autre sur la cuisine gastronomique.
Qu’est-ce que votre projet peut apporter de nouveau à la scène gourmande luxembourgeoise?
«Je pense que c’est présomptueux de dire qu’on va apporter quelque chose de plus. Le plus important est de tout faire pour offrir une expérience client différente dans un endroit exceptionnel, avec une assiette exceptionnelle et un service irréprochable. Très souvent, lorsque je suis allé au restaurant au Luxembourg, j’ai trouvé qu’il y avait un certain nombre de choses qui pouvaient être améliorées.
Votre parcours d’entrepreneur ne vous destinait a priori pas à la restauration…
«En 1984, à la sortie de mes études, j’ai repris pour un franc symbolique Aérocid, un laboratoire moribond créé à la fin des années 30. Il avait une spécialité: le comprimé Aérocid destiné à lutter contre l’aérophagie et l’aérocolie. Assez rapidement, je me suis rendu compte qu’il fallait donner une autre direction à cette structure, et j’ai commencé à développer des médicaments ‘similaires’, qui sont devenus, en 1996, les médicaments génériques. Lorsque les laboratoires de génériques ont commencé se développer, j’avais une longueur d’avance dans la commercialisation de mes produits. En quelques années j’ai transformé ce laboratoire et je l’ai recentré sur les liquides non stériles, à savoir les sirops et les bains de bouche.
Aujourd’hui, la société ne s’appelle plus Aérocid. À la fin des années 90, ce produit Aérocid a été retiré du marché dans le contexte de la crise de la vache folle: il contenait des matières premières opothérapiques à base de bœuf. Heureusement, j’avais développé les produits génériques, sinon moi aussi je serai tombé dans les oubliettes de l’histoire. Aérocid est devenu H2 Pharma quand j’ai construit un nouveau site à Bois-d’Arcy, à partir de rien.
Votre usine pharmaceutique est installée en région parisienne et a été récemment agrandie. Vous n’envisagez pas de déménagement vers le Luxembourg?
«Le bâtiment fait l’équivalent de 12.000m2, soit deux terrains de foot. Cela va être difficile de déménager. Donc, en définitive, cette usine restera à Bois-d’Arcy.
Votre fils Maxime a travaillé pour H2 Pharma, puis pour le Bleue Blanche Rouge. Il dirige aujourd’hui une structure de loisirs couverte à Munsbach, Sport4Lux, et est administrateur du restaurant SixSeven ainsi que de la holding. Vous aimez travailler en famille…
«Pas spécialement, mais j’ai des rapports de respect et d’amour avec mes trois garçons qui sont plus qu’exceptionnels. C’est un bonheur de partager un tas de choses avec eux, que ce soit une course de karting, une négociation avec un fournisseur ou le lancement d’un restaurant.
Quelles différences identifiez-vous entre l’entrepreneuriat au Luxembourg et en France?
«Ce que j’aime au Luxembourg, c’est que les règles sont très carrées, on sait où on va. En France, ce qui est assez désagréable, c’est que les règles – qu’elles soient sociales, fiscales ou comptables – changent en permanence, et cette instabilité permanente est fatigante. Mais, aujourd’hui, j’arrive au Luxembourg avec une certaine expérience, un certain patrimoine. Je suis dans des conditions qui n’ont strictement rien à voir avec mes débuts en France, où j’étais sans moyens à la sortie de mes études en pharmacie. La seule chose importante est de s’adapter à son environnement. Quand on y parvient, on peut se sentir bien un peu partout et réussir.
Envisagez-vous de développer d’autres activités ici?
«Pourquoi pas, mais j’ai encore quelques activités en France que je dois mener à bien. Ma famille et mon entourage me disent que je mène un peu trop de projets et que je ne prends pas assez de temps pour moi. Nous allons tout d’abord faire aboutir le projet SixSeven et, ensuite, on avisera de nouveaux projets potentiels. Mais rien n’est à l’ordre du jour aujourd’hui.
Vous avez néanmoins d’autres sociétés au Luxembourg, notamment Liberty Racing pour les courses automobiles…
«Liberty Racing est une structure qui a pour but d’acheter, de vendre ou de louer tout ce qui gravite dans le giron des sports mécaniques et des véhicules d’exception. La course automobile et les belles voitures sont deux autres de mes passions. J’espère prochainement ouvrir un showroom pour présenter les motos et les voitures de cette société et qui sont, pour la plupart, des véhicules numérotés rarissimes au Luxembourg et en Europe.
Vous êtes également pilote… Comment est née cette autre vocation?
«De manière très peu originale, je pense que 98% des petits garçons rêvent de jouer avec des voitures, certains rêvent un peu plus de monter dedans et de gagner des courses. Il y a deux manières d’y arriver: soit avoir un parent qui aide avec une piste de karting ou un garage, soit travailler dur, gagner de l’argent et assouvir ensuite sa passion. Cela a été mon cas.»
Cette interview a été rédigée pour parue le 21 septembre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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