« À chaque fois que l’on fait un nouveau centre commercial, on offre des m2, mais cela ne correspond pas à la croissance de la masse monétaire pour y consommer», souligne Jean-Luc Calonger. (Photo: Cath Linkens)

« À chaque fois que l’on fait un nouveau centre commercial, on offre des m2, mais cela ne correspond pas à la croissance de la masse monétaire pour y consommer», souligne Jean-Luc Calonger. (Photo: Cath Linkens)

Le professeur Jean-Luc Calonger analyse l’émergence des nouveaux centres commerciaux et les difficultés rencontrées par les enseignes de retail dans le contexte actuel.

Au Luxembourg, 100.000m² de surfaces commerciales ont été prises en occupation l’an dernier, un cru historique marqué par les ouvertures des centres Cloche d’Or, Infinity Luxembourg, mais aussi Royal-Hamilius. Au premier semestre de cette année, l’indicateur pointe à quelque 8.500m² selon les données de JLL. Mais les investisseurs semblent toujours présents sur le marché, en témoignent le au début de cette année et celui d’ en novembre 2019. Le retail est-il pérenne? Tentative de réponse avec Jean-Luc Calonger, professeur en géomarketing et en géographie du commerce de détail.

Y a-t-il trop de magasins aujourd’hui dans nos villes et périphéries?

Jean-Luc Calonger. – «Pas dans les villes, mais globalement, les espaces en Europe occidentale sont sursaturés d’offres commerciales. Au Luxembourg, la vague des nouveaux centres commerciaux est assez récente. Mais en France, ils ont aspiré le commerce des centres-villes. Je crois que le centre Royal-Hamilius va aspirer les surfaces commerciales du centre-ville de Luxembourg. Toute la partie la plus éloignée du centre Royal-Hamilius va être de plus en plus vide ou avec des magasins de plus en plus bas de gamme. Le cœur névralgique du commerce va migrer vers le centre de Codic.

Au Mapic, cela fait trois ou quatre ans qu’on sent que le secteur de l’immobilier commercial est en crise. On n’a plus beaucoup d’acheteurs, les enseignes ne font plus de développements, etc. C’est un phénomène structurel, et pas conjoncturel. On a sursaturé. À chaque fois que l’on fait un nouveau centre commercial, on offre des m², mais cela ne correspond pas à la croissance de la masse monétaire pour y consommer.


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Vous dites qu’il n’y a plus beaucoup d’acheteurs: dans les boutiques ou pour les boutiques?

«Faire des m² commerciaux, c’est une logique de placement. Ce qui compte, c’est la valeur des murs. L’offre commerciale n’est jamais qu’un sous-jacent. Le promoteur loue les espaces, fait rentrer des loyers, revend le centre commercial avec l’intérêt des loyers payés par les enseignes qui l’occupent. Pour les promoteurs, l’enjeu est d’avoir une somme de loyers. Et quand c’est commercialisé, ils vendent. Ils vendent la promesse que tous les ans, on va gagner X millions d’euros en loyers.

On peut faire des centres commerciaux et des retail parks à l’infini parce que c’est un produit financier. Le problème, c’est que les commerçants se retrouvent dans une situation aberrante. Est-ce qu’on peut se permettre de ne pas être dans le centre de Codic par exemple? Non, parce que vis-à-vis de mes concurrents, je ne peux pas. En multipliant les points de vente, les enseignes réduisent la zone de chalandise potentielle sur laquelle rentabiliser les points de vente. Au plus on s’étend, au plus on réduit la zone de chalandise. À un certain moment, on se trouve dans une situation où on maintient les points de vente parce qu’on ne peut pas se permettre de perdre des parts de marché. Cela n’est pas rentable, et donc on observe une avalanche de redressements judiciaires, de faillites, etc.

Le Covid est un cache-sexe.
Jean-Luc Calonger

Jean-Luc Calongerprofesseur en géomarketing et en géographie du commerce de détail

De nombreuses enseignes et groupes font actuellement face à des procédures de réorganisation judiciaires, souvent justifiées par le coronavirus et l’impact du confinement…

«Ce n’est pas le Covid. Le Covid est un cache-sexe. On se sert maintenant du Covid pour justifier un problème qui était là depuis longtemps. Cela fait deux ans que le groupe Mulliez veut fermer ses enseignes textiles (Brice, Jules, Naf Naf, Pimkie, Camaïeu, etc.). Avant le Covid, on a vu les difficultés de Toys”R”Us, Blokker, Bart Smith, New Look, Orchestra. Tous ces gens-là n’ont pas vécu des difficultés à cause du Covid, mais ont multiplié les points de vente parce que leur réseau n’est pas rentable.

Le coronavirus a tout de même donné un coup d’accélérateur au télétravail, qui réduit de facto le passage dans les artères et centres commerciaux…

«Je confirme: là où il y a beaucoup de bureaux, et donc de télétravail, on a des chutes du flux de piétons et donc de clientèle. On voit que les flux piétons diminuent et le comportement des consommateurs a évolué.

Le développement du commerce en ligne figure aussi sur la liste des suspects souvent cités dans le déclin des commerces…

«On est aux alentours de 7% des achats faits sur internet. Cela a un impact, mais ce n’est pas non plus le bulldozer. 7%, c’est ça en moins, mais ce n’est pas non plus 50%. Par contre, on observe de nouveaux commerçants dans les centres-villes qui viennent du digital. Ils utilisent leur notoriété en ligne pour développer un réseau de boutiques. D’autres ne visent pas la vente physique, mais de toucher des gens en dehors de leur zone de chalandise virtuelle et capter davantage de followers.

Existe-t-il un seuil de rentabilité pour un promoteur? On voit quand même qu’il existe des centres commerciaux où les allées sont clairsemées et les cellules commerciales vides…

«Ça ne marche pas, mais c’est financièrement intéressant. À l’heure actuelle, les banques ne financent plus la construction de nouveaux centres commerciaux et n’achètent plus de centres commerciaux. En Belgique, les assurances se retirent aussi. Les derniers acheteurs disponibles, ce sont les fonds de pension. Les fonds de pension ont la caractéristique que le gestionnaire de fortune touche sa commission quand il a acheté le centre commercial. Ce qu’il ne dit pas, c’est que dans trois ans, quand les retailers pourront arrêter leur bail et partir, c’est là que les problèmes commenceront. À l’heure actuelle, le secteur qui attire le plus, ce sont les bureaux à long terme.»