Guy Daleiden: «Pendant des années, nous avons réalisé des coproductions minoritaires, attirant chez nous des professionnels étrangers qui ont transmis leur ‘know-how’ à nos Luxembourgeois.» (Photo: Tarantula Distribution/Edouard Olszewski)

Guy Daleiden: «Pendant des années, nous avons réalisé des coproductions minoritaires, attirant chez nous des professionnels étrangers qui ont transmis leur ‘know-how’ à nos Luxembourgeois.» (Photo: Tarantula Distribution/Edouard Olszewski)

Avant une cérémonie des Oscars, programmée dimanche et où le cinéma luxembourgeois est triplement nommé, Guy Daleiden, directeur du Film Fund Luxembourg, est revenu sur le fonctionnement de cet organisme dont la mission primaire est de développer le secteur audiovisuel luxembourgeois. 

Ce dimanche, deux coproductions luxembourgeoises sont en lice aux Oscars. D’un côté, dans la catégorie Meilleur film d’animation, on retrouve «Wolfwalkers», dans lequel le Film Fund Luxembourg a investi 1,9 million d’euros. Et de l’autre, on retrouve les deux nominations de «Collective» (Meilleur documentaire et Meilleur film étranger), que vous avez subsidié à hauteur de 200.000 euros. Quand on voit les retombées médiatiques de ce dernier long métrage pour un investissement qui n’est pas énorme, on peut presque parler de jackpot, non?

. – «Ça, c’est la loi du cinéma! Je me souviens, en 2014 à Los Angeles, après l’Oscar remporté par Laurent Witz et Alexandre Espigares pour leur court métrage ‘Mr Hublot’, nous buvions un verre au bar avec tout le monde autour de nous. Et les Américains nous demandaient: ‘Où se trouvent vos studios?’, ‘Combien de centaines de personnes ont travaillé sur ce projet?’… Et Laurent a dû expliquer qu’il travaillait dans un petit studio, avec une petite équipe… Et lorsqu’on a donné le budget du film, nos interlocuteurs sont tombés de leur chaise. Ils n’en revenaient pas. Le budget n’est donc pas gage de réussite. Il n’y a pas vraiment de règle en la matière. Mais certains films demandent un certain coût. L’important pour nous, c’est qu’il faut qu’on voie à l’écran les moyens que l’on a mis dans un film.

Après, en ce qui concerne ‘Collective’, c’est un film dont le budget total est d’un peu plus de 690.000 euros. Il a été tourné en Roumanie, où les coûts sont moindres, caméra à l’épaule puisque le thème du film le permettait. C’est un documentaire sur un sujet fort, mais qui n’impliquait pas de trop gros moyens.

La même chose est aussi un peu arrivée avec le film qui a remporté l’Ours d’or à Berlin, «Bad Luck Banging or Loony Porn», coproduit par la société luxembourgeoise Paul Thiltges Distributions. Là aussi, les retombées sont importantes au vu du subside consenti…

«Les exemples que vous venez de citer montrent bien la vivacité du secteur audiovisuel au Luxembourg: le ‘know-how’ qui est présent chez nous pour parvenir à mettre la main sur les bons projets, et la reconnaissance dont jouissent nos professionnels. Cette dernière permet qu’on leur fasse confiance sur des projets de cette qualité.

Il faut aussi évoquer certaines initiatives que nous avons prises au Film Fund. Nous avons, par exemple, depuis trois ans une aide financière sélective baptisée «Cinémas du monde», grâce à laquelle nous pouvons financer jusqu’à hauteur de 200.000 euros des réalisations en provenance de pays à faible capacité de productions audiovisuelles. Le but est donc de permettre à des producteurs luxembourgeois d’investir dans des œuvres de réalisateurs déjà reconnus sur le plan international, mais qui proviennent de pays à moindre capacité sur le plan cinématographique. C’est aussi une manière de créer des liens avec des artistes prometteurs, qui pourront peut-être mener à de plus grandes choses plus tard. Et c’est, par exemple, via cette filière que ‘Bad Luck Banging or Loony Porn’, long métrage du réalisateur roumain Radu Jude, est arrivé jusqu’à nous.

C’est quoi la moyenne de réussite dans ce genre de projets?

«En moyenne, je dirais que deux films sur cinq réussissent une très belle carrière. Avec ces œuvres-là, on sort des sentiers battus, des productions traditionnelles. Elles parlent de sujets différents, plus compliqués parfois. Mais elles connaîtront toutes une certaine résonance. Coproduire avec la Belgique, la France ou l’Allemagne, c’est très bien. Mais il faut être capable de sortir de ce circuit-là. On est à la recherche de nouvelles histoires à raconter.

Quand vous remportez un Ours d’or à Berlin, soit la récompense ultime dans l’un des trois plus grands festivals au monde, ce n’est pas le prix, ou même le retour financier, qui est important.
Guy Daleiden

Guy DaleidendirecteurFilm Fund Luxembourg

Quand cela marche, comme c’est le cas dans les films que nous avons évoqués, l’image du Luxembourg y gagne. Mais au-delà de ça, c’est également très important pour le développement du secteur cinématographique chez nous. Il faut penser aux implications que tout cela va avoir à moyen et long termes.

C’est donc une manière de préparer le futur?

«Exactement! Quand vous remportez un Ours d’or à Berlin, soit la récompense ultime dans l’un des trois plus grands festivals au monde, ce n’est pas le prix, ou même le retour financier, qui est important. C’est l’image que vous relayez à travers le monde. Les liens que vous pouvez créer grâce à ça. Notamment lorsque d’autres producteurs ou réalisateurs vont jeter un œil au générique, afin de savoir qui a travaillé sur ce film, et qu’ils vont se rendre compte que le Luxembourg est impliqué.

Il existe un ‘know-how’ présent chez nous pour parvenir à mettre la main sur les bons projets. 
Guy Daleiden

Guy DaleidendirecteurFilm Fund Luxembourg

Il ne faut pas oublier que la mission primaire du Film Fund Luxembourg, depuis sa création, est de développer notre secteur audiovisuel. Faire de l’argent au box-office n’est pas le but recherché, ce n’est qu’une sorte de bonus pour nous. Je sais que c’est un sujet sensible… Si vous prenez la loi, notre triple mission y est définie. La première est d’obtenir un retour économique, c’est-à-dire que l’argent que l’on attribue via nos aides doit revenir au Luxembourg via les dépenses faites. Il faut ensuite un retour culturel, c’est-à-dire mettre en avant la créativité luxembourgeoise. Et, enfin, il y a un retour social via l’engagement de professionnels luxembourgeois dans les projets subsidiés.  

Dans le cinéma luxembourgeois, on parle toujours de coproductions. Résultat, à l’international, on évoque rarement le côté «luxembourgeois» de ces films. L’exemple le plus frappant en ce moment est sans doute celui de «Wolfwalkers». Il y a une grosse presse sur le réalisateur du film, Tomm Moore, mais aussi sur le producteur irlandais, Cartoon Saloon. Moins sur Mélusine Productions, alors que pourtant plus d’un tiers du film a été réalisé au Luxembourg…

«Quand ‘Mr Hublot’ a remporté l’Oscar, c’était une production luxembourgeoise, réalisée par une société luxembourgeoise, avec un réalisateur luxembourgeois. À côté, il y avait une petite partie de la production qui était française. Mais le lendemain de la cérémonie, lors d’une réception chez le consul français à Los Angeles, ce dernier était tellement fier de cet ‘Oscar remporté par une coproduction française’ qu’il a oublié de dire dans son discours que le Luxembourg était majoritaire dans ce projet. Vous voyez où je veux en venir? Il est évident que chacun cherche à se positionner, à se mettre en avant.

Si l’on ne finançait que des œuvres à 100% luxembourgeoises, on aurait entre quatre et six films par an.
Guy Daleiden

Guy DaleidendirecteurFilm Fund Luxembourg

Le Luxembourg est, avec la Belgique, le champion de la coproduction. Cela fait partie de notre ADN. On ne peut pas survivre au Luxembourg sans ces coproductions. À cause de la taille de notre pays et de l’absence de marché. Si l’on ne devait réaliser que des œuvres 100% luxembourgeoises, il nous faudrait un budget cinq fois plus grand!

À quelle hauteur se situe ce budget?

«Il est de 40 millions d’euros, dont 32 sont réservés aux aides financières que nous accordons. Or, il faut savoir qu’un petit film au niveau européen, c’est 5 à 7 millions. Vous pouvez faire le calcul comme moi. Si l’on ne finançait que des œuvres à 100% luxembourgeoises, on aurait entre quatre et six films par an. Avec les coproductions, on monte à 20. Ce qui est important parce que cela permet à tout le secteur de travailler!

Après, il faut différencier les coproductions où le Luxembourg est majoritaire et celles où nous sommes minoritaires. Généralement, cela se joue avec la nationalité du réalisateur. Pendant des années, nous avons réalisé des coproductions minoritaires, attirant chez nous des professionnels étrangers qui ont transmis leur ‘know-how’ à nos Luxembourgeois. Et, désormais, il y a de plus en plus d’œuvres pour lesquelles nous sommes majoritaires. Mais on ne possède pas encore un réservoir de réalisateurs de talent tel qu’on pourrait en sortir 20 par année…»

Découvrez la première partie de l’interview de Guy Daleiden