David Wagner refuse de se leurrer: «Les questions sociales et environnementales ne peuvent se résoudre dans le consensus.» (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne)

David Wagner refuse de se leurrer: «Les questions sociales et environnementales ne peuvent se résoudre dans le consensus.» (Photo: Jan Hanrion / Maison Moderne)

Quel est l’avenir industriel du Luxembourg? Quelle place doit occuper ce secteur dans le développement économique? Qu’est-ce que l’industrie durable? Suite à l’échec du projet Fage, Paperjam a sollicité tous les partis luxembourgeois par rapport à ces questions…

Quelles sont les responsabilités dans le cadre de l’échec du dossier Fage?

. – «Il faut tout d’abord se demander si le retrait de Fage est à considérer comme un échec ou si, au contraire, on peut considérer ce retrait comme une chance pour un nouveau départ. Pour des raisons sociales et écologiques, on ne peut continuer comme avant: c’est-à-dire attirer n’importe quelle entreprise par le biais de faveurs fiscales sans se poser la question de son utilité sociale et des urgences climatico-environnementales, qui ne sont pas à prendre à la légère. Pour le coup, Fage ne remplissait aucun de ces critères. Il faut que la population continue à investir le champ économique et fasse pression, car les industriels et au moins une partie des pouvoirs publics font preuve d’une totale irresponsabilité.

Un dossier industriel peut-il encore faire consensus au Luxembourg?

«J’espère que de tels projets dont la plus-value sociale et écologique est nulle feront consensus contre eux. Mais il ne faut pas se leurrer: les questions sociales et environnementales ne peuvent se résoudre dans le consensus. Les intérêts entre profiteurs économiques et la population divergent trop pour cela. La population ne doit surtout pas s’attendre à ce que les ‘décideurs’ économiques et politiques prennent des décisions en faveur de ses besoins réels, car jusqu’à présent, ils ne l’ont pas fait. C’est la lutte qui doit être à l’ordre du jour et c’est la population, ensemble avec les organisations du salariat et environnementales, qui peut aussi proposer des alternatives.

Faut-il recréer un comité de concertation interministériel? Désigner un coordinateur entre les ministères? Un comité de concertation interministériel pour quoi faire?

«S’il s’agit de faire ‘avancer’ un projet comme Fage plus facilement, alors je ne vois pas son utilité. Non, je pense que la bonne voie est celle de la démocratie la plus profonde possible: c’est la population, et surtout la jeunesse, qui doit avoir son mot à dire sur l’avenir économique du pays et non pas ‘les 1%’ les plus privilégiés.

L’étude Rifkin peut être mise aux oubliettes. On ne peut pas prendre de décisions sérieuses en se basant sur une futurologie qui fait fi des différents rapports sociaux d’une société.
David Wagner

David Wagnerdéputé Déi Lénk

Le Haut Comité pour l’industrie créé en 2013 a-t-il encore du sens? Que pensez-vous de son action? Pourquoi toujours s’en remettre à des gens qui portent la responsabilité tant des inégalités sociales que des désastres écologiques?

«Ces gens-là nous mènent dans le mur. Non seulement ils sont incapables d’apporter les changements nécessaires, mais j’irais plus loin: ces changements en faveur des besoins de la population se feront aussi très clairement contre les intérêts des plus privilégiés, donc de ces grands chefs d’industrie.

L’étude Rifkin est-elle à mettre aux oubliettes?

«Oui. Si l’on veut réfléchir à l’avenir – et il faut le faire! –, alors mieux vaut inclure celles et ceux qui savent de quoi ils parlent et non pas un showmaster médiatique. Le Luxembourg dispose d’un tissu associatif et syndical très riche, de citoyen(ne)s engagé(e)s, ainsi que de véritables scientifiques. On ne peut pas prendre de décisions sérieuses en se basant sur une futurologie qui fait fi des différents rapports sociaux d’une société.


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Qu’est-ce que l’industrie du futur pour vous (production de panneaux solaires, production de systèmes d’épuration, chimie propre…)? Qu’est-ce que l’industrie durable à vos yeux?

«Il faut se mettre d’accord sur le terme durable: la durabilité n’a de sens que si elle s’inscrit dans la satisfaction des besoins réels de la population tout en préservant l’environnement de manière à ce qu’il permette une vie pérenne et agréable à l’humanité. Je pense qu’il faut procéder par étapes.

Primo, il faut se mettre d’accord sur le seuil des émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser établi par la science. Il faut évidemment être conscient que les mécanismes d’échange d’émissions carbone ou les mesures de compensation sont des solutions en trompe-l’œil.

Deuxièmement, il faut clairement établir que la réduction des émissions de ces gaz, ainsi que la réduction radicale de l’utilisation des énergies fossiles ne doivent pas se faire au détriment des populations les plus précaires. Ceci nécessitera alors une grande politique de redistribution des richesses.

Il faut troisièmement planifier démocratiquement les besoins réels de la population en sortant de la logique de la valeur marchande pour lui substituer la logique de la valeur d’usage. L’extension du domaine public en direction des métiers du ‘care’ sera une nécessité tant sociale, écologique et même féministe. Le développement des technologies propres doit être une priorité des autorités publiques (il faudra évidemment revenir sur la libéralisation de l’énergie). Ce qui est important, c’est que ces décisions ne peuvent pas être prises de manière bureaucratique et hiérarchique.

J’avoue être assez sidéré de voir à quel point le gouvernement fait preuve de nonchalance quant à la question du potentiel de nuisance démocratique des Gafam.
David Wagner

David WagnerdéputéDéi Lénk

Qu’est-ce qui a du sens au niveau des emplois industriels: le nombre? La spécificité? La technicité?... Que pensez-vous de l’affirmation de  (Déi Gréng) comme quoi l’industrie ne doit pas être là pour fournir des emplois frontaliers?

«La question du nombre, de la spécificité ou de la technicité des emplois à créer est secondaire par rapport à la finalité de toute activité économique (et encore moins la question de l’origine des salarié(e)s). Il faut quand même revenir aux fondamentaux. À quoi sert l’activité économique? Quels besoins satisfaire? Que faut-il abolir? Que faut-il créer? Que faut-il réduire et que faut-il étendre? Et aussi: de quelle manière produire? Et ce qui est tout autant fondamental: comment non seulement partager les richesses, ainsi que le temps de travail. Il est évident qu’il faudra le réduire massivement. À partir de ces questionnements, les autres questions relatives à la spécificité et la technicité en découleront. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

L’arrivée de Google à Bissen reste-t-elle une bonne idée?

«Au risque de paraître redondant, les principes qu’il faut appliquer à Fage s’appliquent aussi à Google. Le problème prend d’ailleurs une envergure supplémentaire. Si nous laissons de côté la question de la consommation d’énergie ou d’eau – qui fait l’objet d’informations au compte-goutte et contradictoires, bonjour la transparence! –, le problème fondamental de cette multinationale ne s’évapore pas pour autant. J’avoue être assez sidéré de voir à quel point le gouvernement fait preuve de nonchalance quant à la question du potentiel de nuisance démocratique des Gafam. Google n’est pas une société comme les autres. Pour assurer la démocratie, il faudra non pas soutenir les Gafam, mais les disloquer et mettre sous contrôle public le secteur numérique.

Pourquoi les plans sectoriels très attendus et annoncés de longue date ne sortent-ils pas du ministère?

«Très bonne question! Je suis persuadé que les talents d’enquêteur des journalistes de Paperjam pourront m’informer davantage, car nous sommes nombreux à nous poser la question!»

Ce vendredi, retrouvez les réponses de (DP).