La ministre fait du droit au temps partiel une de ses priorités. (Photo: Anthony Dehez)

La ministre fait du droit au temps partiel une de ses priorités. (Photo: Anthony Dehez)

Présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région, Corinne Cahen affiche de solides ambitions pour cette nouvelle législature. Ses priorités: promouvoir une société inclusive et permettre à chacun de concilier mieux encore vie familiale et vie professionnelle.

Retrouvez la première partie .

Est-ce que le Luxembourg a fait assez pour accueillir les réfugiés?

. – «On a des accords internationaux, on fait ce qu’on peut. Il ne suffit pas seulement de les accueillir, il faut aussi les intégrer. Mais je remarque qu’avec ce qui s’est passé les cinq dernières années, dès qu’on parle d’intégration et d’accueil, on parle aussitôt de réfugiés. Je vous rappelle qu’on a quand même plus de 10.000 personnes qui arrivent chaque année et qui ne sont pas réfugiées. L’intégration dépasse le seul sujet des réfugiés. C’est la raison pour laquelle on a séparé les deux dossiers, à la demande des associations, d’ailleurs, parce que les réfugiés ont des besoins spécifiques. Et ici, on va faire de l’intégration pour tout le monde. 

L’accord de coalition prévoit de s’appuyer davantage sur les communes pour faciliter l’intégration…

«Oui, car le premier point de contact avec le Luxembourg, c’est évidemment la commune. C’est là que se joue l’intégration. Il existe, par exemple, de super projets avec des ambassadeurs de bienvenue pour tous les nouveaux résidents de la commune, qu’ils soient étrangers ou non. Nous allons leur donner les moyens de mieux faire l’intégration. 

L’intégration est aussi un enjeu économique. Certains étrangers repartent dans leur pays à la retraite…

«C’est de moins en moins vrai. Beaucoup ne repartent pas, en fait, parce que leur vie est ici désormais. Ils y ont leurs enfants ou leurs petits-enfants.

POUR MOI, IL N’Y A PAS UNE SEULE DÉFINITION DE LA FAMILLE.
Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

Vous êtes ministre de la Famille. Quelle est votre vision de la famille?

«Ce sont des gens qui vivent ensemble. Pour moi, il n’y a pas une seule définition de la famille. Un père seul avec son fils, c’est une famille. Une grand-mère avec sa petite-fille, un couple, hétéro ou homo... ce sont là des familles. Et puis, une famille, c’est aussi quelque chose qui change, ce n’est pas forcément statique.

Quel bilan faites-vous du congé parental?

«Ça marche presque trop bien, du point de vue de mon collègue ministre des Finances, qui trouve que cela coûte très cher! [rires] Mais nous allons continuer à investir dans la work-life balance, car, de nos jours, il me paraît irresponsable, quand on a des enfants, d’arrêter complètement de travailler.

Le plus souvent, c’était la femme qui arrêtait, et du coup, si le couple se séparait, c’est elle qui se retrouvait dans une situation très difficile. Avec le congé parental, les femmes, mais aussi les hommes, peuvent passer du temps avec leurs enfants pendant une durée temporaire. Je note que cela correspond d’ailleurs à une attente chez les jeunes pères. Avec la réforme, le congé parental a en effet explosé chez les hommes. Autrefois, il n’y avait que les femmes qui le prenaient. Aujourd’hui, on est presque à égalité. Il faut dire qu’on a mis en place des formules de congé parental très satisfaisantes.

  (Photo: Anthony Dehez)

  (Photo: Anthony Dehez)

Travailler à 80% pendant 20 mois et avoir 20% de temps à la maison, c’est un vrai plus dans une famille avec de jeunes enfants. Et ce qu’on a remarqué aussi, c’est que certains couples, si l’employeur est d’accord, continuent sur ce rythme après. C’est très intéressant parce que, jusqu’à présent, après le congé parental, la femme prenait souvent un mi-temps et l’homme conservait son temps plein.

Là, les deux partenaires réduisent un petit peu leur temps de travail, pour passer plus de temps avec les enfants, en conservant chacun leur indépendance financière. C’est un levier qui devrait changer profondément les mentalités. Si un employeur, demain, ne fait plus la différence entre les hommes et les femmes, parce que les deux prennent un congé parental, ce sera une vraie mesure d’égalité.

Vous voulez par ailleurs introduire un droit au temps partiel?

«C’est ce qu’on appelait le ‘congé parental plus’ dans notre programme. Ce droit au temps partiel est une mesure à discuter et à mettre en place avec les partenaires sociaux. Nous voulons que les gens puissent travailler pendant une durée donnée à mi-temps et que l’État prenne en charge les cotisations retraite comme si la personne travaillait à temps plein. Et puis, nous voulons aussi que les entreprises ne soient pas pénalisées et que, dans ces cas précis, le recours au CDD puisse être plus long et adapté. Les pourparlers ne font que commencer.

Combien ça peut coûter?

«C’est difficile à dire. Cela dépendra de la durée de ce temps partiel, qui sera discutée prochainement avec les partenaires sociaux. C’est un chantier prioritaire que je souhaite faire aboutir dans le consensus.

LA WORK-LIFE BALANCE EST DEVENUE UN SUJET IMPORTANT POUR LES RECRUTEMENTS.
Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

Les entreprises ne sont pas très chaudes…

«Évidemment, mais elles ne doivent pas oublier qu’aujourd’hui, ce sont les gens qui choisissent les entreprises, et non plus l’inverse. La work-life balance est devenue un sujet important pour les recrutements. La façon de vivre et de travailler a changé. Je pense que si une entreprise veut conserver ses salariés, elle a besoin, en plus d’un bon climat de travail, de leur offrir une work-life balance adaptée, qui leur permette de consacrer du temps à leurs enfants. 

Quelle politique comptez-vous mener en faveur des familles monoparentales et des plus modestes?

«Depuis le 1er janvier, le Revis est en place. On donne plus d’argent par enfant dans les familles monoparentales. Mais, là aussi, il y a une différence entre les familles monoparentales qui peuvent compter sur une grand-mère, par exemple, pour garder les enfants, et celles qui doivent se débrouiller toutes seules.

Je pense aux femmes qui ont des horaires de travail atypiques, comme les femmes qui nettoient les bureaux ou les infirmières. Quand elles élèvent seules deux-trois enfants en bas âge, cela demande une organisation terrible. On a fait plein de choses pour prolonger les heures d’ouverture des crèches. On va aussi rendre gratuites les maisons relais pendant les périodes scolaires.

JE TROUVE INADMISSIBLE QU’AUJOURD’HUI, ON PÉNALISE LES GENS QUI NE SONT PAS MARIÉS OU LES FAMILLES MONOPARENTALES PAR RAPPORT À UN COUPLE MARIÉ.
Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

Corinne Cahen, présidente du DP et ministre en charge de la Famille, de l’Intégration et de la Grande Région

L’individualisation de l’impôt ne risque-t-elle pas de pénaliser les familles?

«Non. Je trouve inadmissible qu’aujourd’hui, on pénalise les gens qui ne sont pas mariés ou les familles monoparentales par rapport à un couple marié. Il faut aller beaucoup plus loin en matière d’individualisation.

Ce n’est pas à l’État ni au gouvernement de juger comment les gens vivent ensemble. Les vies changent. Il y a des mariages, des séparations, des couples qui se reforment avec de nouveaux partenaires. L’individualisation permet de mieux coller aux évolutions de la société. Les lois doivent s’adapter.

Vous sentez-vous féministe dans l’âme?

«Je me suis toujours sentie sur un pied d’égalité avec les hommes, donc je ne l’étais pas, mais je suis peut-être en train de le devenir. La première expérience où j’ai eu l’impression de ne pas être la bienvenue, c’est quand je suis devenue une membre élue de la Chambre de commerce. Je me souviens de la première assemblée plénière en 2009. Il y avait le président, le directeur, et que des hommes... à part moi.

Nous étions réunis pour analyser des documents sur nos demandes au gouvernement, et notamment une qui concernait la réduction du congé parental de six à trois mois. À la fin de la séance, quand ils ont demandé si quelqu’un avait quelque chose à dire, j’ai répondu « oui ». Ils me regardaient, l’air de dire: ‘C’est qui celle-là, et qu’est-ce qu’elle veut?’ Je leur ai expliqué que je n’étais pas du tout d’accord avec cette phrase sur le congé parental, et qu’il fallait, à l’inverse, le flexibiliser. C’était tous des hommes dont les femmes ne travaillaient pas pour élever leurs enfants, ils ne comprenaient pas de quoi je leur parlais! J’avais l’impression d’être une extraterrestre.

Nicolas Léonard (Journaliste Paperjam), Corinne Cahen (Présidente du DP) et Matthieu Croissandeau (Directeur éditorial, Maison Moderne). (Photo: Anthony Dehez)

Nicolas Léonard (Journaliste Paperjam), Corinne Cahen (Présidente du DP) et Matthieu Croissandeau (Directeur éditorial, Maison Moderne). (Photo: Anthony Dehez)

Ce qui est drôle, c’est que, quelques années plus tard, en 2014, la première fois que  est venu pour une discussion avec des représentants du patronat et le gouvernement, il m’a dit: ‘Corinne, c’est quand même dommage que tu ne sois pas avec nous de ce côté de la table.’ Je lui ai répondu: ‘Écoute, j’ai été pendant cinq ans avec vous, et vous ne m’avez jamais emmenée! Du coup, je me suis dit que j’allais essayer ailleurs. ‘[rires] Cela dit, je ne suis pas favorable aux quotas. Je ne vois pas pourquoi un homme qui se serait engagé toute sa vie quelque part devrait soudainement laisser sa place à une femme parce que c’est une femme. 

La parité n’est pas un sujet pour le DP?

«On avait 47% de femmes sur nos listes, donc presque la parité. Au centre, par exemple, sur cinq élus, il y a trois femmes.

Cela n’empêche pas la Chambre des députés d’être très masculine…

«Mais elle n’est pas représentative non plus dans bien d’autres domaines. Regardez combien il y a d’entrepreneurs, par exemple... Quand j’ai été élue en 2013, j’étais LA surprise. Une femme, entrepreneur, nouvelle en politique, venue du patronat. 

Vous avez des modèles ou des inspirations en politique?

«En politique, pas tellement, mais humainement, Simone Veil. Et j’ai toujours été une très grande fan d’Anne Sinclair. Pour ce qui est de la politique, au Luxembourg, on a eu plein de grandes dames au DP: Colette Flesch, ... Heureusement, il y a eu des femmes avant moi!