Coordinatrice du projet Waterwalls, Séverine Zimmer regrette l’excès de contraintes environnementales pour un projet culturel. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Coordinatrice du projet Waterwalls, Séverine Zimmer regrette l’excès de contraintes environnementales pour un projet culturel. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

À l’occasion de Waterwalls, Séverine Zimmer, fondatrice et directrice de Services for Creatives, explique le concept développé pour ce festival artistique qui se déroule dans un cadre naturel unique, les barrages de la Haute-Sûre.

Prévu initialement en 2020, le festival Waterwalls est réalisé à Esch-sur-Sûre par l’association Séibühn qui s’est adjoint les services de Séverine Zimmer (Services for Creatives) pour la coordination du projet. Durant tout l’été, des créations contemporaines d’artistes nationaux de renom servent de cadre aux performances artistiques qui se déroulent sur cinq scènes ouvertes placées à proximité des barrages. En dehors du programme des performances, les installations sont à découvrir pendant toute la durée du festival, installées dans un paysage exceptionnel et préservé.

Waterwalls est un festival artistique qui se réclame être en «culture circulaire». Pouvez-vous nous expliquer ce que recouvre ce terme?

Séverine Zimmer. – «Il s’agit d’être au plus proche des principes de l’économie circulaire pour un événement culturel, artistique en l’occurrence. Pour moi, ce principe de l’économie circulaire se résume assez simplement à retrouver du bon sens, à sortir du consumérisme pour retrouver notre rapport à la terre. Ce terme a le mérite d’inscrire le festival selon la base de l’économie circulaire, à savoir réduire, réutiliser et recycler.

Que signifie réduire ses besoins à l’échelle d’un festival?

«C’est partir du projet et se demander de quoi on a besoin. Au moment du jury de sélection des participants, nous avons été accompagnés par un expert en économie circulaire, Bruno Renders, qui a attiré notre attention sur différents points comme les matériaux envisagés, la consommation d’énergie, la logistique nécessaire… Chaque projet a été analysé selon ces critères de durabilité, et cette évaluation a compté tout comme peuvent compter la pertinence artistique de la proposition ou la faisabilité financière.

Pour autant, les candidats n’étaient pas pris au dépourvu sur ces questions puisque ces points d’attention étaient précisés dans le cahier des charges transmis au moment de l’appel à projets.

«Absolument, tous les participants étaient sensibilisés à cette approche, ils savaient qu’il fallait y répondre au mieux. Au moment de la candidature, ils étaient invités à prendre connaissance d’une annexe qui rassemblait les principes de l’économie circulaire et quelques exemples de best practices d’autres festivals. Nous les avons ainsi informés tout en les laissant libres dans leurs choix créatifs. L’objectif était de rendre les participants conscients de ces pratiques de bon sens dès la formulation du projet. Un accompagnement supplémentaire et plus précis en fonction des projets a été élaboré par la suite. Cela nous a permis de réfléchir, projet par projet, aux ressources nécessaires, d’obtenir le juste équilibre entre trouver une ressource à l’échelle locale et ne pas perdre en qualité. Car ces principes ne doivent bien évidemment en aucun cas désorienter les projets artistiques. L’objectif est de parvenir au minimum dont on a besoin sans nuire à la qualité artistique.

Le second pilier est le reuse. Pour ce point-là, on s’imagine facilement ce que cela implique pour les matériaux mis en œuvre.

«Cela passe effectivement par le réemploi des matériaux de construction des installations. Mais on peut aussi, si l’on a besoin d’une sonorisation par exemple, se poser la question d’une location à un prestataire de services qui viendrait de Luxembourg ou d’Esch, ou si l’on favorise le partage des ressources, demander plutôt au conservatoire de la région de nous prêter ce matériel.

Cette approche est certes vertueuse matériellement parlant, mais demande par contre beaucoup plus d’énergie et de temps pour l’organiser…

«C’est certain que cela coûte plus cher que de commander par internet, car cette démarche demande plus de temps pour trouver des partenaires, expliquer nos besoins. Mais c’est aussi très enrichissant, car c’est un temps fait d’échanges, de dialogue. On retire un vrai bénéfice à mettre en commun nos outils, nos matériaux, nos savoirs.

Avez-vous pu vous appuyer sur des réseaux existants?

«L’association Séibühn, qui est à l’origine de ce festival, nous donne accès au réseau d’associations fédérées par IMS Luxembourg. Cela nous a permis, par exemple, de passer des appels à leur réseau quand il nous manquait quelque chose. Mais il faut être conscient que faire appel aux entreprises locales est juste naturel dans cette région du pays. C’est comme cela qu’ils travaillent tout le temps. Ces contacts avec les partenaires, les plus locaux possibles, sont précieux et serviront aussi pour les futures éditions de ce festival, qui a encore un fort potentiel de développement. Car il faut aussi que nous soyons réalistes: nous faisons au mieux, mais aussi avec des limites, car l’économie circulaire est un autre monde, en complète opposition avec nos valeurs actuelles d’économie de marché qui sont purement capitalistes. C’est pourquoi on a dû annoncer à nos artistes qu’ils ne pourront pas travailler avec les ressources du centre de recyclage, car le cadre légal actuel ne le permet pas, à moins d’introduire des demandes d’autorisation qui ne sont pas réalistes par rapport à la durée de montage d’un projet comme celui-ci…

Le dernier pilier est celui du recyclage. Comment l’avez-vous abordé?

«Là, il faut se poser la question – qui est souvent oubliée – de la recyclabilité des matériaux utilisés, préférer certains matériaux à d’autres, privilégier des systèmes d’assemblage mécanique, essayer dès le départ de trouver une autre vie aux éléments mis en œuvre… On y arrive plus ou moins.

Portez-vous ces points d’attention non seu­lement sur les installations et les œuvres en elles-mêmes, mais aussi sur les infra­structures qui accompagnent le projet?

«Effectivement. Et pour cela, les agents des services techniques des communes sont très importants. Comme la commune d’Esch-sur-Sûre se trouve dans une zone Natura 2000, les agents techniques sont sensibilisés à ces questions environnementales et de préservation des ressources. Ils cherchent des solutions à nos questions. Cela se construit dans un dialogue. Ils mettent par exemple à notre disposition des poteaux en bois qui servent normalement en hiver quand il y a de la neige. Avec la collaboration de Jan Glas et des étudiants du Lycée des arts et métiers, on a trouvé un système réversible pour intégrer notre signalétique dans ces poteaux. On a également développé une réflexion pour les outils de communication, comme les bâches du festival qui sont imprimées sans date pour être réutilisables dans les années à venir, et réalisées sur des matériaux sans PVC. Je précise également que nous souhaitons être labellisés Green Events et donc que nous suivons la charte adéquate. Être proche des principes de l’économie circulaire dans cette région n’est pas si compliqué, car beaucoup d’éléments sont déjà en place. Il faut juste veiller à ce que les phases de préparation puis de développement du projet aillent dans la bonne direction.

Est-ce qu’animer ce territoire fait partie des enjeux du festival?

«Cela n’était pas clairement défini au départ, mais cela se révèle être le cas. Un tel festival, avec son envergure, anime évidemment le territoire. Et cela se fait avec la complicité des acteurs locaux, en co-conception. Le projet de Serge Ecker, par exemple, se construit avec l’aide des scouts, dans les ateliers communaux et les morceaux de tissu vont être teintés lors d’un atelier avec une maison relais et cousus avec le club senior. Pour le projet de Justine Blau, nous avons travaillé avec le Naturpark, et pour celui de Marco Godinho, c’est le Centre d’initiative et de gestion régionale (CIGR) de Wiltz qui nous aide. Ces collaborations sont très importantes, car qui s’associe à la phase de construction porte déjà le projet.

Ce festival est en fait l’héritier d’une autre initiative, le festival Séibühn, qui est aujourd’hui arrêté. Pourquoi?

«Le festival Séibühn était actif entre 2013 et 2015, et avait un autre objectif. Il s’agissait de présenter des concerts dans ce cadre exceptionnel du lac de la Haute-Sûre. L’organisation souhaitait, à terme, recevoir une autorisation pour construire une scène sur le lac. L’idée était de proposer, à l’occasion du festival, une programmation de qualité attirant du monde et validant, par l’intérêt et le succès, la né­ces­sité d’avoir une scène sur le lac. Mais les choses ne se sont pas déroulées ainsi, car la nature est très protégée au Luxembourg, et en particulier l’eau.

Une protection qui, cette année encore, vous pose problème, puisque le projet phare du festival a été interdit et a dû être, par conséquent, entièrement repensé.

«La loi, comme elle est écrite, impose une rigidité qui ne confère aucune interprétation. Elle impose une application pure et simple du règlement qui ne laisse aucune place à la particularité. Pour travailler avec la nature, il faut avoir une compréhension de ses particularités. Pour travailler la culture au sein de la nature, il faut avoir la compréhension de ces deux domaines spécifiques. Or, nous sommes confrontés à une administration purement procédurière, qui nous oblige à appliquer la modification d’un règlement grand-ducal de manière immédiate et sans aucune dérogation possible. Ce qui nous contraint en effet à transformer complètement le highlight du festival.

En quoi consistait ce projet?

«Il s’agissait d’appliquer l’idée d’une boule disco au contexte du barrage. Les artistes avaient imaginé travailler avec plusieurs centaines de CD positionnés selon un plan courbé et qui reflétaient les rayons du soleil sur l’environnement. Une production artificielle, tout comme l’est le barrage, qui joue de manière poétique et aléatoire avec son environnement.

Pourquoi cette œuvre est-elle interdite?

«Parce que le nouveau règlement grand-ducal classe le barrage et ses abords en zone 2A, ce qui correspond à une zone où l’on ne peut plus, d’après l’article 8.3, organiser ‘de manifestations culturelles et sportives, fêtes, marchés…’. Or, cette intervention artistique est considérée par l’administration comme une manifestation culturelle et ne peut donc pas avoir lieu.

Mais est-ce correct de considérer cette installation comme une manifestation culturelle?

«Personnellement, je ne le pense pas. À mon sens, cette installation ne va pas provoquer des rassemblements de foules qui vont piétiner les biotopes existants, mais plutôt susciter l’émerveillement et la contemplation quelques minutes, calmement, et les visiteurs poursuivront leur chemin, tout comme les promeneurs habituels du site. Mais c’est «non», parce que c’est le règlement, et que la culture et l’art ne font jamais partie des lois. Au-delà de la déception et de la frustration que cela représente, il y a des conséquences économiques et financières. Nous devons mettre à la poubelle un an et demi de travail, sans aucune compensation. Et on nous suggère de concevoir un nouveau projet sur un autre site en deux semaines, ce qui témoigne bien de la totale méconnaissance de ce qu’est la réalisation d’un projet artistique in situ.

Selon vous, quelle serait alors la réponse adéquate?

«Je ne remets pas en cause l’application de ce règlement, qui était par ailleurs attendu et nécessaire, mais je pense que, dans une telle situation, l’exception culturelle doit pouvoir être considérée. Ce qui est une réalité dans les pays voisins, comme la France ou l’Italie, n’existe absolument pas au Luxembourg. La culture ne fait même pas vraiment partie des valeurs de notre société. C’est là tout le problème. La ministre de la Culture actuelle tente de rattraper le temps perdu ces dernières années, mais il est évident que la culture n’occupe pas encore la place qu’elle devrait avoir dans notre société. De tout cela découlent les difficultés que nous rencontrons, car nous sommes soumis à appliquer un règlement qui n’accepte aucune exception. Et nous ne sommes pas les seuls à en faire les frais, puisqu’une étape du Skoda Tour (la course cycliste Tour de Luxembourg, ndlr) a aussi dû être annulée pour la même raison.  

Comment mettre en pratique cette exception culturelle?

«Les projets culturels, par nature, ne rentrent pas facilement dans les cases. Il serait intéressant, voire indispensable, d’avoir une cellule spécifique qui prenne en charge l’analyse des projets culturels et interprète les règlements en vigueur. La protection de la nature est tout à fait louable, mais elle est devenue tellement restrictive qu’on se prend les pieds dedans. On manque de flexibilité et d’un raisonnement sain et mesuré. Grâce aux dernières élections, l’environnement a pris une place bien plus importante dans notre société, mais il me semble nécessaire d’avoir aussi des cellules appropriées, avec des personnes sensibles à la fois à la culture et à l’environnement, pour conseiller le ministère de l’Environnement.

Vous rencontrez certes un problème avec Waterwalls, mais pensez-vous qu’il y ait un besoin aussi grand qu’il nécessite la mise en place d’un tel cadre?

«Oui, je le pense. On va aussi avoir des soucis dans le cadre d’Esch2022 par exemple, où il y a également des projets qui se déroulent dans des cadres naturels. Pour le projet Loop que je réalise avec la commune de Sanem, sur neuf projets présentés, il nous est demandé de réaliser deux études d’impacts environnementaux. Si la commune n’était pas à nos côtés, jamais nous ne pourrions financer ces études qui coûtent, approximativement et en fonction des cas, entre 5.000 et 25.000 euros. Et à cette charge financière conséquente, il faut ajouter un investissement de travail supplémentaire pour les porteurs de projets. Le risque est de se retrouver face à un problème de diversité culturelle, car les petits acteurs, les asbl qui façonnent notre tissu culturel en région, ne vont plus pouvoir réaliser de projets à cause de ces lourdeurs administratives. C’est donc très pervers, car d’un côté on protège l’environnement, mais de l’autre on tue les manifestations culturelles. Si l’on veut permettre qu’il y ait encore de la vie en dehors des espaces autorisés, c’est-à-dire en dehors des musées ou des institutions culturelles, il faut faire évoluer les choses.»

Cet article a été rédigé pour   parue le 24 juin 2021.

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