Cyril Molard, chef du restaurant deux étoiles, Ma Langue Sourit. (Photo: Edouard Olszewski)

Cyril Molard, chef du restaurant deux étoiles, Ma Langue Sourit. (Photo: Edouard Olszewski)

Chef de l’année au Gault&Millau Luxembourg 2020, seul chef doublement étoilé au Luxem­bourg pour le Michelin 2020… Cyril Molard plane au-dessus des cuisines du pays. Mais le patron de Ma Langue Sourit à Moutfort n’en oublie pas d’où il vient. Il passe à table pour une interview très personnelle.

Retrouvez la première partie de ce grand entretien .

Quelles ont été les surprises, bonnes ou mauvaises, depuis la reprise du restaurant en 2008?

.- «Les murs nous appartiennent désormais depuis deux ans. En nous débrouillant, nous avons réussi, en huit ans, à acquérir l’ensemble.

Le plus dur est forcément l’élément financier?

«Bien sûr. On ne fait pas ce métier pour gagner énormément d’argent, mais avant tout pour créer quelque chose. Les paramètres sont nombreux et difficiles, comme engager des gens, ce qui coûte de plus en plus cher, les clients qui sont exigeants… Mais pouvoir présenter une entreprise saine, qui ne perd pas d’argent, nous ­permet de nous dire que nous prenons un chemin correct.

Vous êtes-vous entouré de gestionnaires pour compléter votre approche artistique?

«C’est ma femme qui assure la gestion. Nous ne sommes pas des gestionnaires. Nous essayons de réfléchir, avec l’aide de comptables, mais nous n’avons jamais été des immenses calculateurs pour faire du ­profit. Nous avons beaucoup travaillé, en faisant les choses justes, sainement, ce qui nous a permis d’acheter ce bâtiment.

C’est une sorte d’équation. Si le restaurant va dans le bon sens, que les gens viennent chez toi et que tu gères correctement tes menus et tes finances, la maison peut rouler. Tout est imbriqué. On vit un truc un peu fou à notre niveau, c’est parfois presque trop beau. Et les gens nous récompensent en plus!

Je n’ai jamais cherché à me montrer pour me montrer. J’ai des amis cuisiniers via l’association Foodamental, mais pour le reste, je bosse. Et puis je rentre chez moi.
Cyril Molard

Cyril MolardchefMa Langue Sourit

C’est un rêve éveillé…

«La réalité du métier nous rattrape vite, mais c’est via les retours externes que l’on se rend compte de ce que représente le restaurant. Nous sommes peut-être trop modestes. Je ne sors pas, je ne vais à aucun cocktail, je n’ai pas de réseau important… Je ne fais pas ça. Je n’en ai pas envie. Je n’ai jamais cherché à me montrer pour me montrer. J’ai des amis cuisiniers via l’association Foodamental, mais pour le reste, je bosse. Et puis je rentre chez moi.

Vous souvenez-vous de l’origine de votre motivation profonde pour la cuisine?

«J’y suis venu par la charcuterie en travaillant chez mon père et en passant un CAP. Dès que j’ai démarré dans le métier, je me suis senti à l’aise. Mais je voulais plutôt faire du sport, du football ou du handball, disciplines dans lesquelles j’avais un bon niveau. Pour mon CAP passé à Nancy, j’ai été deuxième de ma promotion en Lorraine et premier dans l’Est de la France pour le BP. C’est ensuite que j’ai été faire la cuisine.

Comment est venue votre envie d’être un team player, vous qui gérez une équipe d’une douzaine de personnes?

«Je ne suis pas un team player. Je suis avant tout quelqu’un d’hypersensible. Je ne suis pas un super manager. Comme pour le restaurant, je n’ai pas de stratégie, mais je parle. Je parle avec mon cœur, tant dans les bons que dans les mauvais moments. Les gens qui me connaissent savent qu’il n’y a jamais rien de méchant chez moi, et ils me suivent pour ce que je suis et pour la cuisine que je propose.

Vous êtes-vous entouré de conseillers externes pour améliorer le volet management de votre fonction?

«Je sais que ce qui me manque, c’est un peu de dialogue. Mais je ne veux pas entrer dans l’optique des consultants, des bouquins sur le management… J’ai compris que je devais m’ouvrir plus qu’avant, que je ne devais plus forcément décider tout seul des recettes.

Vous pouvez manger un excellent poulet rôti dans une brasserie, ça sera l’excellence! Mais excellence ne rime pas avec chic. Dans la vie, l’excellence, c’est la franchise et l’honnêteté.
Cyril Molard

Cyril MolardchefMa Langue Sourit

À quel moment vise-t-on l’excellence dans son travail?

«Nous n’avons jamais prétendu être dans l’excellence. On a juste travaillé beaucoup pour avancer dans notre travail et toucher cette excellence. C’est un état d’esprit pour progresser. Il arrive aussi que l’autoroute de la progression personnelle croise celle de l’excellence…

Qu’est-ce qui caractérise alors l’excellence?

«L’excellence, cela veut tout et rien dire. Vous pouvez manger un excellent poulet rôti dans une brasserie, ça sera l’excellence! Mais excellence ne rime pas avec chic. Dans la vie, l’excellence, c’est la franchise et l’honnêteté.

Honnêtement, la recherche d’une étoile peut aussi devenir un objectif…

«Je suis quelqu’un qui est toujours dans la réflexion, j’ai des doutes sur plein de choses, ce qui peut être hyper fatigant. C’est un melting-pot d’émotions en perma­nence. Je sais d’où je viens. Mais je doute tout le temps.

Savoir d’où l’on vient permet de garder les pieds sur terre.

«Je n’ai pas l’intention de m’envoler(!) Je veux rester authentique. Je veux vivre mon métier avec ces émotions-là.

Quel regard jetez-vous sur le Luxembourg, qui a tellement évolué depuis 2008?

«Nous avons ouvert ce restaurant sans ­parler le luxembourgeois, et les gens ont toujours été vraiment gentils avec nous. La clientèle est belle, le pouvoir d’achat permet aux personnes d’aller au restaurant. Nous n’aurions pas avancé aussi vite si nous avions ouvert ailleurs.

Que pourraient faire les autorités pour vous aider?

«Pour lancer un pavé dans la mare, je dirais tout simplement que lorsqu’on organise une représentation nationale à l’Expo 2020 de Dubaï, il faudrait mettre en avant sur le pavillon des chefs qui font vraiment avancer le Luxembourg. Et pas un pâté au riesling avec des gens de l’école hôtelière.

Nous avançons pour le Luxembourg, nous mettons le pays en avant, je fais travailler des gens ici, je paie mes impôts ici, mais on ne veut pas de nous… c’est très décevant. On a l’impression de gêner alors qu’on apporte une valeur ajoutée. C’est un dysfonctionnement.

Vous demandez de recréer des liens avec l’école hôtelière, qui représente aussi un vivier de jeunes talents pour vous?

«Je demande d’abord que l’on puisse se parler avec honnêteté, ça serait pas mal. Et reconnaître qu’il n’y a pas de chef étoilé luxembourgeois. Mon restaurant est ce qu’il est, ça fait 11 ans que je suis installé, mais je n’ai jamais participé à un seul jury dans une école hôtelière luxembourgeoise. On ne me l’a jamais demandé.»