Le CEO d’Evercomm, Chiu-Hao Chen (Ted), à Singapour, en train de montrer comment fonctionne NXmap. (Photo: Evercomm)

Le CEO d’Evercomm, Chiu-Hao Chen (Ted), à Singapour, en train de montrer comment fonctionne NXmap. (Photo: Evercomm)

-30% d’émissions de carbone, -40% de consommation d’énergie, -30% de capex et -15% d’opex, le tout plus rapidement et avec moins d’efforts: les promesses de la pépite de Singapour, Evercomm, ont tout pour conquérir l’Europe. Arrivée au Luxembourg sous la conduite d’un de ses ingénieurs, Cherif Assaf, et de l’ancien journaliste et ex-membre de Luxembourg for Finance, Sascha Bremer, elle propose une plateforme unique pour la transition verte.

Cherif Assaf ne tourne pas autour du pot. Mais du port. Du port de Singapour. C’est là, raconte l’ingénieur d’origine égyptienne, que tout a commencé. «J’ai été embauché pour le port de Singapour. Dans les années 1980-1990, c’était le gros poumon de l’économie singapourienne», commence le directeur du Nanyang Technological University – Energy Research Institute, avant de demander à élargir le contexte, histoire qu’au Luxembourg, on comprenne bien comment fonctionne ce pays trois fois plus petit et dix fois plus peuplé.

«Singapour est depuis un certain temps déjà beaucoup plus avancé qu’un tas d’autres pays au monde. Notamment, il y a des années qu’ils ont une stratégie de décarbonisation et d’électrification. Une stratégie autour de l’intelligence artificielle. Et, surtout, une stratégie qui consiste à être le plus autonome possible en énergie puisque tout est lié», explique l’ancien VP de Schneider Electric et directeur de Philipps Lighting. «Dans un monde où il n’y a pas assez d’ingénieurs, la question était de savoir comment décarboner et électrifier aussi efficacement et rapidement que possible.»

«Singapour est très fier de ses capacités, mais ne lance aucun projet s’il n’y a pas un payback financier direct», précise l’ingénieur. «Singapour est géré comme une entreprise. Ils n’ont pas de dette. Et même 600 milliards de dollars singapouriens [428 milliards d’euros] dans leur fonds souverain. Juste en dessous du Premier ministre, il y a un ‘Premier ministre office’, l’endroit où se retrouvent d’un côté les grands métiers – l’énergie, la finance, etc. – et de l’autre les technologies. De quoi se demander pour chaque projet: quels seront mes besoins en compétences? Quelles sont les entreprises que je devrais soutenir? Quelles sont les technologies que je devrais mettre en avant? Si vous regardez les profils des ministres, vous verrez des ministres très compétents, qui ont des formations solides et qui comprennent les sujets.»

18 millions de dollars en recherche et développement

Et puis, doucement, le sujet se resserre. «À l’horizon 2050, ils veulent savoir quel sera leur meilleur mix énergétique: il y aura du renouvelable, du nucléaire, du gaz et d’autres sources typiques de Singapour, comme la géothermie, parce qu’à 800 mètres sous le sol, il y a de fortes températures», dit M. Assaf. «Une fois qu’ils ont eu cela, ils ont voulu savoir comment décarboner leur écosystème. Il leur fallait cibler les grandes infrastructures consommatrices d’énergie, comme les ports et les aéroports. À Singapour, ce sont 120.000 bateaux qu’il faut charger et décharger chaque année. Il y a les villes nouvelles, les gros polluants comme le pétrole ou encore les acteurs du secteur pharmaceutique, comme Novartis. Ils ont exigé que ces secteurs soient décarbonés. Puis, pour compenser, il leur a fallu penser à électrifier. Ils ont donc introduit une taxe, que vous devez payer avant d’acheter une voiture, de 130.000 dollars pour une voiture à essence, contre 80.000 dollars pour une voiture électrique. Le basculement se fait immédiatement. Encore faut-il aussi construire une infrastructure pour recharger les voitures électriques. Pour ses 7 millions d’habitants, Singapour a besoin de 100.000 chargeurs. De chargeurs rapides, parce que si tout le monde devait charger chez soi, cela créerait des tensions sur le réseau. Mais pour 100.000 chargeurs qui doivent avoir entre 50 et 300kW, il faut aussi savoir gérer le réseau. Il faut avoir un bon logiciel et un bon système de gestion du réseau électrique, qu’il soit assez flexible pour répondre aux besoins. Ensuite, si aujourd’hui on produit de l’électricité et on en consomme une partie, il faudrait pouvoir stocker ce qu’on ne consomme pas pour les moments où on en a besoin, tout en permettant à ceux qui financent les infrastructures d’avoir une bonne vue sur les prix de l’électricité à chaque instant, sinon, ils feront faillite.»

Le programme de Singapour a coûté 18 millions de dollars en recherche et développement. Et il a été testé sur différentes infrastructures, raconte-t-il. Dont celle d’Amazon. «Et l’implication d’Amazon est cruciale, parce que c’est un très gros consommateur d’énergie et que leur consommation augmente de 12% par an. Avec l’intelligence artificielle, on ne sait pas encore jusqu’où cela ira… Alors, reprenons la calculatrice. Si la consommation de ces acteurs est multipliée par cinq et que chaque data center consomme 1GW, soit la moitié de la production d’une centrale nucléaire, Singapour a compris qu’elle aurait un très gros problème à court terme. Elle a donc exigé d’Amazon qu’elle fasse de gros efforts de décarbonation, soit deux choses: contrôler ses émissions et trouver des voies pour les réduire. Alors, si vous considérez que zéro carbone, c’est de la science-fiction, Singapour a mis sur pied une usine d’ammoniaque vert et cela a permis de produire de l’hydrogène. Amazon a construit un prototype d’utilisation de cet hydrogène… et a compris. Un deuxième projet a été lancé, de capture du carbone et d’utilisation du carbone pour refroidir des bâtiments. Au lieu du fréon, on a utilisé ce produit pour refroidir et cela a réduit la production de carbone de 60% tout en utilisant l’autre, transformé!»

Trois normes ISO et Veritas, le vrai élément différentiateur

«Et c’est là que ça devient intéressant: si vous voulez réduire votre empreinte, vous devez anticiper. Et les méthodes statistiques ne suffisent pas pour se rapprocher assez près de la vérité finale. Il faut passer par des méthodes probabilistes et de l’intelligence artificielle. L’approche stochastique permet de faire des projections probabilistes à court terme, avec un taux de réussite de 80%», dit l’ingénieur.

«Prenons un exemple», intervient enfin son associé dans Evercomm EMEA, Sascha Bremer. «Vous avez une piscine à chauffer. Elle peut utiliser de l’électricité, des panneaux solaires, une pompe à chaleur, parfois plusieurs de ces technologies entre lesquelles il faut naviguer. Parfois, le soleil suffit. Mais pour optimiser le chauffage de la piscine, il faut savoir comment chaque source peut produire et comment elles peuvent se combiner entre elles.»

«Nous avons mis sur pied une plateforme qui permet de déterminer l’empreinte carbone d’une entreprise», reprend M. Assaf. «Mais au lieu de discussions interminables, nous avons décidé de nous appuyer sur trois normes ISO: 14064, 14067 et 14068. Et si les discussions sont compliquées, c’est que beaucoup d’entreprises ont mis sur le marché des produits liés à leur développement hors normes et que maintenant, ça coûterait trop cher de tout remettre aux normes. Ensuite, nous sommes allés faire certifier notre plateforme par Veritas. La deuxième couche que nous avons ensuite développée est un outil ‘net zero’. L’outil planifie la transition énergétique en modélisant les systèmes énergétiques. Quels que soient les appareils dans une entreprise ou une entité, nous pouvons modéliser ces éléments. Nous en avons déjà intégré 6.500, en prenant, dans chaque catégorie, les meilleurs du marché et les plus vendus. Dans l’entreprise, on peut alors calculer le meilleur plan pour émettre le moins de carbone possible, parfois avec différents scénarios en même temps. L’outil permet de réduire les émissions de carbone jusqu’à 40% et de tout planifier jusqu’à dix ans. Cela permet aussi, du coup, de préparer ses investissements pour acheter de nouvelles technologies qui auront le temps d’être amorties, etc. Des entreprises comme Shell, Amazon ou Novartis utilisent notre outil.»

Nova!, la suite logique

La solution d’Evercomm – qui appartient en partie à Mitsubishi pour qui elle travaille aussi – est donc une plateforme à trois produits, NXmap (pour mapper les émissions des scopes 1, 2 et 3), NXops (pour monitorer l’efficacité énergétique et l’empreinte carbone) et NXplan (pour la mise en œuvre d’une stratégie, surtout en termes d’investissements en capex et opex).

Désignée comme une des trois greentech les plus prometteuses à la COP28 de Dubaï, Evercomm reste étroitement liée à l’État de Singapour. Associée à la Banque centrale, elle poursuit le développement d’un prototype qui parlera au Luxembourg: sa technologie aidera les banques à exploiter l’intelligence artificielle lors de l’émission de prêts liés au développement durable dans le secteur immobilier, donc d’établir l’écoblanchiment (aujourd’hui estimé à 50% des prêts), de vraiment mesurer la performance en matière de développement durable et de permettre aux gestionnaires de relations des banques, aux équipes KYC et aux unités de financement durable d’extraire rapidement, automatiquement et avec précision des informations sur la durabilité, telles que les émissions totales de gaz à effet de serre d’une entreprise, à partir de diverses sources.