Eva L’Hoest, «The Mindful Hand», vue d’exposition (Photo: Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2025)

Eva L’Hoest, «The Mindful Hand», vue d’exposition (Photo: Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2025)

Le Casino Luxembourg organise la première exposition institutionnelle d’Eva L’Hoest. Un travail qui navigue entre expériences analogiques et approches numériques pour interroger la production d’images aujourd’hui et notre rapport à celles-ci.

L’artiste belge Eva L’Hoest (née à Liège en 1991) présente au Casino Luxembourg une série d’œuvres produites spécifiquement pour l’exposition «The Mindful Hand». À travers ces œuvres, elle interroge notre perception des images, questionne la narration qui est de moins en moins linéaire et le processus de production des images qui est désormais fortement dépendant des outils numériques et de moins en moins produit par la main.

En introduction à l’exposition, les visiteurs découvrent une sculpture noire grand format qui se présente comme un haut-relief. Il s’agit d’une sculpture réalisée à l’aide d’une imprimante 3D et dont le motif est une image extraite d’un logiciel permettant de produire des images en 3D. «Les outils numériques permettent de mettre à distance notre environnement, tout comme la photographie l’avait opéré à l’époque de sa création. Ils interrogent la vision que nous portons sur notre monde», explique Eva L’Hoest. Ce qui est au départ une image 3D et donc une succession de codes, devient par le truchement des outils et la transposition dans l’espace une sculpture, une image en relief dont l’échelle a changé. «Aujourd’hui, je considère que les outils numériques imposent un règne féodal», affirme l’artiste. «Si vous ne les maîtrisez pas, impossible de passer ce pont-levis pour accéder à la forteresse.»

Mais pour le visiteur, la perception n’est pas évidente. Si on distingue bien des formes dans cette «boîte à images», impossible de discerner correctement les formes qu’on devine toutefois anthropomorphes, mais sans certitude. La partie rétroéclairée aveugle le regard, ne permettant pas de bien saisir les volumes. Les fils résiduels de matière ajoutent un caractère distinctif à l’œuvre et guident l’esprit vers l’acte physique de fabrication de la sculpture, vers le geste motorisé de l’imprimante 3D. On comprend que l’acte de faire a son importance, interroge la place de la main, de la pratique artistique, artisanale. Mais le propos iconographique échappe à la compréhension.

L’objet d’étude, c’est l’Homme 

Puis, les visiteurs sont invités à poursuivre dans la grande salle. Là, ils sont guidés physiquement par une rambarde métallique qui accompagne à la fois le corps et le regard dans le déplacement, pour aboutir à une série de caissons. Ces boîtes de Skinner, qui sont habituellement utilisées en laboratoire pour l’observation d’animaux, renferment ici d’autres hauts-reliefs, proches dans leur dispositif narratif de ce qui a été présenté précédemment, mais plus petits, en alliage de bismuth et d’étain. Le sujet d’observation ici n’est pas les animaux, mais l’image et ce qu’elle représente. «Pour l’intelligence artificielle, l’Homme est devenu un sujet d’observation, un élément dont il apprend. Nous sommes devenus le sujet de laboratoire», soutient Eva L’Hoest.

Par la suite, une série de quatre écrans diffuse un film qui a été tourné au sein des espaces du Casino. «J’ai voulu tourner la caméra vers le bâtiment, avoir une forme d’intimité avec l’espace», explique l’artiste. Pour cela, elle filme en 16mm dans les espaces vides, sans personne. Aux images en traveling du grenier et des caves, elle ajoute des incrustations numériques et du texte de la poétesse Eva Mancuso dont le propos évoque selon l’artiste «la condition féminine, la relation au temps et à la mémoire, la question de l’intime».

 En poursuivant, on découvre une autre sculpture, une figure humaine aux multiples bras et jambes. Il s’agit en fait de la mise en volume d’une ragdoll («poupée de chiffon») qui est le nom donné au personnage générique qui sert à composer les foules dans les animations virtuelles par incrustation d’images. «Sauf qu’ici, toutes les ragdolls que j’ai composées se retrouvent superposées au point ‘0’ de l’image, point d’entrée des personnages dans l’image avant qu’ils ne soient dispersés dans le paysage, là où le créateur le désire», explique l’artiste. Il s’agit donc en quelque sorte d’une image de coulisse, un moment figé d’une étape intermédiaire qui est censée évoluer par la suite et ne pas être un résultat final.

Ce zootrope ne manquera pas d’impressionner les visiteurs. (Photo:  Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2025)

Ce zootrope ne manquera pas d’impressionner les visiteurs. (Photo:  Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2025)

Enfin, la dernière œuvre présentée est certainement la plus spectaculaire: un dispositif cinétique dans lequel un visage aux yeux bandés émerge d’un bloc. Ce carrousel s’inspire du système ancien du zootrope qui utilise le phénomène de la persistance rétinienne et l’effet phi pour produire une image en mouvement. Autour du carrousel, une corbeille métallique est la copie de celle de la bourse de Paris dans les années 1960, et une bande-son diffuse des voix de traiders. «Ce lien avec la bourse évoque comment les nouvelles technologies sont aussi utilisées pour prédire notre avenir, peuvent interférer sur les marchés financiers par les analyses spéculatives et ainsi façonner une nouvelle vérité, puisque la machine n’est pas censée se tromper», explique Vincent Crapon, co-commissaire de l’exposition avec Stilbé Schroeder.

À l’issue de cette exposition, une question persiste: était-ce le bon moment d’inviter Eva L’Hoest pour une exposition monographique? Son cheminement artistique ne devait-il pas encore être travaillé avant d’être exposé si largement? Le travail est intéressant et possède indéniablement des qualités esthétiques et intellectuelles, mais il manque encore pour certaines œuvres un peu de maîtrise formelle. On retient aussi quelques confusions dans le propos, trop touffu et multidirectionnel. L’artiste manie toutefois habilement le mélange entre pratiques anciennes (moulages, sculpture de haut relief, ronde-bosse, zootrope) et technologies nouvelles (imprimantes numériques, logiciel de création d’images, intelligence artificielle), leur entremêlement apportant de la profondeur. Il y a aussi certainement des maladresses de mise en espace: le cheminement entre les boîtes de Skinner ne fonctionne pas, et pourquoi une si grande projection pour le film Main Station? Un travail qui est toutefois très prometteur, mais qui mérite de mûrir encore un peu.

The Mindful Hand, jusqu’au 11 mai, vernissage vendredi 31 janvier à partir de 18h.