Philippe-Emmanuel Partsch, EU law partner chez Arendt & Medernach, professeur à l’Université de Liège, professeur invité Paris II et ancien référendaire à la CJUE. (Photo: Arendt)

Philippe-Emmanuel Partsch, EU law partner chez Arendt & Medernach, professeur à l’Université de Liège, professeur invité Paris II et ancien référendaire à la CJUE. (Photo: Arendt)

Pour cet «été pas comme les autres», Paperjam a donné la parole à 10 personnalités afin qu’elles livrent leur analyse des défis qui attendent l’Union européenne. Cette semaine, Philippe-Emmanuel Partsch, EU law partner chez Arendt & Medernach, professeur à l’Université de Liège, professeur invité Paris II et ancien référendaire à la CJUE.

Le plan de relance est un geste politique et de solidarité. Il montre aussi l’utilité de l’Union européenne (UE), en rehaussant la capacité d’emprunt des 27. De plus, il dote l’UE d’une capacité inédite d’action contracyclique.

Toutefois, il n’est pas la panacée. Des fondamentaux et d’autres instruments de l’UE doivent maintenant être privilégiés pour réaliser durablement une Europe plus forte, juste, verte et sûre. Il faut aussi absorber le coût de ce plan et en limiter les dangers (approches trop nationales, dépenses stériles, déresponsabilisation, piège de la dette).

En effet, l’UE doit d’abord assurer une croissance durable dans l’intérêt de l’ensemble des États membres (EM), de leurs populations et entreprises, grâce au marché unique et à une économie de marché ouverte hautement compétitive ET sociale. D’où, dans le contexte actuel de crise, de décrochage par rapport aux USA et à l’Asie, de déchirures sociales, de défis environnementaux et de tensions géopolitiques, ce que j’identifie comme les cinq priorités suivantes:

1) Réaliser enfin le marché unique, dans le respect de l’environnement. Sur un territoire moitié moindre que les USA et avec 40% de population en plus, l’UE connaît pourtant des échanges de biens et services et un revenu moyen par habitant tous deux inférieurs de 40%. La suppression des obstacles inutiles augmenterait substantiellement le PIB européen, notamment par l’enclenchement de spirales positives. Par exemple, les PME européennes sont souvent trop petites parce que limitées au marché de leur État d’origine du fait de ces obstacles, ce qui réduit leur productivité. Elles pourraient davantage croître, embaucher, payer, investir en R&D, s’autofinancer, générer de nouveaux géants. 

2) Une législation européenne plus respectueuse du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre (pourtant proclamé dans les traités). Il s’agit de réglementer dans l’intérêt général uniquement en cas et dans la mesure de la nécessité, de manière efficace et ingénieuse. À quoi sert un grand marché trop ou mal régulé?

3) Une politique moderne de l’offre, travaillant notamment sur les déficits structurels. Ayant pour objectif de faciliter voire susciter l’activité des entreprises, travailleurs et investisseurs en les mettant dans des conditions optimales sans se substituer à eux ni les déresponsabiliser. Avec un accent particulier sur la R&D, la finance, les transports, l’énergie, les investissements et l’emploi. L’Europe décroche par rapport aux USA et à l’Asie en matière d’innovation depuis 20 ans (où sont les Tesla, Alibaba, Samsung européens?). Le secteur financier, qui constitue un second moteur de croissance, faiblit lui aussi dangereusement tout en continuant à présenter des vulnérabilités. Il y a urgence. Les USA ont dépassé l’UE en termes de PIB depuis 2015, avec une population nettement moindre.

4) Trop d’Européens sont menacés par la pauvreté (plus de 20% de la population, soit plus de 100 millions de personnes). Les propositions énoncées ci-dessus sont susceptibles d’augmenter le PIB de l’Europe d’avant Covid-19 de 20% et d’améliorer la situation sociale. Toutefois, elles ne suffiront probablement pas. Alors que le plan Juncker a excédé de 40% son objectif de «catalysation» des investissements privés, celui de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté à l’horizon 2020 n’a, lui, été atteint qu’à 40%. L’action déterminée du commissaire Nicolas Schmit en faveur de l’économie sociale de marché sera donc cruciale. Outre la continuation d’activation du marché du travail efficace (le chômage avait décru de 45% en 6 ans dans l’UE), ses efforts contre le sans-abrisme et l’établissement d’un salaire horaire minimal par État membre devraient être féconds. Des mesures plus radicales ne sont toutefois pas à exclure. Nous devons viser un taux de chômage moyen dans l’UE de 5% max. et un niveau de pauvreté encore plus bas.

5) Une Europe plus dynamique économiquement et socialement plus juste pourra mieux négocier la transition environnementale et, au-delà, bâtir sa défense commune. Notamment la compacité du territoire européen, qui permet une utilisation plus rationnelle des ressources et une meilleure efficacité énergétique qu’aux USA et en Asie, devra être exploitée pour faire de l’Europe le leader des sociétés écoresponsables. Une synergie économie-social-écologie doit être créée.

Il conviendra d’entretenir et d’améliorer les fondamentaux économiques, sociaux et environnementaux ainsi que les conditions de fonctionnement de l’économie de marché et du marché unique. L’UE pourra prendre des initiatives politiques de plus en plus ambitieuses (stratégies industrielle et commerciale bien conçues, politique monétaire raisonnablement volontariste), et, en cas de nécessité, des mesures contracycliques. Pourvu qu’une fois la tempête passée, elle soit capable de dégonfler les mécanismes d’urgence.

Les propositions ci-dessus sont quelques-unes de celles développées de manière plus nuancée et détaillées dans un essai à paraître prochainement, «L’Europe, un atout majeur à (encore) mieux exploiter».