L’Eurogroupe avait accordé en 2013 une assistance financière aux banques chypriotes, assortie d’une restructuration qui a lésé nombre de particuliers et de créanciers. (Photo: SIP/Jos Fistick/Archives)

L’Eurogroupe avait accordé en 2013 une assistance financière aux banques chypriotes, assortie d’une restructuration qui a lésé nombre de particuliers et de créanciers. (Photo: SIP/Jos Fistick/Archives)

Les décisions prises lors de la réunion informelle des ministres de la zone euro ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions européennes, selon l’avocat général Giovanni Pitruzzella.

L’Eurogroupe est-il une institution européenne, et à ce titre attaquable devant les juridictions de l’UE? C’est ce qu’estimaient plusieurs particuliers et sociétés détenteurs de comptes de dépôt auprès de la Cyprus Popular Bank (Laïki) et de la Trapeza Kyprou Dimosia Etaireia (Bank of Cyprus ou BoC) ou bien actionnaires ou créanciers obligataires des mêmes banques.

En cause: la décision de l’Eurogroupe d’accorder une assistance financière aux banques chypriotes rencontrant des difficultés financières début 2012. Une assistance demandée par le gouvernement chypriote. Un protocole d’accord a alors été négocié entre la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, d’une part, et Chypre, d’autre part, afin de fixer les conditions de la restructuration de la BoC et de Laïki préalables à l’assistance financière apportée par le Mécanisme européen de stabilité. Le Conseil a adopté une décision le 25 avril 2013 à ce sujet.

Or, plusieurs particuliers et sociétés ont estimé que la restructuration des banques avait provoqué une réduction substantielle de la valeur de leurs dépôts, actions ou créances obligataires. Ils ont alors introduit des recours en responsabilité non contractuelle devant le Tribunal de l’UE à l’encontre, notamment, de l’Eurogroupe, pour obtenir une indemnisation des pertes qu’ils disent avoir subies du fait de ces mesures.

En tant qu’organisme de nature informelle, l’Eurogroupe non seulement ne dispose pas de compétences propres, mais il n’a pas non plus le pouvoir de sanctionner le non-respect, par ses participants, de la mise en œuvre des objectifs politiques convenus.

Giovanni Pitruzzellaavocat général CJUE

Le tribunal avait rejeté ces demandes d’indemnisation par ses arrêts du 13 juillet 2018. Mais il avait aussi balayé les exceptions d’irrecevabilité soulevées par le Conseil en estimant que l’Eurogroupe est une entité de l’UE formellement constituée par les traités, ce qui pouvait ouvrir la voie à des recours en indemnité.

La CJUE doit donc se prononcer sur la nature juridique de l’Eurogroupe. Dans ses conclusions, explorant la façon dont le droit européen pourrait répondre à la question posée, l’avocat général Pitruzzella propose à la Cour d’annuler les arrêts du tribunal rejetant ces exceptions d’irrecevabilité.

De par l’architecture constitutionnelle de l’Union économique et monétaire et au vu de la jurisprudence de la Cour, l’Eurogroupe ne peut être qualifié d’organe de l’UE auquel un recours en annulation serait opposable. L’avocat général avance surtout que «l’Eurogroupe fonctionne comme un instrument de coordination, comme un ‘pont’ entre les différents niveaux à l’intérieur desquels se déroule la gouvernance de l’UEM, à savoir le niveau national, le niveau de l’Union, pour lequel la coordination se fait concrètement par la participation de la Commission et la BCE à ses réunions, et le niveau intergouvernemental en dehors du cadre juridique de l’Union».

De fait, «l’influence de l’Eurogroupe reste purement politique. En effet, en tant qu’organisme de nature informelle, l’Eurogroupe non seulement ne dispose pas de compétences propres, mais il n’a pas non plus le pouvoir de sanctionner le non-respect, par ses participants, de la mise en œuvre des objectifs politiques convenus.»

Les juges suivront-ils ce raisonnement?

Pour conclure, «l’Eurogroupe doit être considéré comme un organisme reflétant une forme particulière d’intergouvernementalisme présent dans l’architecture constitutionnelle de l’UEM», estime l’avocat général. «Conçu comme un organe purement intergouvernemental, dans le cadre complexe de la coordination des politiques économiques des États membres relevant de l’UEM, cet organisme assure une fonction de liaison entre la sphère étatique et celle de l’Union. Le traité de Lisbonne a reconnu l’existence de cet organisme extérieur au cadre juridique de l’Union et a formalisé la participation de la Commission et de la BCE à ses travaux, mais n’entendait pas modifier sa nature juridique, qui est étroitement liée à son rôle de ‘pont’ entre les États membres et l’Union.»

Toutefois, précise l’avocat général, si l’Eurogroupe ne peut être mis en cause, il est toujours possible de contester les mesures résultant de ses décisions qui sont prises par le Conseil comme par la Commission.

Les juges de la Cour se prononceront dans quelques mois sur cette épineuse question. Ils s’appuient souvent sur les conclusions de l’avocat général, mais ne les suivent pas forcément.

La gouvernance économique de l’UE fait l’objet d’un  devant la CJUE, comme le remarquait l’ancien président du tribunal, , dans une . L’an dernier, des créanciers de la Grèce avaient été après le préjudice subi du fait de la restructuration de la dette grecque.