Selon Christine Lagarde, l’euro numérique, complément aux billets et pièces, pourrait voir le jour en 2025. (Photo: Nils Thies/European Central Bank)

Selon Christine Lagarde, l’euro numérique, complément aux billets et pièces, pourrait voir le jour en 2025. (Photo: Nils Thies/European Central Bank)

Selon un rapport présenté par la BCE au Parlement européen, les citoyens européens sont favorables à un euro numérique, «à condition qu’il respecte leur vie privée». Idéalement, l’euro numérique doit être simple, sûr, sans frais et assurer la confidentialité des transactions comme l’argent liquide.

C’est en octobre dernier que la BCE a lancé une consultation sur l’euro digital à destination des particuliers. Consultation qui a reçu 8.221 réponses, essentiellement des citoyens (94%), des hommes entre 35 et 54 ans, de nationalité allemande (47%), italienne (15%) et française (11%).

Il en ressort que les citoyens se déclarent favorables à une telle évolution. Sous réserve que l’euro digital respecte la vie privée, la confidentialité des transactions et qu’il soit suffisamment sécurisé pour éviter les fraudes. D’une manière pratique, les sondés veulent un euro 2.0 simple à utiliser, sans coûts supplémentaires et qui permettrait des paiements rapides et fiables via des cartes de paiement ou via les smartphones. Enfin, ils souhaitent pouvoir utiliser l’euro numérique en dehors de la zone euro.

Vaste chantier

Une adhésion qui devrait permettre à l’Europe d’accélérer sur le dossier de la monnaie numérique officiellement vue comme un complément, et non un substitut aux espèces. C’est maintenant à l’Eurosystème – qui regroupe la BCE et les banques centrales des pays ayant adopté l’euro – de décider si le projet doit être lancé. Une décision est attendue pour le milieu de l’année.

Et si le feu vert était donné, il faudrait quatre ans avant que les utilisateurs puissent s’en servir, selon Christine Lagarde. Le chantier s’annonce en effet titanesque. Technique, bien sûr, mais aussi économique. Le rapport de la BCE souligne en effet qu’une monnaie numérique pourrait poser un certain nombre de problèmes pour les banques. Notamment dans l’hypothèse où les épargnants transformeraient massivement leurs dépôts dans les banques en monnaie de banque centrale, par exemple en cas de crise économique ou financière. Cela pourrait augmenter le coût de financement des banques, et par ricochet les taux d’intérêt des prêts bancaires. Des équilibres devront être trouvés afin de ne pas menacer la stabilité du système financier européen.

Une des pistes de déploiement étudiées est la mise à disposition des citoyens et des entreprises de monnaie «banque centrale», jusque-là réservée aux seules banques commerciales. Cette monnaie ne remplacerait pas le cash et serait convertible à la parité avec la monnaie physique. 

Double concurrence

Ce dossier est stratégique pour l’Europe, prise entre la double concurrence des monnaies privées comme le Bitcoin ou le Diem (anciennement Libra) de Facebook et des monnaies nationales en cours de digitalisation.

À la différence des cryptomonnaies, conçues comme des instruments d’échange dans le monde numérique et qui apparaissent désormais plus comme des actifs financiers que comme des monnaies régaliennes, la monnaie digitale de banque centrale (CBDC, pour «central bank digital currency») reste sous le contrôle des autorités monétaires. Première conséquence, si le cours des cryptomonnaies est volatil et sujet à toutes les spéculations, la valeur d’une CBDC restera stable.

Y a-t-il concurrence entre ces deux «monnaies» numériques? Si, selon les termes de Robert Shiller, prix Nobel d’économie, «un narratif présentant les cryptomonnaies comme le futur de la monnaie s’est progressivement installé», ses détracteurs insistent, n’y voient que de pales imitations de vraie monnaie. Ils mettent en avant le fait qu’elles restent très peu utilisées, qu’elles n’assurent aucune sécurité en matière de réserve de valeur et que personne ne s’en sert pour établir des prix. Et insistent sur leur côté sulfureux, les abus multiples et l’utilisation pour des activités illicites.

La concurrence entre les États ne prête pas à controverse. Ici, l’enjeu est clairement de séduire les utilisateurs et les investisseurs pour faire de sa monnaie la monnaie internationale de référence.

Les projets de CBDC se multiplient. Déjà bien avancé comme en Chine ou en cours de lancement comme au Royaume-Uni où la Banque centrale et le Trésor viennent d’annoncer travailler sur une monnaie numérique britannique.

Du côté de Pékin, outre les avantages domestiques, les autorités espèrent que le projet participera au rayonnement international du Renminbi. La Banque centrale chinoise envisage en outre un déploiement massif du «yuan digital» lors des Jeux olympiques d’hiver de Pékin en 2022. Pour l’image.

Le déclin relatif du cash

Des enjeux qui dépassent les utilisateurs particuliers. À ce niveau, la question qui préoccupe est celle de la confidentialité des transactions et, par ricochet, celle de la disparition du cash.

La tendance – accélérée par la pandémie de Covid – est l’augmentation des paiements dématérialisée. Mais 73% des paiements dans les commerces de la zone euro se font «encore» en cash, selon les dernières données de la BCE couvrant l’année 2019 publiées dans l’étude «Study on the payment attitudes of consumers in the euro area» («Space»). En 2016, on était à 79%. En termes de valeur, le recul est encore plus net: la part du cash est passée de 54% à 48%. En 2019, la carte a représenté 24% des transactions l’an passé et 41% des montants.

Le déclin du cash est cependant plus ou moins prononcé d’un État membre à l’autre. En Europe, les plus gros utilisateurs d’espèces sont les Maltais (88% des transactions), les Chypriotes et les Espagnols (83%). À l’inverse, c’est en Finlande (35%) et aux Pays-Bas (34%) que le cash est le moins utilisé. Au Luxembourg, le cash représente encore 54% des paiements.

Si le cash recule, les citoyens ne souhaitent pas pour autant sa disparition.

Le paradoxe du billet de banque

Un phénomène que la BCE a baptisé «le paradoxe du billet de banque»: d’un côté, on constate que les paiements dans les magasins sont de plus en plus des paiements sans contact et des paiements dématérialisés. Et de l’autre, on voit une augmentation constante du nombre de billets de banque en circulation. Des billets qui ne sont pas déposés sur des comptes bancaires, mais qui sont conservés par les particuliers. Soit pour constituer une épargne liquide, soit pour des activités illégales frauduleuses, fraude fiscale ou travail au noir inclus.

C’est pour lutter contre cette utilisation «frauduleuse» des espèces que certains incitent à se diriger vers des sociétés sans cash et mettent en avant un sens de l’histoire qui serait celui de la dématérialisation graduelle du tangible vers l’intangible des codes informatiques. Une perspective qui affole les défenseurs de la vie privée qui mettent en avant l’exemple chinois où il n’existe aucune garantie d’anonymat et où l’État peut tracer toutes les dépenses d’un individu en temps réel.

Un scénario qui n’est pas à l’ordre du jour en Europe où la lutte contre les dérives de l’argent liquide passe plutôt par le plafonnement des montants d’utilisation des espèces. Un projet de limiter le montant à 10.000 euros maximum est d’ailleurs à l’étude à Bruxelles.