Démarrée en janvier 2016, la captivante aventure du Domaine de la Klauss continue. Spectaculairement. L’hôtel-spa 5 étoiles situé côté français dans le petit village typique de Montenach, à quelques kilomètres de la première frontière avec le Luxembourg, est encore monté en gamme, dans la soirée du lundi 18 mars, avec l’attribution par le célèbre Guide Michelin de sa première étoile au restaurant gastronomique hébergé en son sein: le K. K, comme Klauss. K, comme Keff aussi.
Attendue, tant les louanges n’ont jamais cessé de pleuvoir sur le jeune chef Benoît Potdevin, 36 ans, la distinction n’en touche pas moins en plein cœur le fondateur et propriétaire des lieux, Alexandre Keff, 43 ans, qui partage son quotidien entre les vieilles pierres de Montenach et son métier de pilote de ligne pour Luxair, qu’il exerce depuis une vingtaine d’années.
Héritier d’une longue dynastie familiale ayant fait de la Klauss, auberge de facture modeste (au meilleur sens gourmand du terme), une adresse réputée, Alexandre Keff s’était lancé dans un pari complètement fou au début des années 2010 avec ce projet d’établissement de luxe en pleine campagne. Huit ans après l’ouverture, l’essai est transformé au-delà de toute espérance. Inscrit aux Relais & Châteaux, le Domaine de la Klauss empile les récompenses professionnelles et ne désemplit pas. Avec plus de 150.000 abonnés sur Facebook, c’est l’hôtel français le plus suivi sur les réseaux sociaux. Et avec l’étoile, les chiffres vont encore gonfler…

Une vue du restaurant Le K, dont les installations ont été revues lors de la période Covid. (Photo: Domaine de la Klauss)
Alors, cette étoile? Vous ne touchez plus terre?
Alexandre Keff. – «Difficile de ne pas aller bien. Les retombées sont énormes. Je n’ose plus toucher à mon téléphone, j’ai des centaines de messages en attente. À l’hôtel, les équipes sont sous l’eau, elles n’arrivent même plus à traiter les mails. Disons que ce sont plutôt de bons problèmes.
Cela a été difficile de garder le secret pour soi ces derniers jours?
«À mort. On a reçu l’invitation de Michelin le 11 mars, et on n’en a parlé à personne. Pas même à mon père, mon beau-père, mon frère… Mais le plus dur, pour mon chef, ça a été de mentir toute la semaine à ses équipes. Chaque jour la question lui était posée. Pour autant, nous aussi on se trouvait dans l’ignorance. Michelin nous avait certes appelés pour nous inviter à la cérémonie, mais sans préciser que l’on avait l’étoile. Cela a été une grosse délivrance.
Parce que c’était un objectif?
«Commercialement, en tant que propriétaire, la réponse est non. Ce serait mentir. On a l’habitude de dire qu’une étoile apporte 30 à 40% de fréquentation en plus sur l’année. Mais nous, on était déjà complet avant l’étoile. Pour un samedi soir, il y a actuellement environ cinq mois d’attente par exemple. En revanche, il s’agissait bel et bien d’un objectif pour les équipes. C’est leur Champions League. J’ai été obligé de les soutenir, de les accompagner, sans quoi je n’aurais pas été crédible. Et cela n’aurait pas été très motivant pour elles.
Une distinction, elle n’arrive pas quand tu en as besoin au plan commercial.
Pour un établissement de votre standing, il s’agit néanmoins d’une distinction indispensable?
«Pour nous, non, ce n’était pas indispensable. Une distinction, le plus souvent, elle n’arrive pas quand tu en as besoin au plan commercial. Sur l’hôtel, on affiche un taux de remplissage de 97% à l’année. Mais ce n’est que du positif, car cela permet de rester sur la dynamique qui est la nôtre depuis l’ouverture en 2016. Après, force est de constater – et Michelin le reconnaît lui-même – qu’il est plus difficile aujourd’hui qu’hier d’obtenir l’étoile. Surtout la première. Pour y parvenir, il faut une grosse structure à côté. Les contrats qualifiés, ça se paie. Les matières premières, qui sont des matières nobles, ça se paie aussi.
Au départ, quelle était l’ambition du K?
«Le K, ce n’est pas un restaurant que j’ai voulu, c’est une réponse à la demande des clients. Au début, je ne souhaitais même pas faire de restaurant. On fonctionnait avec l’auberge, située à côté. Mais on s’est rapidement aperçu que l’on avait créé un décalage entre l’hôtel-spa et l’auberge. La clientèle de ce type d’établissement souhaite une prestation gastronomique et plus intimiste, plus romantique. Toutes mes décisions commerciales et stratégiques sont uniquement drivées par le client.
Comment avez-vous rencontré votre chef, Benoît Potdevin?
«Grâce à Michelin. Plus exactement en marge d’un séminaire du groupe Michelin que j’avais organisé. C’était à l’auberge, je faisais le service au bar, j’ai raconté au responsable du séminaire mon projet d’ouvrir un restaurant gastronomique. Mais je n’avais pas de chef. Il m’a parlé de son neveu, qui était le second du chef Christophe Dufossé. Je lui ai donné ma carte. Une semaine après, Benoît m’appelait…
Revers de la médaille: vous vous retrouvez avec une pression monstre sur les épaules désormais!
«J’ai toujours dit à mes équipes que si un jour l’étoile arrivait, je n’aurais pas envie ensuite de trembler chaque année avant de savoir si on la conserve ou non. Et le meilleur moyen de ne pas trembler, c’est de continuer à avancer, d’évoluer. Qui peut le plus peut le moins? En essayant d’en faire un peu plus, on s’éloignera du “moins”. En vérité, on avait anticipé les évènements. Dès le mois de janvier dernier, on a changé la structure des menus. On avait un 3 plats et un 7 plats, aujourd’hui on a un 5 plats et un 7 plats. Et le 5 plats reprend les plats de notre menu signature. On a donc augmenté en qualité. En définitive, cette étoile a été attribuée sur des bases qui ne sont déjà plus les nôtres à l’heure actuelle, car on a élevé le niveau. Et dans un mois et demi, nous ferons une nouvelle grosse annonce. Pour encore améliorer l’expérience, la prestation.
Si je vous suis, l’étoile ne doit donc pas devenir une obsession?
«Pas du tout. Je veux de la tranquillité. Cela rejoint ce qui s’est passé à l’ouverture de l’hôtel-spa. Un 4 étoiles à l’époque. Avec cette même règle du “qui peut le plus peut le moins”, on est passé à 5 étoiles trois ans après. On était déjà calibré.
À l’arrivée, c’est la consécration d’une réussite familiale?
«Je n’aime pas le terme de réussite. Ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est pas toujours demain. C’est quelque chose d’éphémère. Quand tu crois que tu as réussi, tu n’avances plus. Et c’est là que tu te casses la figure. Mais, oui, je pense souvent à mes grands-parents qui ont créé l’auberge il y a plus de soixante ans. À l’époque c’était un bar de village fréquenté par les paysans au retour du marché de Sierck-les-Bains. Ils s’arrêtaient là pour boire un coup et avaler un casse-croûte au jambon. C’était ça la Klauss… Mes grands-parents seraient probablement un peu fiers de voir ce qui a été réalisé depuis.
Il n’y avait que moi pour y croire. Même les banquiers qui m’ont suivi n’y croyaient pas.
Vous êtes conscient que sur le papier, un hôtel de luxe à Montenach cela ressemblait à l’époque à un rêve fou?
«Il n’y avait que moi pour y croire. Même les banquiers qui m’ont suivi n’y croyaient pas. C’est le président d’une banque originaire de Contz qui a fini par appuyer sur le bouton. À Paris, le pool bancaire me disait que s’il n’y avait pas d’établissement de ce genre en Moselle, c’est qu’il n’y avait pas de demande. “Si vous faites ça en Alsace, on vous suit. Mais en Moselle, non…” Ces mecs-là ne comprennent pas qu’une demande se crée par l’offre. S’il n’y a pas d’offre, il n’y a pas de demande.
Le Pays des Trois Frontières, à ce titre, a été votre meilleur atout?
«Un emplacement magnifique. Parfait. Tu bénéficies d’un carrefour avec les autoroutes qui amènent une clientèle de passage. Des Néerlandais, des Belges. C’est encore plus international durant l’été, avec des Américains, des Asiatiques, auparavant des Russes. Et puis il y a la clientèle locale. On répond à un besoin. Et plus la crise est profonde, plus ce besoin est important. Les gens souhaitent s’évader, se vider la tête, se réfugier dans un cocon pendant 24 ou 48 heures. Et ce cocon doit être hyper dépaysant, et en même temps romantique, authentique, luxueux.
Vous avez la réputation de ne jamais lever le pied, avec toujours un projet dans un coin de la tête. Quel sera le prochain?
«Les prochains investissements seront consacrés à un nouveau spa de 3.000 mètres carrés. La clientèle nous le demande. Ce sera une expérience immersive, sensorielle, avec des équipements que l’on n’a pas l’habitude de voir. Sont prévues également dix suites supplémentaires, ce qui portera l’hôtel-spa à 40 chambres. Les travaux commenceront en octobre, pour une durée de deux ans et demi. On n’a que huit ans d’existence, mais en huit ans on a connu des évolutions un peu dingues.
Avec tout ça, vous trouvez encore le temps de voler?
«J’étais à Barcelone samedi, ce mercredi soir je fais l’aller-retour à Londres. Je suis à mi-temps, mais voler m’est nécessaire. C’est un plaisir. Le seul moment où mon téléphone est éteint, le seul moment où l’on me sert mon café (à l’hôtel je me le prépare moi-même), et le seul moment où je peux lire mon journal. Sinon je manque de temps!»