Vincent Lekens: «Nous sommes également face au défi du déploiement d’une nouvelle ère de mobilité avec l’arrivée imminente des réseaux mobiles 5G. Il ne s’agira pas ici d’une simple évolution des réseaux existants, mais bien d’une révolution dans le transfert d’informations au travers de la mobilité.» (Photo: Matic Zorman)

Vincent Lekens: «Nous sommes également face au défi du déploiement d’une nouvelle ère de mobilité avec l’arrivée imminente des réseaux mobiles 5G. Il ne s’agira pas ici d’une simple évolution des réseaux existants, mais bien d’une révolution dans le transfert d’informations au travers de la mobilité.» (Photo: Matic Zorman)

ICT Luxembourg – la Luxembourg Digital Alliance – a pour mission de mieux faire entendre la voix de l’ensemble des acteurs du numérique au Luxembourg et de défendre leurs intérêts communs au service d’un Luxembourg plus digital. Pour Vincent Lekens, président de cette confédération, il faut que secteur public et acteurs privés agissent de manière mieux coordonnée.

ICT Luxembourg veut être la voix des acteurs du numérique et de l’informatique vis-à-vis des autorités. Comment vous organisez-vous?

Vincent Lekens. – «Le numérique prend une place toujours plus importante au cœur de nos sociétés. Pour appréhender ces enjeux, les diverses fédérations et associations représentatives des divers secteurs de l’économie luxembourgeoise se sont dotées d’organes spécifiques. Toutefois, la multiplicité des acteurs rendait difficile la communication avec le gouvernement.

Chacun, à son tour, allait à la rencontre des autorités pour faire valoir ses intérêts, si bien que les enjeux n’étaient pas vraiment audibles. Or, à y regarder de plus près, les doléances des divers acteurs étaient communes pour 80 à 90% d’entre elles. L’idée a alors été, à la demande du gouvernement, de constituer une plate-forme commune aux associations représentatives des acteurs de l’ICT, constituant la voix unique du secteur vis-à-vis du gouvernement.

Désormais, une fois par an, nous allons à la rencontre des différents ministres concernés par les enjeux de la digitalisation pour évoquer avec eux les défis à venir.

Que défendez-vous auprès d’eux?

«La réunion des associations au sein d’un groupe commun nous a permis d’établir un vade-mecum. L’enjeu est de pouvoir défendre l’activité digitale comme un secteur à part entière. La bonne appréhension de l’évolution technologique actuelle et future pour transformer une activité existante reste un enjeu propre à chaque association.

Par exemple, l’Alfi, qui est un de nos membres, veillera à ce que le numérique puisse mieux servir l’industrie des fonds d’investissement. L’ABBL fait de même vis-à-vis des banques, la Fedil à l’égard de l’industrie… Cependant, il y a des thématiques transversales à toutes les associations sur lesquelles nous devons pouvoir travailler ensemble pour renforcer le Luxembourg digital en tant que tel. L’idée est de défendre les intérêts du secteur digital à part entière. C’est de ces enjeux que nous allons discuter avec , , , et .

La transformation digitale de l’économie, et de la société plus largement, doit s’appuyer sur la bonne volonté et la coopération de l’ensemble des acteurs.
Vincent Lekens

Vincent LekensICT Luxembourg

Comment le secteur public peut-il davantage soutenir le secteur numérique luxembourgeois?

«La transformation digitale de l’économie, et de la société plus largement, doit s’appuyer sur la bonne volonté et la coopération de l’ensemble des acteurs. Le gouvernement, afin de soutenir les efforts des entreprises et de faciliter la vie des citoyens grâce au digital, a un rôle prépondérant à jouer. L’administration, en se digitalisant, en accélérant les démarches grâce au numérique, peut entraîner le secteur privé dans cette voie. On constate que le gouvernement affiche une réelle volonté de renforcer le numérique à tous les niveaux.

Cependant, entre le discours et la réalité, il y a encore une importante distance. Encore aujourd’hui, chaque ministère gère ses propres bases de données, ce qui empêche une réelle simplification des processus et entraîne des frictions au cœur des démarches. Aujourd’hui, si l’on peut transmettre sa déclaration fiscale en ligne, le traitement n’est cependant pas digitalisé de bout en bout. Si l’on veut que les entreprises, les grandes comme les plus petites, se digitalisent, l’État se doit de montrer l’exemple et de les entraîner dans ce processus.

Concrètement, comment l’administration peut-elle entraîner les entreprises dans un processus de digitalisation?

«En offrant des avantages, des incitants. Par exemple, l’État pourrait garantir un paiement plus rapide des factures transmises électroniquement. Cela, en outre, s’inscrit dans une certaine logique. Le digital, dans ce contexte, doit faciliter le traitement des factures, permettre d’accéder à un niveau avancé d’automatisation, de l’émission de la facture jusqu’au paiement. Il est logique que le traitement puisse être accéléré. L’État, en permettant cela, invite les entreprises à digitaliser le processus de facturation dans ce sens, facilitant par la même occasion l’échange entre les entreprises.

Le Luxembourg a beaucoup investi dans les infrastructures ces dernières années. Faut-il poursuivre dans cette voie?

«Il faut continuer à investir dans les infrastructures tout en étant conscient de l’évolution de l’offre numérique. Aujourd’hui, de grands cloud providers globaux ont facilité l’accès à la ressource informatique. Cela doit inviter les entreprises luxembourgeoises actives dans la gestion de l’infrastructure à se réinventer, à adopter de nouveaux modèles, plus ouverts vers l’extérieur. Avec son infrastructure et son expérience, le Luxembourg a certainement une carte à jouer au regard du souhait de voir émerger un cloud souverain européen.

En parallèle, nous sommes également face au défi du déploiement d’une nouvelle ère de mobilité avec l’arrivée imminente des réseaux mobiles 5G. Il ne s’agira pas ici d’une simple évolution des réseaux existants, mais bien d’une révolution dans le transfert d’informations au travers de la mobilité, facilitant la transformation digitale des entreprises.

Le Luxembourg peut utiliser ses compétences et ses connaissances métiers pour faciliter la transformation digitale des processus et, ensuite, la supervision et la validation des résultats.
Vincent Lekens

Vincent LekensICT Luxembourg

À quel niveau le Luxembourg doit-il ­investir davantage?

«Plus que dans l’infrastructure, c’est désormais dans la transformation de l’économie qu’il faut investir. Pour cela, un des enjeux-clés est de ramener certaines compétences au Luxembourg. Les métiers se transforment. Le digital est un exceptionnel levier d’amélioration et de création de valeur. Dans le secteur financier, de nombreuses fonctions de back-office vont évoluer ou même disparaître.

Le digital permet d’automatiser de nombreuses fonctions que les acteurs du secteur, devant faire face à des coûts de main-d’œuvre importants, avaient externalisées ailleurs. Grâce au digital, le coût de la main-d’œuvre pour obtenir un résultat est réduit. Il faut donc investir dans le digital avec l’ambition de faire revenir localement les fonctions externalisées, de générer la valeur localement. Le Luxembourg peut utiliser ses compétences et ses connaissances métiers pour faciliter la transformation digitale des processus et, ensuite, la supervision et la validation des résultats.

Cela pose aussi une question d’évolution des compétences…

«C’est un enjeu très important. Les compétences actuelles ne sont pas forcément celles dont nous aurons besoin demain dans un monde digital. Les défis de l’upskilling ou du reskilling doivent être bien appréhendés. Il faut donner des perspectives aux travailleurs qui nourrissent des craintes vis-à-vis de la transformation digitale à l’œuvre.

Des initiatives ont été prises dans ce sens, avec notamment Digital Skills Bridge, qui met en place un programme d’évolution des compétences au sein de plusieurs entreprises participantes. Certaines entreprises ont bien joué le jeu, d’autres moins, sans doute. Il faut cependant d’autres initiatives de ce genre, impliquant de manière mieux coordonnée les employeurs, le ministère du Travail et les organismes de formation.

Il faut s’appuyer sur nos forces, sur les ­compétences déjà disponibles. Dans le domaine de la cybersécurité, la sécurisation des données, par exemple, le Luxembourg a de beaux atouts à faire valoir, hérités notamment de la régulation du secteur financier.
Vincent Lekens

Vincent LekensICT Luxembourg

En matière de formation, quels sont les enjeux que vous avez pu identifier?

«Il faut mieux former les jeunes localement dans le domaine du digital, et ce le plus tôt possible. Il faut que la formation puisse mieux répondre aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. Et pour cela, nous n’avons pas uniquement besoin de Bac +++. Nous nous réjouissons de la volonté affichée par le ministre Meisch de travailler avec nous pour améliorer l’offre de formation. Nous avons par exemple proposé de créer une formation de niveau BTS dans le domaine de la cybersécurité, avec la mise en place d’un diplôme d’aptitude professionnelle.

Au niveau de l’enseignement obligatoire, nous discutons autour du programme pour voir comment mieux y intégrer l’informatique générale. La volonté est aussi de développer davantage d’interactions entre l’école et les entreprises numériques en faveur d’une meilleure prise de conscience des perspectives d’évolution de carrière existant dans le digital.

Dans quels domaines du numérique le Luxembourg peut-il se distinguer?

«Il faut s’appuyer sur nos forces, sur les ­compétences déjà disponibles. Dans le domaine de la cybersécurité, la sécurisation des données, par exemple, le Luxembourg a de beaux atouts à faire valoir, hérités notamment de la régulation du secteur financier. Nous souhaitons que le Centre européen de compétences en cybersécurité soit au Luxembourg.

Dans cette optique, le ministre Gramegna nous soutient dans la définition du rôle de Ciso pour le secteur financier suivant un modèle développé par le Clusil, toujours sous couvert d’ICT Luxembourg. En outre, par rapport à des pays de taille plus importante, on devrait être en mesure de numériser beaucoup plus facilement des processus de bout en bout, pour répondre plus efficacement à des enjeux sectoriels.

Cette possibilité d’agir proactivement et rapidement, en s’affranchissant d’une certaine complexité, doit nous permettre de tirer notre épingle du jeu. Nous avons notre destin en main. Face aux enjeux digitaux, il vaut mieux agir, conduire la transformation digitale, et ne pas regarder le train passer.

Je pense que l’on gagnerait vraiment en efficience si l’on parvenait à mieux structurer les initiatives, tant celles qui relèvent du public que celles qui émanent du privé. Le public et le privé, en outre, doivent parvenir à mieux travailler main dans la main.
Vincent Lekens

Vincent LekensICT Luxembourg

Comment conduire la transformation plus efficacement?

«Le Luxembourg a lancé de nombreux chantiers. À travers l’initiative Digital Luxembourg et, plus récemment, la mise en place du ministère de la Digitalisation, le pays dispose d’une excellente base de travail. Cependant, certaines initiatives sont encore trop éparses, en raison peut-être d’un manque de coordination. On peut se réjouir de la mise en œuvre d’Infrachain et s’étonner que le projet de public-chain, porté par le CTIE et le Sigi, ne fasse pas le choix de s’appuyer dessus.

Je pense que l’on gagnerait vraiment en efficience si l’on parvenait à mieux structurer les initiatives, tant celles qui relèvent du public que celles qui émanent du privé. Le public et le privé, en outre, doivent parvenir à mieux travailler main dans la main, et ainsi augmenter le niveau de la recherche au sein des entreprises privées luxembourgeoises, malheureusement en queue de peloton au niveau européen. La mise en place prochaine d’un Haut Comité de la digitalisation devrait aussi apporter des réponses aux questions posées.

Un autre enjeu est de parvenir à mieux représenter le Luxembourg digital à l’étranger, à l’image de ce qu’est parvenu à faire Luxembourg for Finance pour le développement de la place financière. Le marché européen du numérique est en pleine construction et nous devons avoir l’ambition d’y jouer un rôle prépondérant en développant les bonnes compétences, en proposant de nouveaux services, en agissant en faveur d’un renforcement de notre souveraineté digitale.»