Les investissements dans les start-up de protéines alternatives, comme l’agriculture cellulaire ou les aliments à base de plantes, ont pour sûr augmenté de 178% en 2020. (Photo: Shutterstock)

Les investissements dans les start-up de protéines alternatives, comme l’agriculture cellulaire ou les aliments à base de plantes, ont pour sûr augmenté de 178% en 2020. (Photo: Shutterstock)

L’industrie alimentaire traverse une révolution qui pourrait s’avérer aussi profonde que le passage aux aliments transformés en usine amorcé au 19e et au 20e siècle. Une disruption porteuse de croissance et de rendements pour les investisseurs.

2020, année des foodtech. Ce secteur que l’on peut définir comme l’alliance entre les nouvelles technologies et le secteur de l’alimentation et de la restauration a levé 2,7 milliards d’euros au niveau européen en 2020, selon le rapport annuel de l’agence spécialisée DigitalFoodLab. Soit le même niveau que 2019, année sans pandémie. Étant entendu que l’Europe ne représentait cependant l’année dernière que 12% seulement des investissements mondiaux de la foodtech. Le leader européen reste le Royaume-Uni, mais la France, les Pays-Bas, les pays nordiques et une zone Allemagne-Autriche-Suisse suivent. Ces cinq territoires représentent 94% des investissements dans la foodtech européenne en 2020.

Pour DigitalFoodLab, la foodtech comprend six grandes catégories: l’«agtech», les start-up qui inventent l’agriculture du futur en améliorant la qualité et le rendement des productions agricoles de demain, comme l’élevage d’insectes; le «delivery», les spécialistes de la livraison alimentaire, de courses ou de repas comme Deliveroo ou HelloFresh; la «Foodscience», les entreprises qui inventent de nouveaux produits alimentaires; le «Foodservice», les start-up qui améliorent la gestion des entreprises de restauration, le coaching autour du bien manger; et le «retail», tout ce qui touche à la distribution alimentaire.

Si en 2019, 59% des investissements portaient sur la livraison, leur part est tombée à 21% cette année. C’est l’agtech qui arrivait en première position en 2020 avec 33% des investissements. Les investissements dans les start-up de protéines alternatives, comme l’agriculture cellulaire ou les aliments à base de plantes, ont pour leur part progressé de 178% en 2020.

Offre abondante de capitaux et demande des consommateurs

Ce boom est dû à la conjonction de deux tendances de fond: une offre abondante de capitaux d’un côté, qui soutient l’innovation et la mise sur le marché de nouveaux produits, et de l’autre, un changement de comportement des consommateurs déclenché par des préoccupations environnementales telles que l’empreinte carbone et les émissions de gaz à effet de serre, le bien-être animal et la santé humaine. De quoi procurer des perspectives de croissance et de rendements solides.

Tendances que la pandémie a amplifiées selon Mayssa Al Midani, senior investment manager en charge du fonds Pictet Nutrition et de la nutrition strategy chez Pictet AM.

«Le Covid-19 a précipité deux tendances fortes pour l’industrie agroalimentaire: d’abord, les producteurs doivent repenser leurs chaînes d’approvisionnement après les perturbations des échanges mondiaux dues à la pandémie, dans un contexte où les réseaux internationaux complexes d’approvisionnement et de distribution sont sous pression et sous surveillance. Les mesures de confinement et la fermeture des frontières ont en effet perturbé la distribution des produits agricoles et entraîné des pénuries de main‑d’œuvre dans les usines de transformation alimentaire. Ensuite, l’industrie doit désormais répondre aux besoins d’une clientèle plus exigeante, moins préoccupée par la commodité que par les aspects nutritionnels et éthiques des produits qu’elle achète et consomme. Pour répondre à cette tendance, l’industrie agroalimentaire investit massivement dans un large éventail de solutions de haute technologie. Beaucoup de ces solutions sont axées sur la consolidation des chaînes d’approvisionnement, le durcissement des normes de production et la réduction du gaspillage alimentaire», constate-t-elle. Elle ajoute que, selon elle, c’est dans l’industrie de la viande que les transformations induites par la pandémie sont les plus marquées.

L’exemple du marché de la viande

Prenons donc l’exemple de la viande pour illustrer la révolution qui va traverser le secteur agroalimentaire. Suite à l’apparition de clusters dans les abattoirs durant la pandémie, la production de viande a perdu près de 40% par rapport à 2019. Ce qui a nécessité beaucoup d’investissements pour rétablir la confiance.

La sûreté des installations et l’absence de virus ne sont pas le seul problème du secteur: la pandémie a également révélé les coûts sanitaires et environnementaux liés à la consommation et à la production de viande. Parallèlement, l’attention des consommateurs a été attirée sur l’empreinte écologique démesurée de la production de viande. L’élevage est responsable de 15% des émissions de gaz à effet de serre et représente environ 29% de la consommation mondiale d’eau douce.

C’est pourquoi les experts de chez Pictet tablent sur une baisse de la consommation de viande et sur une popularité croissante des viandes de substitution et des régimes à base de plantes, plus sains.

Les producteurs de substituts de viande multiplient aussi bien les levées de fonds – citons Beyond Meat ou Impossible Foods… – que les accords avec les grands de la distribution et les fast-foods afin de vendre leurs produits à marge élevée.

L’autre tendance lourde de la révolution du secteur de la viande réside dans un recours accru à l’automatisation. Nécessitant beaucoup de main-d’œuvre – du moins par rapport à d’autres secteurs de l’agroalimentaire –, la pandémie a souligné une faiblesse du secteur que les professionnels veulent pallier grâce à la technologie. Pour les spécialistes de Pictet AM, un recours accru aux systèmes automatisés garantirait la sécurité et la qualité des aliments ainsi qu’une utilisation plus efficace des ressources. Les lignes de production du futur s’appuieront sur des réseaux de capteurs, l’internet des objets et la technologie blockchain. D’autres étapes de la chaîne d’approvisionnement sont également organisées davantage autour de la technologie, notamment la logistique et la distribution.

Un remède à la malnutrition

Globalement, le paysage du secteur agroalimentaire pourrait être très différent d’ici quelques années, estiment les spécialistes de Pictet: «Il pourrait être constitué presque entièrement d’entreprises avec de solides performances sociales et environnementales.» De fait, il compte un nombre croissant de sociétés spécialisées qui élaborent des services d’analyse et de diagnostic alimentaire de pointe. Parmi les investissements conseillés, Pictet met en avant les producteurs d’emballages alimentaires durables aux propriétés antibactériennes, les alternatives au plastique ou encore les codes QR.

La crainte de Stefan Catsicas, fondateur de Skyviews Life Science, et de Sandro Demaio, CEO de VicHealth et expert en santé mondiale, tous les deux membres du conseil consultatif du fonds d’investissement Pictet Nutrition, c’est que l’accent mis sur la réponse au Covid ne dissimule une pandémie bien plus vaste et plus mortelle, due à la malnutrition.

Pour eux, les objectifs de développement des Nations unies pour 2030 ne seront pas atteints en matière de nutrition. «La bonne nouvelle est que la solution à cette crise passe par des solutions innovantes et offre des opportunités d’investissement importantes», apportant ainsi une pierre supplémentaire à l’essor des foodtech. Si les producteurs et les distributeurs parviennent à déployer rapidement des technologies de pointe et des solutions innovantes pour répondre à l’appétit croissant des consommateurs pour des aliments plus sains et plus durables, en réduisant les déchets et le gaspillage, le secteur sera en mesure de répondre aux exigences du 21e siècle, estiment-ils.