Comme le nucléaire et le gaz, l’industrie de l’armement échappera aux contraintes de la taxonomie européenne. (Photo: Shutterstock)

Comme le nucléaire et le gaz, l’industrie de l’armement échappera aux contraintes de la taxonomie européenne. (Photo: Shutterstock)

La défense, industrie par essence régalienne, ne peut que profiter du retour de la realpolitik. Comme d’autres secteurs controversés, dont les énergies fossiles. À rebours des promesses de la finance durable.

C’était une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de l’industrie de l’armement européenne: être déclarée socialement non viable, et donc perdre l’accès à de nombreuses sources de financement privées. Au final, l’industrie de l’armement et de la défense ne devrait pas être pénalisée par la taxonomie européenne, selon l’ASD, l’association européenne des industries de défense et de l’aérospatiale. Longtemps menacée d’être considérée comme un investissement non durable, et donc de perdre l’accès aux marchés financiers, l’industrie de l’armement surfe désormais sur une demande en hausse et un attrait boursier.

En matière de taxonomie climatique, les activités liées à la défense ne feront pas partie des secteurs prioritaires visés par la réduction des émissions carbone, indique la Commission. Et pour ce qui est d’un potentiel écolabel apposé sur les produits financiers durables, la Commission réfléchit aux implications de ces exclusions pour les activités liées à la défense. Une réflexion qui intervient alors que Bruxelles et les pays membres de l’Union réfléchissent aux moyens de renforcer l’autonomie stratégique de l’UE.

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’inclusion du nucléaire et du gaz dans la taxonomie. Une inclusion qui reconnaît le rôle stratégique de ces secteurs dans l’autonomie énergétique du continent.

Financer durablement la défense européenne

L’ASD bat le fer tant qu’il est encore chaud en réclamant une réflexion d’ensemble sur un financement durable de la défense européenne. Avec, dans le collimateur, les banques. Celles-ci ont été très critiquées dans leurs politiques, les amenant au mieux à se montrer frileuses, au pire à se retirer peu à peu de ce secteur jugé peu conforme aux critères socialement responsables. Mais elles redécouvrent l’intérêt de soutenir ce secteur depuis l’invasion de l’Ukraine.

C’est le cas en Allemagne, où la politique d’investissement du nouveau chancelier Olaf Scholz entraîne un changement de perceptions des établissements bancaires. En France, la Fédération bancaire indique que «l’industrie de la défense doit continuer à être bien financée, et les efforts des banques françaises, parmi les plus actives dans le monde dans ce domaine, le démontrent».

Dans le même temps, les performances des champions de la défense européenne devraient attirer les investisseurs.

Sur le mois de février, sur la Place de Paris, Dassault Aviation a gagné 28,3%, et Thales 26,4%, alors que, dans le même temps, le CAC 40 reculait de 4,9%. Dassault et Thales s’étaient vues exclues en novembre de la politique d’investissement du fonds de pension norvégien (KLP). À Francfort, Rheinmetall, groupe technologique actif dans La Défense, a touché son plus haut historique. Et à la City, BAE Systems atteint des sommets. Sur un mois, son cours a gagné 24,6%.

Un bon pari pour compenser les pertes dues à la guerre dans les portefeuilles…

Le nouveau visage de la durabilité

Comme le constate Util, entreprise de technologie financière spécialisée dans le chiffrage de l’impact social et environnemental de chaque entreprise et portefeuille, «la crise ukrainienne est en train de changer le visage de la durabilité en y incorporant des critères géopolitiques».

Ce qui se ressent également sur le secteur des énergies renouvelables. Déjà porté par la déferlante ESG chez les gestionnaires et les investisseurs, le secteur est donné comme l’un des grands gagnants potentiels de la crise. Mais à moyen terme.

Dans le court terme, la tentation de relancer la filière charbon est grande. Le charbon a déjà retrouvé grâce aux yeux des décideurs avec la flambée du prix du gaz avant même la guerre en Ukraine. La question d’une conformité avec les préceptes ESG passe clairement au deuxième plan.

César Pérez Ruiz, chief investment officer chez Pictet Wealth Management, relève que «les dirigeants européens cherchent maintenant activement des solutions de substitution pour remédier à leur dépendance à l’égard du gaz russe. Les options étudiées impliqueraient de prolonger la vie des centrales nucléaires, de ralentir la réduction progressive de l’utilisation du charbon ou de construire des infrastructures dans les ports afin de recevoir du gaz naturel liquéfié en provenance du Qatar et des États-Unis.»

Même constat chez Fidelity International. Jenn-Hui Tan, responsable mondial de l’investissement durable, estime que la politique d’indépendance énergétique de l’Union européenne va conduire à une utilisation accrue des combustibles fossiles à court terme avant d’accélérer le passage aux énergies renouvelables.

Autant d’opportunités d’investissement qui semblent attirer les gestionnaires.