Erwan Loquet, associé en charge de la digitalisation chez BDO. Le cabinet, qui emploie plus de 500 personnes, a reçu le prix de la digitalisation lors des Recovery Awards organi­sés le 2 décembre dernier par le Paperjam + Delano Club. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Erwan Loquet, associé en charge de la digitalisation chez BDO. Le cabinet, qui emploie plus de 500 personnes, a reçu le prix de la digitalisation lors des Recovery Awards organi­sés le 2 décembre dernier par le Paperjam + Delano Club. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Si la digitalisation faisait partie de l’agenda de transformation de BDO avant la crise, cette dernière a rebattu les priorités, comme l’explique Erwan Loquet, associé en charge de la digitalisation au sein du cabinet.

Quelle était votre approche de la digitalisation avant la crise?

Erwan Loquet. – «Nous étions à un stade de réflexion, nous avions mené certains chantiers vers le paperless dans certains départements, mais ce n’était que des initiatives éparses, plus ou moins avancées. Il y avait aussi, comme dans toute entreprise de cette taille (500 salariés, ndlr) une résistance au changement. Le Covid a été un catalyseur.

Avec, tout d’abord, un changement dans les relations humaines…

«La crise a en effet chamboulé la relation que nous avions avec nos équipes et avec nos clients. Nous recevions ces derniers dans nos bureaux, nous leur donnions des dossiers papier. Nous vivions dans un monde qui nous paraît aujourd’hui l’ancien monde, alors qu’il date de moins de deux ans. Aujourd’hui, BDO ne ressemble plus à cela et la digitalisation nous a permis de continuer à travailler de manière efficace et à maintenir des relations privilégiées avec nos équipes et nos clients.


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La crise a-t-elle fait naître de nouvelles idées de digitalisation, ou s’agissait-il de chantiers déjà envisagés?

«Un certain nombre de choses étaient prévues, mais de manière plus étalée dans le temps. D’autres initiatives avaient été repoussées parce qu’elles représentaient des investissements importants, qui se sont révélés nécessaires dans un délai très court.

Votre digitalisation se poursuit. Quels sont les projets?

«Nous sommes en train de mettre en place une nouvelle solution de gestion électronique des documents. Un projet très important, car le flux documentaire dans une entreprise comme la nôtre représente le cœur de notre métier. Nous nous sommes également lancés dans la mise en place d’un nouvel ERP (‘entreprise resource planning’, ou progiciel de gestion intégré, qui permet de gérer l’ensemble des informations et services opérationnels d’une entreprise, ndlr). Nous allons lancer un appel d’offres très prochainement sur ce sujet.

Pensez-vous déployer ces solutions aussi rapidement qu’au cœur de la crise?

«J’espère que nous allons garder le momentum. Et que nous allons même, sur certains chantiers, accélérer.

Vous utilisez par exemple une nouvelle organisation digitale pour l’échange de documents ou la signature électronique. Cette organisation se poursuit-elle ou êtes-vous revenus en arrière sur certains points?

«Aujourd’hui, 65% de la facturation se fait électroniquement. Ce chiffre va continuer d’augmenter et tout va passer en facturation électronique. De même pour la signature électronique. J’adore les beaux stylos, mais je les ai rangés dans un tiroir.

Combien avez-vous investi dans cette digitalisation?

«Aux alentours de deux millions d’euros sur une période très courte.

Pour plusieurs projets, vous avez utilisé des solutions existantes. Lesquelles ont nécessité un développement de votre part?

«Nous avons la chance d’avoir notre propre société informatique chez BDO. Nous avons un logiciel en charge de la gestion KYC/AML (réglementations visant à vérifier l’identité des clients ou fournisseurs, ndlr), que je n’inclus pas dans le coût de l’investissement. Nous l’avons développé en interne avant de le commercialiser. Nous avons aussi un logiciel de planification des travaux entièrement développé en interne. Les coûts sont difficiles à estimer.

La digitalisation est souvent présentée comme un moyen d’industrialiser des tâches à faible valeur ajoutée. Comment en tirer profit?

«Nous avons beaucoup d’initiatives pour automatiser certaines tâches, faites précédemment par des gens très qualifiés, mais qui étaient chronophages. Nous sommes parvenus à convertir cela en temps utilisé de manière plus intelligente. Le personnel se consacre à la relation client et à l’analyse plutôt qu’à l’encodage. Le but n’est pas de diminuer notre masse salariale, mais de travailler de manière plus intelligente et de répondre à une problématique que nous avons: la chasse aux talents.

Quel rôle l’intelligence artificielle joue-t-elle?

«Beaucoup d’outils que nous utilisons y font appel. Par exemple, dans la reconnaissance automatisée des documents comptables ou fiscaux. On parle de métiers qui seront bousculés. Je pense que l’humain a encore un rôle à jouer. Une machine fera certainement mieux que moi des recherches fiscales ou le lien entre deux arrêts de jurisprudence et un texte fiscal. Mais ce que je ferai mieux qu’elle, c’est expliquer et interpréter ce résultat au client. Je vais gagner en efficacité, mais mon rôle ne va pas disparaître. Je crois que le profil des personnes devra changer. Il va falloir se montrer flexible et curieux. Ne pas se reposer sur ses acquis.

Quelles sont les principales demandes des clients en cette phase de relance? 

«Ils souhaitent beaucoup d’accompagnement. C’est peut-être aussi pour cela que notre chiffre d’affaires a augmenté. Beaucoup nous ont demandé de les aider sur les impacts salariaux. D’autres, au contraire, ont connu une certaine croissance. Nous sommes dans une période où les investisseurs ont beaucoup de cash disponible. De ce fait, nous accompagnons certains projets de transformation ou d’achat/revente d’entreprises.

À quoi le gouvernement devrait-il être attentif pour accompagner les entreprises dans leur relance? 

«Je vois qu’il reste des entreprises en difficulté qui ont besoin d’aide soit sous forme de financement, soit sous forme d’accompagnement humain. Beaucoup de cadres existent, mais je pense qu’il ne faut pas relâcher l’effort.

D’un point de vue économique, quel a été l’impact de la crise sur vos activités?

«Nous avons eu un ralentissement à un certain moment, comme tout le monde. La digitalisation nous permet d’ailleurs d’avoir un tableau de bord régulier de nos activités. Mais nous avons pu maintenir un niveau d’activité satisfaisant. Notre chiffre d’affaires s’élève à 64,3 millions d’euros en 2021, comparé à 60,3 millions d’euros en 2020.

Quel regard portez-vous sur la recovery du pays? 

«J’admire sa capacité d’adaptation. J’ai tendance à dire que le Luxembourg est géré avec une stratégie d’entreprise, qui parfois peut surprendre, être en contradiction avec celle des pays voisins, mais qui s’est révélée historiquement tout à fait fondée. Aujourd’hui, nous démontrons, avec la santé financière du Luxembourg, que cette stratégie est la bonne. À chaque fracture dans l’histoire, que ce soit le passage entre les mondes agricole et industriel, ou entre les mondes industriel et tertiaire, cela a été abordé avec beaucoup de vision, et j’espère que cela va continuer.»

Cette interview a été rédigée pour  parue le 16 décembre 2021.

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