L'équipe de LuxProvide chargée de la mise en œuvre du supercalculateur luxembourgeois Meluxina. (Photo: LuxProvide/Linkedin)

L'équipe de LuxProvide chargée de la mise en œuvre du supercalculateur luxembourgeois Meluxina. (Photo: LuxProvide/Linkedin)

LuxProvide, chargée d’exploiter le superordinateur national Meluxina, a publié une photo de son équipe sur ses réseaux sociaux la semaine dernière, provoquant une avalanche de commentaires liés à son manque apparent de diversité.

Treize hommes. Zéro femme. Face à ce cliché posté sur Linkedin qui devait présenter l’équipe se cachant derrière le superordinateur luxembourgeois Meluxina, les utilisateurs se sont rapidement étonnés d’un évident manque de diversité. Comme , CEO de Luxinnovation, qui a écrit sous la publication en question: «Une équipe formidable qui deviendra encore plus grande avec des femmes à bord!»

Les femmes ne sont cependant pas les seules à s’exprimer sous le post devenu viral. Simone La Torre, managing partner d’Elite Circle, s’est en effet déclaré prêt à dénicher les talents féminins qui manquent à LuxProvide, non sans «un salaire raisonnable et attractif» pour ces dernières. Et de préciser qu’il est convaincu de pouvoir trouver au moins 10 femmes «au parcours parfait» à même d’envoyer un CV dans les 30 jours.

Certains se sont empressés de fournir des outils utiles — des liens vers des forums et des articles sur les femmes dans l’informatique, par exemple. Mais d’autres, notamment sur Twitter, où la photo a également été relayée par LuxProvide, ont souligné le faible ratio de femmes dans les cours d’informatique, supposant que l’équipe avait simplement engagé les personnes les plus qualifiées pour les postes.

Suite au post original, LuxProvide a publié des excuses. «Il est vrai que notre équipe actuelle ne reflète pas encore une quelconque diversité de genres et nous encourageons toujours les femmes à postuler et à rejoindre l’équipe car nous sommes toujours à la recherche de plus de talents», a communiqué la société sur Linkedin.

Interrogé sur le manque de diversité de l’équipe, , CEO de LuxProvide, a déclaré à Delano: «Nous avons fait appel à une société de chasseurs de têtes hautement qualifiée pour trouver les bons candidats dans les centres HPC existants. Nous avons réussi à attirer une équipe clé d’ingénieurs/spécialistes hautement qualifiés venant de toute l’Europe (et de l’étranger) avec 13 nationalités différentes et en utilisant l’anglais comme seule exigence linguistique. Mais avec [moins] de 10% de candidatures féminines, nous n’avons réussi à sélectionner qu’une seule femme, originaire du Vietnam.»

, l’autre CEO de LuxProvide, a confirmé l’initiative des chasseurs de têtes, ajoutant qu’à ce jour, cependant, la femme attendue du Vietnam a encore besoin d’une autorisation pour travailler au Luxembourg. Il a ajouté que l’équipe était «plus que motivée» pour parvenir à plus de diversité. «Pousser la diversité dans la tech doit être un objectif commun», explique-t-il aussi.

En juillet 2019, LuxProvide a été créée en tant que filiale à 100% de Luxconnect, qui, selon Lampach, présente . Mais Bouvry ajoute: «Le fait que nous ayons déjà plusieurs femmes autour de nous (par exemple, relations publiques, site web, RH, comptabilité) ne me rassure pas.»

Bouvry explique qu’il est important de distinguer les personnes qui développent des solutions de celles qui administrent le système. «Il convient de noter que la création d’un centre de calcul haute performance à partir de rien, le choix du superordinateur et son installation dans un délai très court constituent des tâches extrêmement difficiles, qui nécessitent des personnes expérimentées comprenant parfaitement les subtilités techniques en jeu. L’équipe initiale est donc principalement composée de personnes qui ont développé une expertise en matière de calcul intensif depuis 10 ans ou plus. Une fois le système mis en place, les exigences deviennent naturellement moins strictes, et nous accueillerons des personnes ayant moins ou pas d’expérience préalable du HPC.»

La représentation en classe, mais pas seulement…

M. Bouvry est également professeur d’informatique (CS) à l’Université du Luxembourg et responsable de son programme de master en technopreneuriat (MTECH). Quel est donc le pourcentage de femmes dans ces formations? Si la première promotion du MTECH compte neuf étudiants – dont quatre femmes –, M. Bouvry explique que cette filière va au-delà de l’informatique, incluant d’autres aspects comme l’innovation commerciale. Quant aux autres programmes concernés, on compte 44% d’étudiantes inscrites au master en informatique, 16% au bachelor académique CS, et 14,1% au bachelor appliqué CS.

«Avec mes collègues, nous travaillons en étroite collaboration avec les lycées pour essayer d’attirer davantage d’étudiants, et en particulier des étudiantes, vers les études scientifiques», a-t-il expliqué, en mentionnant le comme l’une de ces initiatives.

Pour certains, cependant, obtenir un meilleur équilibre entre les sexes parmi les étudiants dans l’enseignement supérieur n’est qu’une partie de la solution.

«Il n’y a pas d’excuse pour ne pas avoir de femmes à bord», déclare ainsi Jelena Zelenovic Matone, qui occupe les fonctions de responsable principale du risque opérationnel et de responsable de la sécurité informatique (CISO) à la Banque européenne d’investissement (BEI).

Mme Matone est également présidente et membre fondatrice de , qui vise à promouvoir le rôle des femmes dans le domaine des TIC et de la cybersécurité, et à lutter contre le déséquilibre de la représentation et de la rémunération dans ce secteur.

Parmi les compétences qui, selon elle, seraient utiles dans le HPC, figurent le génie informatique, les sciences informatiques, l’IA et la logique du codage machine. Mme Matone prend l’exemple des langages de programmation: dans ses propres études initiales, elle a appris Java, C++ et d’autres, même si elle n’a pas appris Python, un langage de programmation qui, selon elle, est utilisé dans le HPC. «Python est plus facile que C++», mais pour elle, la plus grande préoccupation est de donner une chance aux femmes. «Je n’ai pas appris la cybersécurité uniquement à l’école. J’ai appris en ayant une chance.» Une chance, plus un travail acharné, ce qui lui a permis de recevoir le titre de CISO de l’année au Luxembourg en 2019.

Si, d’après son expérience, il y a effectivement plus d’hommes que de femmes dans le HPC, elle est convaincue que les femmes peuvent tout de même être formées. «Ce n’est pas une excuse, et il serait judicieux de les embaucher et de les former puisqu’elles apprendraient en un rien de temps, d’autant plus si [elles occupent] déjà des postes en lien avec la haute technologie», explique-t-elle. «Nous devrions avoir pour objectif d’embaucher et de former davantage de femmes… comme il faudrait le faire dans le domaine de la cybersécurité. Nous avons prouvé notre valeur en informatique, mais si personne ne nous offre d’opportunités dans le domaine de la cybersécurité, nous finirons dans la gestion de projet ou autre, donc il s’agit finalement de donner une chance aux femmes et de les former dans ce domaine.»

, fondatrice de la plateforme , qui vise à soutenir les organisations dans leurs efforts en matière de diversité, reconnaît que «même s’il y a moins de femmes, en pourcentages, dans l’informatique que dans d’autres secteurs», «rien ne justifie une équipe exclusivement masculine».

Au minimum, abonde-t-elle, «le conseil d’administration aurait pu compter des femmes… Mais le fait de n’en avoir aucune signifie que vous êtes soit trop ignorant pour regarder aux bons endroits, soit trop ‘vieille école’ pour vouloir des femmes dans l’équipe. Dans tous les cas, cela témoigne d’un très mauvais jugement qui fait peur compte tenu de l’importance du projet.»

De l’insulte à la blessure?

Moins d’une semaine après le post de l’équipe Meluxina de LuxProvide, le 3 mai, le siège de l’entreprise commune EuroHPC (EuroHPC JU)  dans le bâtiment Technopolis Gasperich à la Cloche d’Or. Parmi les intervenants figuraient le commissaire européen chargé du Marché intérieur, Thierry Breton, les ministres luxembourgeois des Affaires étrangères (LSAP) et de l’Économie (LSAP), le directeur exécutif de l’entreprise commune EuroHPC, Anders Dam Jensen, et le président du conseil d’administration d’EuroHPC, Herbert Zeisel.

Dévoilement de la plaque commémorative pour l’inauguration de l’EuroHPC JU le 3 mai, avec Thierry Breton, Anders Dam Jensen, Herbert Zeisel, Josephine Wood, Jean Asselborn et Franz Fayot.  (Photo: Capture d’écran vidéo)

Dévoilement de la plaque commémorative pour l’inauguration de l’EuroHPC JU le 3 mai, avec Thierry Breton, Anders Dam Jensen, Herbert Zeisel, Josephine Wood, Jean Asselborn et Franz Fayot.  (Photo: Capture d’écran vidéo)

Au moment de prendre une photo, les cinq orateurs se sont rassemblés autour d’une plaque commémorative, rejoints par une femme qui n’a pas été identifiée lors de la retransmission en direct (ni dans le , ni dans la légende, après l’événement). Il s’agissait de Josephine Wood, responsable du programme EuroHPC JU. Bien que ne faisant pas partie des orateurs officiels, on a pu l’entendre faire un commentaire, repris par le flux vidéo, sur le fait d’être sur la photo pour qu’il n’y ait pas que des hommes face à l’objectif.

Dans la foulée de la réaction négative à l’image de Meluxina – et un jour avant le lancement du , le 4 mai –, ce commentaire a surpris certains téléspectateurs.

Contactée par Delano, Josephine Wood s’explique: «Je devais être là [sur la photo]. Je suis désolée que ce commentaire ait été repris. On m’a demandé d’être là pour montrer que nous étions une équipe diversifiée, ce que nous sommes.»

Elle déclare également qu’en ce qui concerne la diversité, «nous sommes conscients que c’est quelque chose sur lequel nous devons nous appuyer», ajoutant que l’EuroHPC JU est une «organisation diversifiée, et nous voulons continuer à être une organisation diversifiée à l’avenir lorsqu’il s’agira de recruter pour attirer des talents dans le domaine du HPC et de l’informatique quantique».

EuroHPC JU a initialement lancé un appel au début de 2019 pour les entités d’hébergement européennes concernant les superordinateurs. Plus tard dans l’année, elle en a sélectionné cinq – dont le Luxembourg – pour les systèmes «petascale». Le supercalculateur Meluxina – – a coûté 30,4 millions d’euros, dont les deux tiers ont été financés par l’État luxembourgeois. La Commission européenne a financé l’autre tiers, 35% de la puissance de calcul devant être mis à la disposition des 32 pays participant à l’entreprise commune EuroHPC.

Étant donné qu’EuroHPC JU est une initiative conjointe qui inclut l’UE – représentée par la Commission européenne, qui a mis en avant sa stratégie pour l’égalité des sexes 2020-2025 –, Delano a demandé à la représentation locale de la Commission européenne de commenter les mesures prises, le cas échéant, pour assurer une représentation équitable des sexes et de la diversité dans de telles entreprises conjointes.

La Commission européenne a répondu à Delano mardi: «Tous les superordinateurs EuroHPC sont acquis en partenariat avec des entités nationales d’hébergement. La dotation en personnel relève de la responsabilité de ces entités d’hébergement qui achètent le supercalculateur et qui gèrent donc également les recrutements. En ce qui concerne l’EC EuroHPC, nous sommes fiers de dire que le personnel de l’entreprise commune basée au Luxembourg est équilibré en termes de genres et continuera à promouvoir la diversité et l’équilibre entre les sexes à l’avenir.»