Au Luxembourg, l’entretien d’évaluation ne fait l’objet d’aucune obligation réglementaire… exception faite des plus de 32.000 agents de l’État. Les fonctionnaires, jusqu’ici, se pliaient à l’exercice au rythme d’une fois tous les trois ans. La loi vient d’évoluer. Début décembre, les députés ont voté un texte imposant que ces rendez-vous soient désormais épinglés à l’agenda chaque année. Comme prévu dans l’accord salarial dans la Fonction publique signé en 2022.
«Ces entretiens sont un moment important, car ils permettent notamment aux agents de donner un feed-back sur leur charge de travail, sur l’ambiance au sein des équipes. Les entretiens contribuent ainsi à un climat de travail positif», estime le ministre de la Fonction publique, (CSV).
Pour la fondatrice et CEO du cabinet d’externalisation RH Lab., , ils constituent un outil dont les entreprises auraient tort de ne pas s’emparer. À condition d’être utilisés à bon escient…
Quid des entretiens annuels dans le privé?
Lauriane Marlier. – «L’entretien d’évaluation ne devrait pas être annuel, il devrait être continu. En matière de feed-back et de suivi, pourquoi attendre une date donnée pour suivre les objectifs, et s’assurer qu’ils sont atteignables ou atteints? Ceci posé, que cet outil puisse à l’avenir être encadré par la loi serait, à mon sens, intéressant et utile.
Les entreprises y sont-elles prêtes?
«De nombreuses entreprises évitent encore l’exercice, car il s’avère chronophage. C’est pourtant un très bon investissement. Mais cet investissement n’a de pertinence que si les entretiens concernent l’ensemble des effectifs, et pas uniquement les postes situés sur une partie de l’organigramme, comme on l’observe souvent. Les objectifs sont censés être fixés en premier lieu au sommet de la pyramide, sur base de la vision stratégique établie par la direction, avant d’être déployés dans les services et ainsi ‘cascadés’ sur tous les effectifs.
Comment se préparer?
«Le temps de préparation est capital pour la personne appelée à ‘driver’ l’entretien. Dans le cadre d’un entretien d’évaluation, il faut un regard constructif sur ce qui s’est passé au cours des douze derniers mois, mais également sur ce qui va être demandé. Des entretiens sans réels indicateurs (KPIs) mis en place, tenus et suivis, ne font pas de sens.
Qui doit être autour de table?
«Le manager, si tant est que ce soit bien ce manager qui ait travaillé toute l’année avec le collaborateur reçu en entretien – ce qui n’est pas toujours le cas. À défaut, la participation du précédent manager est également souhaitable, afin d’assurer un relais. Aucune autre présence n’est requise, il ne faut pas rendre la situation anxiogène. L’idée de l’entretien est que ce soit utile à la performance de l’entreprise, mais aussi à l’épanouissement du collaborateur, à sa motivation, à son employabilité, à son bien-être, et son évolution dans l’organisation.
Il est essentiel de ne pas confondre entretien d’évaluation et entretien de négociation salariale.
J’ai dix ans d’ancienneté dans mon entreprise, j’estime mériter une augmentation. Est-ce l’endroit pour en discuter?
«Dans des institutions comme l’État, le système de grille salariale et de barème permet de dissocier la question de la rémunération des discussions sur le suivi de la progression. Quand la négociation salariale est intégrée à l’entretien d’évaluation, l’enjeu de la discussion change radicalement. Le salarié pourrait être amené à orienter ses réponses de manière à ne pas contrarier son manager, afin d’atteindre l’objectif salarial qu’il recherche. Cette dynamique détourne l’entretien de son but initial: évaluer les performances, fixer des objectifs et orchestrer le plan de développement professionnel.
Ainsi, il est essentiel de ne pas confondre entretien d’évaluation et entretien de négociation salariale. Séparer ces deux moments permet de maintenir la clarté des échanges, d’éviter les frustrations et de se concentrer pleinement sur la reconnaissance des compétences et des résultats.
Quelles sont les autres erreurs à éviter?
«L’impréparation, j’y reviens. Attention, également, à bien considérer le collaborateur en face de soi. En étant bien préparé, donc, mais aussi en étant ponctuel, en disposant de tous les chiffres nécessaires, de tous les éléments indispensables à la conduite d’une évaluation. Une erreur souvent commise dans le processus, également, est la mise en circulation de formulaires de plusieurs pages regorgeant de questions ouvertes. Lors de l’entretien, le manager, plongé dans ses notes, passe son temps à rédiger les réponses données par le collaborateur, au détriment d’un ‘one to one’ qualitatif assurant un véritable échange.

«La priorité est de faire en sorte que l’entretien soit le plus factuel possible et permette d’évaluer la prestation de l’année du collaborateur sur la base d’objectifs clés et de résultats concrets», explique le CEO de RH Lab., Lauriane Marlier. (Photo: ericdevillet.com)
Évaluer et critiquer, c’est la même chose?
«Ce serait une autre erreur de ressasser des choses déjà réglées ou d’insister sur les ressentis négatifs de l’année écoulée ou, pire, des dernières semaines. Autant remuer le couteau dans une plaie… La priorité est de faire en sorte que l’entretien soit le plus factuel possible et permette d’évaluer la prestation de l’année du collaborateur sur la base d’objectifs clés et de résultats concrets. Qu’est-ce qui a été demandé? Qu’est-ce qui a été réalisé? Et qu’est-ce qui va être demandé pour l’année à venir? L’échange doit être transparent et collaboratif.
Faut-il s’astreindre à un temps de discussion donné?
«Cela dépend du poste occupé. Pour une fonction reposant sur cinq indicateurs, l’entretien peut tenir en une trentaine de minutes. Pour un poste aux objectifs plus vastes et comptant davantage de responsabilités, cette durée ne suffira pas. C’est une distinction importante, car elle renvoie à un reproche souvent formulé par les collaborateurs auxquels est adressé un formulaire commun à l’ensemble des services et des métiers d’une même entreprise. Plus c’est personnalisé, mieux c’est.
La digitalisation peut aider?
«Elle peut servir à conserver un historique, une traçabilité des échanges, mais ne doit pas se substituer à l’entretien physique. La digitalisation est et doit rester un appui très utile à la qualité de l’échange.
Maintenir un dialogue ouvert et constructif avec sa hiérarchie et, indirectement, avec son équipe.
Une fois les entretiens bouclés, quel en est le fruit?
«En tant que RH, on rédige en général un compte rendu à destination de la direction. L’idée est de faire remonter l’ensemble des axes d’amélioration opérationnels et stratégiques identifiés au cours de l’ensemble des entretiens. Compte rendu qui peut ensuite permettre de dégager des priorités pour l’année à venir et la mise en place d’un plan d’action, de formation, et/ou de carrière…
Et du côté des salariés? Comment aborder ce genre d’échéance?
«La préparation est importante pour le collaborateur lui aussi. Il est nécessaire d’avoir en amont une réflexion sur ses objectifs et ses attentes en matière de motivation et d’épanouissement dans son travail. Un entretien peut être le moment de poser les questions qui ne sont pas posées d’habitude et d’exprimer ses envies d’évolution. Ainsi que l’occasion, pourquoi pas, de se démarquer en se montrant force de proposition, en illustrant son implication dans l’entreprise, son investissement actif. L’objectif premier est de créer du lien et de maintenir un dialogue ouvert et constructif avec sa hiérarchie et, indirectement, avec son équipe.
Peut-on tout dire à son manager en entretien?
«Tout peut se dire si on sait bien le dire! Des entreprises intègrent à leurs formulaires un volet ‘entretien à 360°’. Dans ces cas-là, c’est aux RH de briefer les intéressés sur le fait, par exemple, que le mode de management va faire l’objet d’un retour de la part du collaborateur, et que ce retour peut amener à des remises en cause. Encore une fois, c’est une question de préparation.
Les entretiens sont-ils le lieu pour annoncer les bonnes et mauvaises nouvelles dans l’organisation?
«Il n’y pas une seule réponse possible, c’est une affaire de temporalité. Mais en théorie, ce genre d’informations doit s’intégrer à la communication habituelle d’une entreprise, celle qui se pratique en continu, tout au long de l’année. L’entretien annuel est avant tout dédié à l’évaluation de la performance.»