Les crises minent le moral des dirigeants d’entreprise, au point qu’ils sont de plus en plus nombreux à envisager de jeter l’éponge. Laurent Muller, administrateur délégué de Fiduciaire Muller & Associés, le constate: «Il y a aujourd’hui plus d’entreprises en vente qu’il y a trois ans. Les cédants, en outre, sont plus jeunes que par le passé. Les entrepreneurs ont souffert de la succession des crises. Si la pandémie devait constituer un épisode exceptionnel, momentané, les événements qui lui ont succédé laissent penser que les temps ont changé. Entreprendre implique certes d’appréhender et de gérer les risques, de les accepter, mais faire face à l’incertitude actuelle est plus compliqué. Beaucoup n’en veulent plus…»
Des valorisations en baisse
La pression croissante qui pèse sur les épaules des entrepreneurs et l’accumulation des aléas font que beaucoup cherchent désormais à céder leur activité. Cependant, dans le contexte actuel, c’est loin d’être évident… Si beaucoup d’entrepreneurs souhaitent vendre, la logique de l’offre et de la demande pèse sur la valeur des sociétés. «Les valorisations sont plus faibles qu’avant la crise du Covid. Dans un contexte difficile, les acquéreurs intègrent les risques dans le calcul du prix qu’ils sont prêts à payer», explique Laurent Muller. «L’une des méthodes les plus utilisées pour déterminer la valeur d’une entreprise consiste à prendre un multiple de son Ebitda, principal indicateur de sa rentabilité. Tous secteurs confondus, les multiples utilisés – habituellement entre 5 et 7 selon les secteurs – ont fortement diminué.» Les acquéreurs, en effet, sont prêts à payer pour les résultats futurs. «On sait désormais que le futur ne sera pas une réplique du passé», commente Laurent Muller. «Si la rentabilité à venir est incertaine, la valeur de l’entreprise diminue.»
S’assurer que son entreprise est «vendable»
La conjoncture n’est pas donc favorable aux cédants. Mais, avant de parler de valorisation, il est important pour tout entrepreneur de s’assurer que son entreprise est vendable. «Dans beaucoup de PME, le dirigeant agit comme un chef d’orchestre. Il s’occupe de tout, de la définition de la vision à l’approvisionnement en papier toilette. L’entreprise est alors dépendante d’une seule personne et, sans elle, perd toute sa valeur», explique Laurent Muller. «Ce genre d’organisation, dès lors, est difficile à céder. Personne ne prendra le risque de l’acheter.»
Lorsque l’on crée, le chemin à parcourir, en considérant de nombreux facteurs comme l’investissement ou le risque d’acceptation du marché, est connu.
Bien vendre son entreprise, dès lors, implique de planifier, organiser, gérer cette transmission, en commençant par agir sur sa gouvernance en veillant à ce qu’elle puisse fonctionner de manière indépendante de son dirigeant. «Il faut considérer les personnes clés, à même de prendre les décisions et de contribuer au développement de l’activité, indépendamment du dirigeant, et leur donner des perspectives au-delà de la transmission», poursuit l’administrateur délégué de Fiduciaire Muller & Associés. Ce n’est qu’à cette condition que l’entreprise pourra trouver acquéreur.
Tendance à la consolidation
Dans le contexte actuel, acheter devient-il plus opportun que de créer? Si, in fine, le but est d’entreprendre, entre la création et l’acquisition, les moyens sont très différents. «Lorsque l’on crée, le chemin à parcourir, en considérant de nombreux facteurs comme l’investissement ou le risque d’acceptation du marché, est connu», commente Laurent Muller. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est facile à parcourir. «Lorsque l’on reprend, c’est moins ces enjeux externes qui priment que des considérations vis-à-vis de l’interne. Le facteur temps, notamment, est très important. La société, malgré le changement, poursuit sur sa lancée», explique l’administrateur délégué. «J’aime faire l’analogie du repreneur avec celle d’une personne qui arrive en retard à une soirée bien entamée, où l’ambiance est établie, et qui doit parvenir à s’y imposer. Le repreneur devra notamment rapidement affirmer sa position, faire valoir son projet auprès des clients et des équipes, sans quoi il aura du mal à s’imposer par la suite. L’enjeu est d’embarquer tout le monde avec lui en veillant à garantir la cohérence du projet.»
Il est important, toutefois, de noter que les motivations de reprise d’une entreprise ne sont que rarement liées à une envie personnelle de se lancer dans l’entrepreneuriat. «Nous évoluons dans un contexte propice à la consolidation des acteurs, notamment pour répondre à une pression réglementaire croissante, à une augmentation des coûts de structure, ainsi qu’à des difficultés à trouver des compétences», commente Laurent Muller. «Le plus souvent, l’intérêt du marché pour une entreprise viendra d’un de ses concurrents.»
Le fait qu’il y ait de plus en plus d’entreprises à céder devrait donc être favorable aux acquéreurs, aux acteurs qui cherchent à mener des opérations de croissance externe.