Retrouvez la première partie de ce grand entretien .
Revenons à l’UEL. Quelle est votre vision de ses missions?
– «Elle est avant tout au service de ses membres que sont les six fédérations, les deux Chambres. Nous leur devons un devoir d’excellence dans le travail de réflexion et de propositions autour des trois piliers transversaux pour lesquels ils ont mandaté l’UEL: le droit du travail, les systèmes de sécurité sociale et, le dernier en date, la fiscalité.
Ce cadre de travail s’inscrit dans une vision du monde de l’entreprise qui est, dans notre société, un des derniers grands espaces de solidarité et de rencontres entre les différentes générations, entre des personnes plus ou moins expérimentées… Sans idéalisme, l’entreprise est un formidable vecteur d’ascenseur social et d’intégration. C’est dans l’entreprise que nous pouvons encore dépasser l’origine de nos conditions.
Les bienfaits de l’entreprise pour l’individu ne sont pas suffisamment mis en exergue?
«La vision que l’on a de l’entreprise est dépendante de son parcours particulier, de ses origines. Oui, il y a des abus dans les entreprises, ce n’est pas le paradis. Mais l’entreprise, ce n’est pas le goulag. C’est un espace où l’on passe beaucoup de temps. Et si on s’investit pleinement dans le travail, on peut atteindre certains objectifs qu’on s’est fixés dans la vie, qu’il s’agisse d’une aisance matérielle pour en faire bénéficier sa famille ou d’un plan de carrière… C’est ce que j’appelle l’ascenseur social.
Les salariés cherchent un environnement qui est à la fois exigeant et qui amène une forme de sécurité. L’humain a besoin de ces deux piliers.
L’entreprise, un endroit pour être heureux?
«Le monde du travail est fait d’exigences et d’attentes de clients, qu’ils soient internes ou externes. C’est un environnement enrichissant, mais la promesse n’est pas de travailler pour être heureux. La satisfaction dans le monde du travail vient de la contribution individuelle à un ensemble. Je préfère le mot satisfaction au mot bonheur.
Une série d’entreprises, notamment dans le secteur technologique, font pourtant de la 'joie de vivre' au bureau une marque de fabrique. Au point de voir certaines fonctions créées, comme le chief happiness officer…
«La priorité pour les entreprises est d’être compétitives et performantes. C’est ce que les salariés attendent. Ils veulent travailler dans des entreprises qui leur donnent confiance grâce à leur marge de manœuvre pour, par exemple, engager de nouveaux collaborateurs. Ce qui est le premier signe de confiance que l’on peut ressentir à titre individuel. Les salariés cherchent un environnement qui est à la fois exigeant et qui amène une forme de sécurité. L’humain a besoin de ces deux piliers.
Quelle sera la « patte Buck » à la présidence de l’UEL?
«Il est encore trop tôt pour répondre en détail à cette question. Joseph Kinsch et (précédents présidents, ndlr) ont jeté les bases du développement de cette union des fédérations et des Chambres, une union qui est très forte.
Je pense aussi au mérite de Pierre Bley (premier directeur de l’UEL), (ancien administrateur délégué) et (ancien secrétaire général) d’avoir fait en sorte de créer le socle qui nous permet aujourd’hui d’aller plus loin. C’est un travail de 20 ans. Sans mes prédécesseurs, tout ce que nous faisons aujourd’hui ne serait pas possible.
À votre entrée en fonction, vous aviez émis le souhait de «professionnaliser» l’UEL. Est-ce chose faite?
«Nous sommes reconnaissants envers nos fédérations et Chambres membres qui ont accepté de revoir à la hausse nos moyens en fonction de notre projet. Plus qu’une question de professionnalisme, c’est une question de moyens. Une entreprise – et l’UEL est une entreprise, en quelque sorte – a besoin de moyens pour se développer. Ma touche personnelle se reflétera sans doute dans le niveau d’exigence élevé que j’attends du résultat de notre travail. Quand nous promettons quelque chose, nous devons honorer cette promesse.
C’est important pour le patronat de compter dans ses rangs des personnes qui savent ce qu’est l’action politique.
Comment vous positionnez-vous par rapport à la Chambre de commerce, qui a aussi un nouveau président depuis le début de l’année? Luc Frieden a choisi de ne pas prendre de « position syndicale », mais souhaite accompagner en priorité le processus législatif.
« est un ami et il représente, en tant que président de la Chambre de commerce, un des actionnaires de l’UEL. C’est un grand serviteur de l’État, il nous apporte son expérience politique et ministérielle (comme ministre des Finances – CSV – notamment, ndlr). C’est important pour le patronat de compter dans ses rangs des personnes qui savent ce qu’est l’action politique. La Fedil a d’ailleurs fait la même chose avec la vice-présidence de (ancien ministre des Communications et de la Coopération, CSV).
Qui est le «patron des patrons»? Luc Frieden ou Nicolas Buck?
«Nous ne sommes pas dans une guerre des titres. Ce qui m’intéresse dans le monde du travail, ce sont les résultats. Nous avons des champs d’action très clairs entre organisations, et cela facilite notre travail à tous. Nous faisons partie du même groupe.
Vous considérez-vous comme un «représentant syndical» du patronat?
«Absolument. Mais dans une conception noble du syndicalisme. Je respecte profondément la passion des syndicalistes, leur engagement en faveur d’un combat d’idées sur base d’une vision très claire du monde du travail.
Depuis 100 ans en Europe, les syndicats sont des organisations particulièrement stratégiques qui ont d’abord changé le monde du travail au travers de leur organisation et ont ensuite pris le pouvoir en créant des partis socialistes. Toute stratégie se doit d’être repensée ou adaptée aux nouvelles réalités économiques. Nous sommes en 2019, pas en 1919.
Vous avez structuré votre pilier «fiscalité» en prévision de la réforme fiscale annoncée par le gouvernement pour l’an prochain. Dans quel état d’esprit entamez-vous les travaux préparatoires?
«Notre rôle est tout d’abord de centraliser les demandes qui émanent du patronat en prévision de cette réforme. C’est une nouveauté. Notre but ultime est d’assurer les recettes fiscales de l’État central. La réforme fiscale sera très importante pour les entreprises, mais elle ne devra pas se limiter à abaisser le taux de l’IRC de 17 à 16 %. Ça ne suffira pas. Nous plaidons pour une discussion non idéologique et en chiffres non absolus.
Notre engagement est de revenir vers le gouvernement avec des idées au niveau de la politique fiscale pour avoir une réforme fiscale prévisible, évolutive et souple sur plusieurs années, qui représente une véritable stratégie. Le gouvernement a fait une grande réforme fiscale sur les personnes physiques en 2017. Il a quand même abaissé le taux de l’IRC de 21 à 17 %, ce que nous saluons, mais il va devoir agir au niveau de l’ICC avec un cumul des mandats à la Chambre qui risque de compliquer les discussions.
Vous pouvez avoir des entreprises sans salarié, ça s’appelle des boîtes aux lettres. Mais vous n’aurez jamais des salariés sans entreprise. Ça n’existe pas.
Avec comme objectif corollaire d’attirer des entreprises…
«Vous pouvez avoir des entreprises sans salarié, ça s’appelle des boîtes aux lettres. Mais vous n’aurez jamais des salariés sans entreprise. Ça n’existe pas. L’entreprise est à la base de la création d’emplois. Nous devons donc avoir une fiscalité qui attire les entreprises et qui incite certains comportements comme l’investissement dans la recherche et l’innovation, tout en sachant que les entreprises seront impactées à l’avenir sur des taxes carbone par secteur. Nous l’acceptons, ce sont des objectifs climatiques que nous ne remettons nullement en cause, mais nous attirons l’attention sur le lien entre les objectifs globaux, y compris environnementaux, et les recettes fiscales.
… tout en tenant compte de la compétitivité affichée par d’autres pays.
«Le Luxembourg s’est positionné en tant que concurrent de l’Irlande, de la Belgique et de la Hollande. Nous devons rester compétitifs par rapport à ces pays. Nos recettes fiscales sont concentrées et elles sont surtout exceptionnellement élevées par rapport au PIB. Cette équation donne beaucoup de moyens dont nous avons besoin pour faire fonctionner l’État, mais il faut les préserver. En cas d’inversion de la tendance économique, nous pourrions perdre énormément.
Que vous inspire le projet de budget 2020 de l’État avec le cap des 20 milliards, qui est franchi, tant pour les recettes que pour les dépenses?
«Après sa présentation, j’ai mal dormi. Avec un déficit prévisible au niveau de l’État central sur plusieurs exercices – même si tous les investissements ne seront peut-être pas réalisés –, nous entrons dans une autre dimension qui pose beaucoup de questions. Ce budget représente un engagement lourd de responsabilités pour le futur, à l’image d’un club de football qui va jouer la Champions League pour la première fois, va fortement augmenter son budget et aura besoin ensuite d’y participer tous les ans, sinon il devra vendre tous ses joueurs.
Sur le fond, comment percevez-vous le débat sur les rétrocessions fiscales demandées par les régions ou pays voisins, mais qui ne bénéficient pas des impôts que les frontaliers paient sur leurs salaires au Luxembourg?
«À l’image de la 'poule et de l’œuf', c’est un débat sans fin. Le Luxembourg pourrait demander à son tour une forme de rétribution à ses voisins car il a créé un écosystème qui leur est bénéfique… Nous devons revenir à un état d’esprit plus collectif. Nous parlons de territoires qui ont une communauté de destins en commun.
Si le Luxembourg s’écroule, Arlon et Thionville s’écrouleront. Trèves, peut-être un peu moins. Ces régions voisines doivent d’abord voir qu’il y a un investissement important au niveau de l’infrastructure et une écoute, une forme de respect. Je crois que le gouvernement Bettel passe beaucoup de temps avec les élus concernés. Mettre ces problématiques sur la place publique n’est pas toujours la bonne stratégie…
Qu’est-ce qu’une entreprise responsable en 2019?
«C’est d’abord une entreprise qui sait répondre financièrement à toutes ses obligations internes et externes. C’est la base. Aucune durabilité n’est possible sans la liquidité, qu’elle soit assurée par vos clients ou vos actionnaires. Or, c’est éminemment compliqué d’assurer liquidité et profitabilité sur une durée longue lorsqu’on sait que la durée de vie moyenne d’une entreprise en Europe est de sept ans.
L’entreprise qui ne peut plus répondre aux exigences de base est une entreprise dangereuse. C’est sur cette base que vous pouvez ajouter d’autres objectifs de durabilité ou de responsabilité. Je n’ai jamais vu un chef d’entreprise dont le seul objectif est la maximisation du profit.»