L’esprit d’entreprendre résiste au Covid-19. Entre mars et décembre 2020, l’asbl Nyuko a reçu 428 demandes d’entrepreneurs souhaitant se lancer au Luxembourg. Soit 114 de moins qu’aux mêmes mois en 2019. «La période du confinement a été très peu active», explique sa CEO, Lucile Barberet. «Par contre, nous avons vu à partir de mai 2020 une résurgence des requêtes, et nous avons fini avec un peu plus de premiers rendez-vous au compteur en 2020 qu’en 2019.» Même si, en ce début d’année, les chiffres (non communiqués) sont en légère diminution. «Je pense que la morosité ambiante se traduit aussi par une petite baisse de vocation entrepreneuriale.»
. Un an après son arrivée brutale au Grand-Duché, nous les avons rappelés.
Une bonne fin d’année
Il y avait Estelle Rauscher, qui a dû décaler l’ouverture de son épicerie fine française, Comtesse du Barry, prévue le 25 mars, au 15 mai 2020. «Je suis toujours positive», déclare-t-elle, en ce début d’année 2021, maintenant bien installée dans sa boutique au centre-ville de Luxembourg. «Les objectifs (non précisés) sont atteints par rapport au contexte sanitaire.» Qui l’avait poussée à les réduire de 40%.
L’entrepreneure comptait surtout sur les derniers mois de 2020 pour évaluer la réussite ou non. «Finalement, on a doublé ce qui était prévu pour la fin de l’année», se réjouit-elle. «Nous arrivons à tenir, à payer nos charges, nos fournisseurs, à avoir un fichier de clients qui viennent régulièrement.» De neuf produits à l’ouverture à 300 en août, la gamme a doublé, avec plus de 600 références actuellement. Deux personnes travaillent à la boutique, elles pourraient passer à trois d’ici la fin d’année.
Estelle Rauscher reste tout de même «prudente au niveau des frais» et estime qu’il est «encore trop tôt» pour se lancer dans l’ouverture du deuxième magasin qu’elle avait en tête. Elle travaille toujours au développement de son site internet, sur lequel il devrait être possible de commander directement ses produits courant 2021. Un investissement compris entre 5.000 et 10.000 euros. «Il s’agissait d’un objectif prioritaire, mais on ne pensait pas le lancer si tôt.» Aujourd’hui, «j’attends le retour à la normale, quand il n’y aura plus autant de personnes en télétravail».
Des projets qui ont du sens
«Je suis plutôt contente de ma première année, même si ce n’est pas ce que j’avais imaginé», témoigne Marie-Caroline Dumas, qui a immatriculé son agence de communication madi&co, début mars, une semaine avant le confinement.
La crise l’a poussée à mieux cibler ses priorités. «Je me suis recentrée sur la partie digitale, qui correspond aux attentes de mon audience.» Elle a gagné trois à quatre clients par rapport aux cinq qu’elle comptait en août 2020, principalement des petites entreprises. De même, son activité de formation a pris «plus de place» que les 5% de chiffre d’affaires prévus, qui sont montés à 15%. «Les gens ont eu plus de temps» pour y assister, justifie-t-elle. Ses objectifs pour 2020, confidentiels, sont «atteints». Ceux pour 2021 restent les mêmes: une croissance de 20%.
«Nous sommes toujours dans une année incertaine pour les clients. Beaucoup d’entreprises ne dépensent pas parce qu’elles ne savent pas à quelle sauce elles vont être mangées dans les prochains mois. Sans voir les gens, la partie prospection est aussi difficile.» Marie-Caroline Dumas attend donc, avec impatience, que «l’économie se rouvre». Tout en relativisant: «J’ai la chance d’avoir pu vivre de mon activité depuis le début. J’ai travaillé sur des projets qui pour moi avaient du sens: aider des clients dans leur développement, qui ont les mêmes valeurs que moi. C’est vraiment ce que je cherchais dans ce projet entrepreneurial.»
J’ai travaillé sur des projets qui pour moi avaient du sens. C’est vraiment ce que je cherchais dans ce projet entrepreneurial.
Toujours seule à l’agence, elle ne sait pas encore quand elle pourra embaucher, même si elle a déjà en tête les profils dont elle a besoin: «Quelqu’un d’autre en production, et une personne plus commerciale.»
Un chiffre d’affaires doublé
Les projets se poursuivent aussi pour Jorge De Oliveira, qui, un an après la création de son entreprise de bâtiments intelligents Smart Cube, avait mis en ligne sa plateforme Cube 4 Services en mars 2020. «S’il y a une panne dans votre maison, elle vous informe via une application. Elle vous demande si vous voulez vous en occuper vous-même, et, dans le cas contraire, elle contacte un artisan», précisait-il.
L’entrepreneur affirme que la demande est bien là, même si aucun abonnement n’a pour l’instant été contracté. «Cela se met en route.» Il a donc revu l’organisation: «Je vais probablement créer une nouvelle structure de services», qui inclura Cube 4 Services.
«Le marché du smart building se développe», assure-t-il. Il pense proposer sa solution dès le moment de la construction de nouveaux bâtiments intelligents. Encore seul il y a un an, il a embauché deux personnes (un ingénieur intégrateur et un business developer) et prévoit trois nouveaux recrutements d’ici la fin de l’année. Le chiffre d’affaires de la société (non communiqué) a également doublé entre 2019 et 2020. D’après les commandes déjà passées pour 2021, Jorge De Oliveira s’attend à le voir tripler. Ses clients, particuliers comme entreprises, continuent de construire, et il ne constate pas d’effet négatif lié au Covid-19.
Du restaurant à domicile à la livraison de box
Les entreprises nouvellement créées ne sont pas les seules à rester dynamiques. , président de la Fédération des jeunes dirigeants (FJD) – c’est-à-dire ceux âgés de moins de 45 ans – remarque que ces derniers ne «se laissent pas abattre» par la crise. Au contraire, les entreprises les plus touchées «cherchent de nouvelles solutions». Par exemple, , des dégustations de vins ou de cidres digitales, l’organisation de spectacles à visionner depuis sa voiture, etc.
Jens Buch, 41 ans, en fait partie. Le concept de son entreprise Cartes Blanches, , s’est retrouvé presque à l’arrêt à cause des règles sanitaires, entre le confinement et le nombre limité d’invités. Lassé de passer ses journées à «regarder n’importe quoi sur Facebook», il a créé en pleine pandémie une nouvelle structure, Luxembox. Chaque mois, il envoie à ceux qui le souhaitent un colis de 50 euros de produits liés au Luxembourg, accompagné d’une vidéo explicative sur leurs origines et tous les détails sur le prix. On y trouve quatre à cinq produits de la même valeur, aussi bien des aliments que du savon, ou encore des chaussettes. La première, envoyée fin janvier, a séduit 137 clients, et la seconde, 200.
«Je ne crois pas que je puisse vivre de cela», admet Jens Buch. Il n’en retire pas de bénéfices et préfère les allouer à un «party fund» grâce auquel il compte organiser un afterwork avec tous ses clients, lorsque ce sera de nouveau possible.
Malgré cela, il compte continuer après la crise. «C’est un projet que j’aime bien», justifie-t-il. «Dans l’entrepreneuriat, on n’a pas une ligne qu’on doit suivre, on a toutes les possibilités.» Même si ce n’était «pas le premier objectif», il espère aussi que ceux qui lui commandent des box penseront à Cartes Blanches lorsqu’ils auront un événement à fêter.
Moins de pression
Les entrepreneurs «ont été amenés à penser ‘out of the box’ (de manière non conventionnelle, ndlr)», résume Laurent Decker. Même si le modèle économique n’est pas toujours viable à long terme, «en créant, ils sont restés dans la motivation et l’engagement. Si on arrête plusieurs mois, on risque de décrocher.» Il remarque d’ailleurs plus d’audace qu’avant la crise. «Tout le monde peut essayer des choses, il y a moins cette pression de réussite.» La fédération, qui compte 650 membres, dont 370 actifs (encore sous la limite d’âge), a mis en place un Whatsapp dédié, où ils peuvent échanger sur leurs idées avant de se lancer. «On voit une grande solidarité.»
Si le «vent frais» vient souvent des plus jeunes, «élevés dans cette dynamique», il n’épargne pas les membres plus «confirmés», que la crise oblige à «retrousser leurs manches et chercher de nouvelles pistes». Même si, «bien sûr, il y a toujours des gens qui décrochent quand même».