Des matériaux naturels, végans et bio, pas de tests sur les animaux: les produits de Nicolas Van Beek et JNS Labs répondent à tous les critères des Nations unies. (Photo: JNS Labs)

Des matériaux naturels, végans et bio, pas de tests sur les animaux: les produits de Nicolas Van Beek et JNS Labs répondent à tous les critères des Nations unies. (Photo: JNS Labs)

Nicolas Van Beek ne dit jamais «éthique», il la pratique. Trois semaines par mois depuis la Lhoft et une autre sur place, ce Français du Luxembourg gère une entreprise unique… en Ouzbékistan. Le «plug-and-produce» de l’industrie 4.0, associé à une certaine philosophie, dégage de premiers bénéfices.

«En 1991, quand les Soviétiques ont quitté cette région au carrefour du commerce international, une marque, Rexona, a commencé à commercialiser un déodorant à l’aloe vera. Un best-seller que la population s’est approprié comme un symbole de la fin du régime. Aujourd’hui, si tu vends un déodorant qui n’a pas une vague odeur d’aloe vera, tu peux oublier!»

Après avoir créé et vendu l’agence de communication Vanksen à un fonds de private equity, après avoir lancé une société de protection de l’identité numérique Vayton, cédée à EuroDNS, et après avoir participé à une «pharma» spécialisée dans la détection du cancer revendue à investisseur, Nicolas Van Beek est revenu en Ouzbékistan avec la confiance d’un Français installé au Luxembourg depuis 20 ans et à qui les affaires ont plutôt bien réussi.

Revenu, parce qu’au moment de lâcher sa troisième société, l’économiste se souvient d’une promesse pendant son service militaire, comme professeur d’économie pour l’ambassade de France à Tachkent, près de vingt ans plus tôt. «Un jour, un étudiant me dit que mes cours sur l’économie de marché ne sont pas adaptés. Avec lui, nous allons voir… les rayons vides dans un supermarché. C’était plutôt une économie de pénurie! J’ai dû revoir mes cours. On a monté une 'pharmacie' pour tester le marché des produits d’hygiène corporelle. J’ai promis à mon ami du service militaire, Javokhir Nurmetov, de revenir sur cette idée un jour.»

En deux ans, l’usine de Tachkent a sorti quatre millions de produits d’hygiène corporelle pour une zone de chalandise de 100 millions de personnes. (Photo: JNS Labs)

En deux ans, l’usine de Tachkent a sorti quatre millions de produits d’hygiène corporelle pour une zone de chalandise de 100 millions de personnes. (Photo: JNS Labs)

1.000 échantillons pour trouver le parfum adapté

Le petit-fils d’un Néerlandais venu vendre des poulets près de Beauvais, en France, et fils d’un artiste qui a refait de l’endroit , rappelle son ami. Les deux quadragénaires créent . Le beau-frère de l’Ouzbek, Samandar Samatov, «apporte» le bâtiment et le business commence: comment apporter «un peu plus de confort et d’hygiène» dans un pays où le salaire moyen est de 180 euros et où la mousse à raser coûte 3 euros à partir d’?

«J’ai vite été débordé par la complexité… mais je ne m’en lasse pas! Ailleurs, en quatre ou cinq ans, j’avais l’impression d’en avoir fait le tour. Là, je me vois une bonne dizaine d’années dans cette aventure», explique l’entrepreneur dans une salle de réunion de pour les fintech africaines. «Il existe évidemment beaucoup de particularités. Par exemple, la laque. Testée dans le labo avec lequel nous travaillons à Beauvais, elle semblait parfaite. Mais pour des températures qui atteignent parfois 50 degrés et de magnifiques chevelures pour un mariage, ça a d’abord été une catastrophe. À l’usine, nous avons un millier d’échantillons de parfum, mais tout ce qui est venu de Beauvais a dû être adapté aux conditions dans les marchés auxquels nous nous adressons.»

Car avec ses trois marques, Leadermen, Merci et La Rosée, auxquelles il prête parfois son image, signe de la «french touch», l’entrepreneur a attaqué les marchés voisins (Kazakhstan, Turkménistan, Tadjikistan, Kirghizistan et Afghanistan), une zone de 100 millions de personnes où il espère attirer 20 millions de clients qui dépenseraient 40 euros chacun.

La barre des deux millions en vue

Au bout d’un an, en 2018, le chiffre d’affaires a été multiplié par trois (et encore par deux l’an dernier) et le bénéfice atteint presque 200.000 euros. L’usine, concentré de technologies, répond à tous les critères éthiques des objectifs des Nations unies: les produits sont naturels, recyclables, bio et végans, ils ne sont pas testés sur des animaux et ils répondent aux normes européennes pour avoir le marquage CE, les salariés sont payés entre 200 et 1.500 euros et les femmes sont payées de la même manière que les hommes.

«Dans cette zone, il s’agissait d’aider le gouvernement à installer des industries au lieu d’importer des produits de mauvaise qualité des pays voisins ou des géants comme la Chine, et donc de créer des emplois locaux. Personne ne nous regarde tant que nous n’atteignons pas 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel (2,5 l’an dernier).»

Sur son ordinateur, il montre qu’il a accès à un certain nombre de caméras, dans l’usine. «Il ne s’agit pas de fliquer, mais de suivre les développements de la production, de pouvoir identifier plus vite les problèmes et de trouver des solutions», explique-t-il.

Des outils inexistants il y a dix ans

Un autre logiciel montre les courses de ses commerciaux et leurs ventes à chaque étape ainsi que le temps qu’ils y ont passé. «Ça permet par exemple de dire à un vendeur que tel acheteur est plus important qu’un autre et qu’il faut y passer plus de temps ou bien que sa tournée commerciale n’est pas assez bien organisée.»

Enfin, sur l’application de messagerie cryptée Telegram, différents groupes de travail, sur différents niveaux, attendent ses instructions en temps réel. Une sorte de bureau décentralisé au Luxembourg, qu’il ne quitte qu’une semaine par mois pour aller sur place, pays qu’il a choisi parce que sûr, «le cinquième le plus sécuritaire au monde», dit-il. «Il y a dix ans, je n’aurais pas pu faire cela. Ce sont les avancées technologiques qui permettent cela!»

Seul point noir: la trésorerie. Une petite entreprise sur ce segment a besoin d’acheter sa matière première et de la payer rubis sur l’ongle. Soit à coups de crédits bancaires locaux à 36% d’intérêt; soit à coups de levées de fonds qui risquent de peser sur la gestion de l’entreprise. 2020 sera l’année des gels intimes, des gels hydroalcooliques (que le reste de la planète s’arrache en raison du coronavirus) et des teintures pour les cheveux, en attendant les parfums, composés à Grasse, dans le réputé centre mondial de la parfumerie en 2021. Il faut croître vite, pour s’assurer du fonds de roulement nécessaire.

«C’est l’éclate totale!», sourit-il, rêvant vaguement de s’implanter au Moyen-Orient et en Afrique, dans un contexte identique à celui qui le mène au succès. L’entrepreneur propre sur lui.