«Les mesures strictes et les pouvoirs larges des communes et de la police font craindre un manque de balance entre liberté de circulation et maintien de l’ordre public», alerte la CCDH. (Photo: Shutterstock)

«Les mesures strictes et les pouvoirs larges des communes et de la police font craindre un manque de balance entre liberté de circulation et maintien de l’ordre public», alerte la CCDH. (Photo: Shutterstock)

Un projet de loi sur la police grand-ducale déposé en juillet dernier prévoit de renforcer le «Platzverweis», qui permet de déloger une personne bloquant l’accès à des immeubles, ainsi qu’une interdiction temporaire des lieux. La CCDH a rendu un avis très critique ce mercredi 16 avril.

Le  «Platzverweis», un moyen répressif en place depuis 2022 inspiré de l’Allemagne, vise à rappeler à l’ordre ou éloigner une personne qui entrave l’entrée ou la sortie d’un bâtiment public ou privé. Le projet de loi n°8426 prévoit, entre autres, de renforcer ce dispositif, afin «d’élargir des mesures d’éloignement pour des personnes qui présentent un des comportements suivants: troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques; entraver la circulation sur la voie publique; empêcher des passants de se promener; importuner des piétons», explique par le ministre des Affaires intérieures le 17 juillet.

Ce projet de loi vise également à introduire une autre mesure de police administrative: l’interdiction temporaire de lieu, qui peux être décidée par le bourgmestre. Pour la CCDH (Commission consultative des droits de l’Homme), en premier lieu le «Platzverweis renforcé» couvre un «large éventail de comportements formulés de manière vague, entraînant un risque d’arbitraire, de discriminations et de non-conformité à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’Homme», explique-t-elle dans un avis rendu ce mercredi 16 avril.

Liberté de circulation en question

«Il permet un recours à la force dans le cadre d’interventions policières préventives, qui, selon la CCDH, nécessite un encadrement plus strict (…), ne prévoit ni voie de recours effective, ni de droit pour la personne de formuler des observations.» Dans son analyse, la CCDH exprime de «vives préoccupations quant aux implications de ce texte: le projet de loi manque de clarté et de prévisibilité. La CCDH s’inquiète d’un recours systématique à des mesures répressives dans le but du maintien de l’ordre public. Il est incertain que les mesures soient nécessaires pour atteindre l’objectif et qu’il n’y ait pas d’alternatives moins attentatoires aux droits.»

Le deuxième volet du projet de loi qui inquiète la CCDH est l’interdiction temporaire de lieu, qui peut être décidée par le bourgmestre. Elle «élargit considérablement les compétences des bourgmestres en matière de police administrative, ce qui soulève de nombreuses questions. (…) Une seule répétition d’un des comportements peut mener à une interdiction de lieu, un périmètre étendu, une durée maximale de 30 jours. Les mesures strictes et les pouvoirs larges des communes et de la police font craindre un manque de balance entre liberté de circulation et maintien de l’ordre public», alerte donc la CCDH.

La CSL demande le retrait du texte

Et elle n’est pas la seule à émettre des réserves sur ce texte. La Chambre des salariés (CSL) avait procédé à une auto-saisine concernant ce projet de loi et, dans son avis publié en mars dernier, elle s’interroge sur les termes utilisés dans le texte portant modification de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la police grand-ducale. «En ce qui concerne les troubles à la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques, certaines situations peuvent paraître claires alors que d’autres ne le sont point. Une personne assise dans une zone piétonne et parlant à haute voix trouble-t-elle la tranquillité publique? Faut-il que sa voix dépasse une certaine limite de décibels? À partir de quel instant une personne porte-t-elle atteinte à la liberté d’aller et de venir des passants sur la voie publique et dans les lieux accessibles au public? Suffit-il qu’elle se tienne debout ou assise au milieu d’une zone piétonne? Faut-il qu’il s’agisse de plusieurs personnes réunies afin que le critère de l’atteinte à la liberté d’aller et de venir soit rempli?», questionne ainsi la CSL.

Sur l’extension du «Platzverweis» tel qu’il est prévu dans le présent projet de loi, la CSL estime qu’il a «pour objet d’annihiler plus particulièrement la liberté des syndicats et de mettre ces derniers sur un pied d’égalité avec des organisations ou bandes de criminalité organisée pour lesquelles le ‘Platzverweis’ a été initialement instauré si l’on se réfère à une des interviews télévisées du ministre de l’Intérieur pour justifier le ‘Platzverweis’. En d’autres termes, les organisateurs de rassemblements doivent compter qu’à tout moment la police peut intempestivement intervenir à l’encontre de personnes si elle estime de son propre gré qu’elles se comportent de manière à troubler l’ordre public au sens large du terme. À part l’absence de prévisibilité et de proportionnalité de telles mesures destinées à entraver la liberté de réunion et d’association, ces mesures constituent des actes d’intimidation à l’égard des organisateurs de tels rassemblements dont notamment les syndicats», juge la CSL, qui en conclusion, déclare être «au regret de (…) communiquer qu’elle désapprouve le présent projet de loi et demande le retrait pur et simple de ce dernier».

Dans un avis rendu en novembre dernier, le Parquet général notait qu’en Allemagne, où la matière relève des Länder, les «Platzverweisungen» ne sont «généralement prévues que pour prévenir un danger. Le cas d’espèce le plus fréquemment cité est celui où il y a entrave à l’exercice de leurs missions par les services d’urgence (police, pompiers, services de secours), (ou) pour empêcher une personne de commettre une infraction pénale dans le périmètre en question. Sur ce point, le projet de loi, ce en qu’il vise toutes sortes de comportements considérés comme inciviques, même lorsqu’ils n’impliquent aucun danger ou ne constituent pas des infractions pénales, va beaucoup plus loin et l’on peut douter que les restrictions apportées à la liberté d’aller et de venir engendrées par les comportements visés à l’article 5bis, soient bien proportionnelles et nécessaires dans notre société démocratique», interrogeait encore le Parquet général. L’avenir dira si le ministre des Affaires intérieures suivra ces différents avis critiques sur ce projet de loi.