Stéphane Pallage souligne l’implication de l’Uni au service de la société à travers l’initiative Research Luxembourg. (Photo: Gaël Lesure / Archives Maison Moderne)

Stéphane Pallage souligne l’implication de l’Uni au service de la société à travers l’initiative Research Luxembourg. (Photo: Gaël Lesure / Archives Maison Moderne)

C’est une année académique tumultueuse qui s’achève pour l’Uni, qui a dû se réorganiser en plein confinement tout en offrant son expertise au gouvernement. Entretien avec son recteur, Stéphane Pallage, avant sa troisième rentrée à Belval.

2019-2020, une année universitaire un peu particulière pour l’Uni?

Stéphane Pallage. – «C’est certain, comme d’ailleurs pour toutes les universités dans le monde. Je trouve qu’elle s’est très bien passée étant donné les circonstances. Fin 2019, nous vivions une période de grand développement, avec de nombreux succès académiques. 2020 a commencé en grande pompe et… le Covid-19 est arrivé. Nous savions qu’il rejoindrait le Luxembourg tôt ou tard et nous nous étions préparés à cela, sans pour autant en mesurer l’ampleur.

Il se trouve que nous nous étions dotés en 2019 d’une stratégie digitale qui incluait l’achat d’équipement afin de réaliser plus de cours à distance. Tout était prêt lorsque nous avons dû passer en ‘remote teaching’ et ‘remote work’. L’annonce en a été faite le vendredi 13 mars et le lundi 16, tout était opérationnel. Les étudiants ont eu cours presque comme si de rien n’était. Il n’y a jamais eu de cassure dans la vie de l’Université.

Quelles conclusions tirez-vous sur le télétravail?

«Le travail à distance était très peu développé par le passé pour de nombreuses raisons, notamment la diversité des législations fiscales d’un pays à l’autre alors que beaucoup de nos collaborateurs vivent à la frontière des trois pays voisins. Par la force des choses, nous avons réalisé que c’est une expérience intéressante. Nous envisageons de maintenir cette possibilité dans la limite autorisée par les pays voisins.

Le télétravail peut être très efficace pour certains métiers, même pour les chercheurs. Ceux qui travaillent beaucoup dans un laboratoire n’ont pas été complètement inefficaces à distance puisqu’ils ont pu se concentrer sur l’écriture, sur la préparation de grandes demandes de subventions européennes ou du Fonds national de la recherche, ou alors ils ont mis leur talent à contribution pour la taskforce Covid-19 de Research Luxembourg.

Quant à l’enseignement à distance, pour une première expérience, c’est une grande réussite. Les professeurs ont fait avec leurs connaissances informatiques et toujours un élément de créativité. Nous avons remarqué de beaux témoignages partagés par les étudiants sur les réseaux sociaux. Les étudiants n’avaient pas nécessairement les mêmes technologies à disposition que les professeurs, mais nous n’avons reçu aucun écho profondément négatif.

Avez-vous rapatrié tous vos collaborateurs depuis la sortie du confinement?

«Lors de la première phase en mai, nous avons autorisé jusqu’à 25% du personnel dans les locaux, en priorisant les chercheurs dont la présence en laboratoire est nécessaire pour leurs recherches. Nous avons progressivement avancé vers un déconfinement plus important. En juin, nous avons porté le seuil de présences à 40% en respectant les règles sanitaires – distance de deux mètres ou port du masque. Nous n’avons pas eu de problème durant ces deux phases. La phase actuelle ne comporte plus de quota tout en respectant les règles sanitaires. Nous ajusterons le tir dans les prochaines semaines en fonction de l’évolution de l’épidémie.

Comment le personnel de l’Uni a-t-il traversé cette période?

«Notre communauté est assez exemplaire. Tout s’est fait avec énormément de créativité. Passer des cours présentiels à des cours à distance sans préavis représente un changement majeur. Nous n’avons jamais totalement été à distance. Les services essentiels continuaient à travailler sur les campus. Je venais moi-même une ou deux fois par semaine, notamment pour signer des documents, même si nos pratiques administratives se sont aussi rapidement adaptées avec la signature électronique.

Combien de cas de Covid-19 avez-vous recensés à l’Uni?

«Nous avons eu 20 cas, toujours isolés (en date du 21 juillet, ndlr). Les personnes infectées ont été très responsables: elles nous ont prévenus, ont listé les personnes qu’elles avaient rencontrées. Nous avons dédensifié les résidences étudiantes en demandant à ceux qui le pouvaient de rentrer dans leur famille, mais il était hors de question de fermer les résidences comme d’autres pays l’ont fait.

L’Université livre une très belle contribution scientifique à un moment-clé de l’histoire du pays.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

Vous qui avez été chercheur dans le domaine des catastrophes humanitaires, quel regard portez-vous sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement luxembourgeois?

«Il est essentiel durant une crise de pouvoir faire confiance à ses dirigeants. C’est ce qui fait qu’on accepte les règles. La pandémie requérait des mesures plutôt drastiques côté libertés individuelles et nos sociétés n’en avaient jamais connu de telles depuis la Seconde Guerre mondiale.

Je trouve que le Luxembourg a très bien agi: les règles sont claires et bien expliquées, la communication s’est faite tout de suite. Et le Premier ministre  (DP) comme la ministre de la Santé  (LSAP) osent se mettre en première ligne, tiennent des conférences de presse durant des heures. Cela fait gagner la confiance.

Fait notable, le gouvernement a dû s’appuyer sur les scientifiques pour prendre ses décisions. L’Uni s’est-elle imposée naturellement?

«Nous avions offert, dès le début de la crise, de mettre nos chercheurs à la disposition du pays. La de Research Luxembourg comprend beaucoup de chercheurs de l’Université, dans le domaine de la santé, mais aussi de l’économie, de la finance, des mathématiques, du droit et de la logistique. Elle livre une très belle contribution scientifique à un moment-clé de l’histoire du pays, lorsque le gouvernement doit prendre des décisions basées sur des faits mis à jour.

Il existe également une collaboration non négligeable au niveau de la Grande Région notamment. Par exemple des échanges importants ont lieu avec l’Université de la Sarre pour mettre en commun les expériences, les résultats scientifiques et les comparer.

Il faut que les chercheurs soient prêts à se battre en première ligne comme les politiques.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

Cela présente aussi une image avantageuse de l’Uni…

«Nous sommes effectivement au centre de l’action. Mais le contraire aurait été grave. Si nous n’avions pas été présents, cela aurait été un échec. Il faut que les chercheurs soient prêts à se battre en première ligne comme les politiques. Notre rôle n’est pas de prendre des décisions, mais d’aider à la prise de décision en présentant ce qui est un fait et ce qui n’en est pas un.

Toutefois, ce n’est pas l’image de l’institution qui est présente durant la crise: on parle de Research Luxembourg mais pas de l’Université ou du Liser ou du LIH. C’est une coalition de tous les instituts de recherche qui présente de façon très unie les travaux mis en commun par les chercheurs.

Cela a aussi eu pour effet de développer quelque chose qui est dans l’ADN de l’Université: l’interdisciplinarité. Une pandémie est par définition multidisciplinaire, avec des implications médicales, mais aussi économiques, logistiques, mathématiques… C’était l’occasion de travailler en commun à grande échelle.

La crise du Covid-19 a-t-elle un impact financier pour l’Uni?

«La crise a eu pour effet d’annuler certaines dépenses (voyages à l’étranger de chercheurs…), mais aussi certains revenus. D’autres revenus que nous n’attendions pas sont arrivés, d’autres dépenses aussi (désinfection, sécurité des résidences, renforcement du réseau wifi…). Globalement, notre position financière est confortable et la crise nous a permis à ce stade de faire un peu d’économies. C’est important parce que les années futures seront probablement plus difficiles. Les finances publiques seront fortement touchées, donc nous ne pouvons pas présumer des dotations à venir.»

Découvrez la seconde partie de cette interview.