L’existence, souvent, emprunte des chemins biscornus. Déroutants. C’est ce qui fait quelquefois son sel. Prenons l’exemple de Christian Bos. Grand gaillard d’une cinquantaine d’années aux épaules de troisième ligne de rugby, verbe sûr et bonhomie agile, cet inconditionnel de sport automobile biberonné par un père pilote et lui-même ancien propriétaire de garage, entre autres vies professionnelles sans lien évident avec celle qui l’occupe en ce moment, a bifurqué à la perpendiculaire au sortir d’un «grave accident du dos». Faille de parcours survenue au début des années 2000.
Vissé dans son lit de douleur, les galères l’amènent à s’intéresser au droit, au Code du travail. Et, plus globalement, «à la justice». Précision: Christian Bos n’a aucun diplôme à faire valoir. «Je suis un autodidacte.» Il plonge en tête piquée dans les bouquins. Dévore même du Platon, du Socrate. «C’est toi qui décides de ta vie», en retient-il. Alors il décide. Dépiaute le sujet. Engage des études par correspondance. De là, il intègre en 2007 le conseil de prud’hommes, l’organe en France chargé de trancher les litiges entre employeurs et salariés. La médiation est entrée dans son quotidien. Tout cela le passionne. Débordant d’appétit, l’«autodidacte» qu’il est commence à se muscler intellectuellement. Pièce après pièce. Façon puzzle.
«Il faut des outils»
En 2008, il fonde ainsi Lor’Médiation, structure axée sur les conflits de famille ou de voisinage. Rapidement, les conflits dans le monde du travail le captivent tout autant. Une formation est imaginée. En France comme au Luxembourg, où Christian Bos déploiera l’Institut européen pour le développement des relations sociales (IEDRS), en 2012. Indépendants, cadres RH, banquiers… Quelque 250 médiateurs auront été formés dans le pays depuis cette date. Avec le monde professionnel comme cœur de cible. Et cette question sous-jacente: comment agir en préventif? C’est-à-dire en amont des difficultés se faisant jour?
Harcèlement moral, harcèlement sexuel, discrimination… Quand un conflit éclate en entreprise, la loi impose à cette dernière de démêler le vrai du faux. Ou le faux du vrai. Complexe. «On invente des lois, mais qui se soucie des enquêtes que nécessitent ces décisions? Et qui les conduira? Le DRH? Une commission? Se pose la question de la neutralité et de l’indépendance. Faire une enquête, ce n’est pas mener un entretien individuel. Il faut des outils. Parce que la posture d’enquêteur implique d’aller voir la face invisible de l’iceberg», résume Christian Bos.
La part émotionnelle
La mise à l’eau de l’École nationale des enquêteurs en risques professionnels (Enerp), dont la première promotion accueille une dizaine d’élèves depuis le 6 juin, découle de cette feuille de route: former et certifier des enquêteurs opérationnels «immédiatement» sur le terrain.
La formation, qui, côté français, devrait déboucher sur la création d’un diplôme universitaire grâce à l’appui de l’IAE Metz School of Management, est prévue pour une durée de 10 mois. À raison de deux jours par mois.
Elle s’orchestre autour de trois volets: l’un technique (fonctionnement des entreprises, fiches de poste, etc.); l’autre juridique; le dernier, «émotionnel». «Ce qui représente 70% de la problématique», assure Christian Bos. Avocats, enseignants, formateurs, psychologues… Une douzaine de professionnels assurent les «cours», qu’appuie un pool d’intervenants ponctuels (magistrats, inspection du travail, forces de l’ordre…), témoins et acteurs directs des réalités du terrain.
Obligation de résultats
Trois types de publics sont ciblés: les indépendants, à savoir les personnes en formation ou en reconversion se destinant à en faire leur activité professionnelle numéro un; les employeurs, désireux d’apporter à des cadres les compétences requises pour la conduite d’enquêtes internes, et les étudiants souhaitant compléter leur cursus avec une qualification supplémentaire.
La formation a un coût: 9.500 euros. Une somme à comparer aux pénalités auxquelles s’exposent les entreprises en cas de plainte pour harcèlement, par exemple, si elles n’ont pas diligenté d’enquête interne ensuite, ainsi que l’«obligation de résultats» inscrite dans la loi le leur impose. Au Luxembourg, l’Inspection du travail (ITM) et la Chambre des salariés (CSL) comptent au nombre des interlocuteurs premium de l’Enerp. C’est à la faveur d’une rencontre avec l’ancien ministre de la Justice, (déi Gréng), que l’instigateur de la nouvelle Enerp avait fait connaître ses dispositifs de médiation au Grand-Duché. Avant de basculer vers l’enquête.
«Nous participons à la création d’un métier nécessaire au bien-être de tous», conclut Christian Bos.