Dans la farandole des successions européennes, Xavier Bettel émerge comme une figure possible pour remplacer Charles Michel à la tête du Conseil européen. (Photo: SIP/Archives)

Dans la farandole des successions européennes, Xavier Bettel émerge comme une figure possible pour remplacer Charles Michel à la tête du Conseil européen. (Photo: SIP/Archives)

Souvent évoqué pour succéder à Charles Michel à la présidence du Conseil européen, Xavier Bettel oscille entre le refus de candidature et l’ouverture en cas de crise. Derrière cet enjeu luxembourgeois se profile l’ombre de la surreprésentation du Benelux dans les arcanes de l’UE.

Irresponsable ou légitime? Communiqué samedi 6 janvier, le départ avant terme du président du Conseil européen, Charles Michel, n’en finit pas de faire réagir. L’ancien Premier ministre belge, 48 ans, conduira la liste du MR (libéral) pour les élections européennes de juin. Il quittera ses fonctions actuelles au plus tard en juillet alors que son mandat court jusqu’au 30 novembre.

Au Luxembourg, dès cette annonce, les regards se sont tournés vers . À Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères est régulièrement cité parmi les papables pour succéder à Charles Michel à la présidence du Conseil européen, ou à Josep Borrell comme chef de la diplomatie européenne.

Interrogé par RTL le lundi 8 janvier, l’intéressé s’est dit flatté d’être considéré pour cette présidence, tout en affirmant ne pas être candidat: priorité au Luxembourg. Cependant, Xavier Bettel a ajouté un petit «mais». En cas de crise institutionnelle, ce serait une autre histoire, selon lui.

Le Benelux ne représente même pas la moitié des habitants de l’Allemagne.
Franklin Dehousse

Franklin DehousseprofesseurUniversité de Liège

Le président du Conseil européen a pour mission de préparer et d’animer les sommets des chefs d’État et de gouvernement de l’UE. Faciliter la cohésion et le consensus fait partie du cahier des charges. Un rôle taillé pour Xavier Bettel? «Sa candidature est paradoxale», estime le professeur à l’Université de Liège et ancien juge au tribunal de l’UE Franklin Dehousse.

«Son point fort, c’est lui-même. Il a souvent été perçu comme un Premier ministre ouvert et efficient. Son point faible, ce sont ses amis. Du Luxembourg, qui a eu trois présidents luxembourgeois de la Commission, sans beaux souvenirs. Charles Michel, symbole d’un carriérisme effréné nuisible aux institutions, et qui va tout faire pour le liquider. L’ensemble des Bénéluxiens enfin, vus comme surreprésentés dans l’Union.»

Le cas Reynders

De ce point de vue, la candidature du Belge Didier Reynders au poste de secrétaire général du Conseil de l’Europe – l’organisation paneuropéenne de défense des droits humains – n’est pas une bonne nouvelle pour Xavier Bettel. «Elle aggrave encore la surreprésentation du Benelux dans les nominations européennes. Le Benelux ne représente même pas la moitié des habitants de l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne», fait valoir Franklin Dehousse.

Cela dit, module-t-il, «les nominations seront encore plus compliquées, avec l’Otan en sus». Xavier Bettel a donc le droit de rêver à un avenir européen. «Il reste une petite option sur les affaires étrangères [pour succéder à Josep Borrell], mais elle devrait être préparée sérieusement», souligne le spécialiste.

Risque de troubles

Le départ anticipé de Charles Michel risque-t-il, comme le laisse entendre Xavier Bettel, de créer une forme de crise institutionnelle? «En tout cas, il créera des troubles», dénonce Franklin Dehousse. «Désormais, ses déclarations émanent-elles du président ou du candidat? Son budget et son personnel peuvent-ils servir sa campagne électorale? Défend-il ses intérêts ou ceux de l’Union dans les nominations à venir? Cela peut vite déraper.»

Et d’enfoncer le clou: «La situation est très malsaine. Elle accentue en plus la perte de confiance dans les institutions européennes, après le Qatargate et les secrets d’Ursula von der Leyen sur les vaccins. Le mieux serait de trouver un président intérimaire pour le 1er avril. Cela seul peut garantir une stabilité pendant des mois dangereux.» Sur la base de l’article 15.5 du traité sur l’UE, estime l’ancien juge, «le Conseil européen pourrait parfaitement considérer qu’une campagne électorale du président constitue un empêchement, et le remplacer à la majorité qualifiée».

L’option Orban

Sauf décision contraire des Vingt-Sept, Charles Michel devrait exercer ses fonctions actuelles jusqu’à l’été. «Au cas où il serait élu [au Parlement européen], sa fonction de président du Conseil européen prendra fin lorsqu’il prendra ses fonctions de député européen après sa prestation de serment», explique un fonctionnaire de l’UE.

Et ensuite? Le règlement intérieur du Conseil européen prévoit que «le président du Conseil européen est remplacé, le cas échéant jusqu’à l’élection de son successeur, par le membre du Conseil européen représentant l’État membre qui exerce la présidence semestrielle du Conseil». La Hongrie exerçant cette fonction au deuxième semestre, c’est son Premier ministre, le national-conservateur Viktor Orban, qui s’assiérait – pour quelques mois – dans le fauteuil de Charles Michel. À Bruxelles, on se passerait bien d’une telle figure de proue. «Ces règles peuvent être modifiées à la majorité simple», suggère le fonctionnaire cité plus haut.

Les postes à pourvoir se répartiront dans un contexte d’analyse électorale.
Charles Goerens

Charles GoerenseurodéputéDP

Pour sa part, l’eurodéputé (DP) ne craint pas une crise institutionnelle. «Tout de suite les grands mots», balaie-t-il. Il juge naturel le timing du départ de Charles Michel, six mois avant la fin de son mandat. «Il a le droit de penser à son propre avenir. S’il veut rester engagé dans l’Europe, il n’y a pas 36 solutions.» Les partis européens commencent déjà à réfléchir à la composition de leurs listes électorales en prévision des élections de juin.

En ce qui concerne la succession, Charles Goerens préconise d’attendre les résultats des européennes, au lendemain desquelles les scénarios se mettront en place. «Les postes à pourvoir se répartiront dans un contexte d’analyse électorale», explique-t-il, soulignant aussi l’importance des congrès, notamment celui du Parti populaire européen (PPE, droite pro-européenne) en mars.

«Le notaire des désaccords»

L’eurodéputé libéral voit évidemment d’un mauvais œil la possibilité que Viktor Orban préside le Conseil européen. «Orban est devenu un repoussoir. Ce qui me fait le plus peur, c’est qu’il est le cheval de Troie de Moscou.» L’élu relativise toutefois: «Même si Orban est nommé, ce sera pour une courte durée. Et s’il y a des désaccords parmi les Vingt-Sept, il sera le notaire des désaccords, mais ce n’est pas lui qui décide.»

Quant à la question Bettel, Charles Goerens ne s’avance pas: «Il a répondu très clairement à RTL qu’il n’est candidat à aucun poste européen. Pour l’instant, ce n’est pas lui qui est demandeur. Reste que le simple fait qu’on lui pose la question est très flatteur pour lui, à juste titre d’ailleurs.» Élu européen depuis 2009, le vétéran Goerens prendra prochainement sa décision quant à une candidature aux élections de juin. De quoi ajouter une note de suspense à l’avenir politique du Luxembourg dans l’UE.