En 2022, 227 femmes ont été hospitalisées à cause de leur endométriose. Mais en réalité, les femmes concernées sont plus nombreuses.  (Photo: Shutterstock)

En 2022, 227 femmes ont été hospitalisées à cause de leur endométriose. Mais en réalité, les femmes concernées sont plus nombreuses.  (Photo: Shutterstock)

L’endométriose touche environ 10% des femmes en âge de procréer, causant des douleurs et de l’inconfort inhérents à cette maladie encore taboue, que les femmes touchées doivent concilier avec leur vie et leurs ambitions professionnelles, non sans difficulté. Une pétition demandant plus de flexibilité pour ces femmes a collecté plus de 4.800 signatures. De quoi rouvrir le débat. 

Déposée en juillet à la Chambre des députés, une pétition réclamant «de la flexibilité pour toutes les femmes atteintes d’endométriose dans le cadre de leur travail» a dépassé le seuil des 4.500 signatures nécessaires pour déclencher un débat à la Chambre. Signe que le sujet intéresse, ou plutôt préoccupe. «Le but principal est que cette maladie soit prise au sérieux par l’État et que toute femme concernée par l’endométriose puisse être reconnue en tant que malade chronique, comme c’est le cas dans certains pays», est-il détaillé dans l’objet de la pétition. Ce n’est pas la première fois qu’une telle pétition est déposée. C’était déjà le cas au printemps 2022 pour demander que cette maladie soit reconnue comme une «maladie handicapante» et une «affection longue durée». Sans succès. Mais cela avait au moins eu le mérite de déclencher une rencontre entre la Direction de la santé et la Société luxembourgeoise de gynécologie et d’obstétrique pour aborder certains sujets tels que la formation continue ou la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire. 

Longtemps mal diagnostiquée, l’endométriose est une maladie gynécologique invalidante qui touche environ 10% des femmes en âge de procréer. Chez ces malades, les cellules issues de l’endomètre – qui est le tissu qui tapisse l’utérus – se greffent sur d’autres organes, créant des micro-hémorragies, des lésions telles que des kystes, et des inflammations provoquant de fortes douleurs. 40% des femmes touchées rencontrent des problèmes d’infertilité, et il faut en moyenne sept ans pour diagnostiquer cette maladie, rapportent les différentes associations spécialisées. 

Au Luxembourg, aucune statistique ne permet de connaître précisément le nombre de femmes atteintes par cette maladie. Mais le ministère de la Santé nous indique ce jour que 258 femmes ont été hospitalisées pour ces raisons en 2021, et 227 en 2022. Un chiffre sans doute bien inférieur au nombre de femmes réellement concernées, entre celles qui souffrent mais ne se font pas hospitaliser, et celles pour qui le diagnostic n’est pas posé mais qui ressentent bien l’impact de la maladie au quotidien.

Déconcentration, perte d’efficacité, tension avec l’équipe…

En parlant d’impact, l réalisée en 2020 par Ipsos et Gedeon Richter révèle que 65% des femmes atteintes disent reconnaître un impact négatif de leur maladie sur leur quotidien professionnel. Les associations de défense des salariés que sont les syndicats disent avoir conscience du problème, à l’image de l’Aleba qui a pris position publiquement sur les réseaux sociaux pour soutenir la pétition. Également contacté, le LCGB dit être «régulièrement sollicité par des salariés gravement malades», comme l’OGBL qui évoque une maladie «qui demeure peu reconnue, même dans le milieu médical, et qui est particulièrement difficile à vivre pour les malades car elle ne prévient pas». 

Si l’on trouve peu de littérature luxembourgeoise sur ce sujet, en France, plusieurs études ont été menées, et peuvent apporter un éclairage intéressant, notamment . Les impacts les plus rapportés par les malades sont «la nécessité de changer régulièrement de position, des passages aux toilettes gênants (parce qu’urgents, fréquents ou prolongés), une déconcentration et une perte d’efficacité». Sont également évoqués: «la difficulté à se lever le matin ou un niveau de stress important». Autant de désagréments qui peuvent aussi, dans certains cas, créer une forme de tension avec la hiérarchie ou les autres membres de l’équipe en raison de l’absentéisme ou d’une perte de productivité. La salariée atteinte d’endométriose peut aussi voir un impact négatif sur ses opportunités d’évolution professionnelle.

À l’époque, je travaillais dans un Big Four, un milieu où il peut y avoir beaucoup de concurrence et où l’on prône la performance. J’ai préféré ne pas en parler, car l’environnement n’était pas très bienveillant…

Une salariée d’une institution financière atteinte d’endométriose

Ce que nous confirme une employée d’une institution financière du pays qui préfère rester anonyme, car encore discrète sur sa maladie diagnostiquée en 2015, après des années d’errance médicale. «J’ai vu plusieurs gynécologues qui ne répondaient pas forcément à mes questions et à mes inquiétudes. J’ai un certain esprit critique et j’aime comprendre les choses, donc j’ai fait beaucoup de recherches. On m’a parlé de l’opération, là encore j’ai pris des informations partout où je pouvais afin de pouvoir prendre une décision éclairée.» Elle se fait finalement opérer en 2017, ce qui n’a pas permis de faire disparaître totalement la maladie, mais de réduire quelque peu les symptômes et les impacts au quotidien. Elle a aussi changé son mode de vie, ses habitudes alimentaires… «Car je ne voulais plus que la maladie contrôle ma vie.»

Elle a aussi choisi de changer d’emploi et dit aujourd’hui travailler dans un cadre où la maladie est plus facile à assumer. «À l’époque, je travaillais dans un Big Four, c’est un milieu où il peut y avoir beaucoup de concurrence, où l’on prône la performance et où il peut être difficile de s’absenter et pourtant, parfois, aller au travail était un parcours du combattant», se souvient-elle. Un climat de travail dans lequel elle a «préféré taire sa maladie, car l’environnement n’était pas très bienveillant» et parce que «l’endométriose est une maladie qui touche à l’intimité de la femme, elle est invisible et elle représente encore un tabou», confie celle qui affirme aussi: «la maladie guide aussi les choix de carrière, on doit adopter une autre façon de vivre». Aujourd’hui dans le secteur public, elle bénéficie d’un cadre de travail moins stressant, ce qui l’aide davantage à gérer sa maladie, et notamment les épisodes de fatigue chronique qui lui tombent dessus sans prévenir. «Aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir m’absenter jusqu’à trois jours sans avoir besoin de fournir de certificat. Mais j’ai quand même choisi de ne pas en parler à mon employeur, seulement à quelques collègues avec qui j’ai des affinités», souligne cette trentenaire. 

L’OGBL propose d’adapter le congé social

Dans son parcours, elle a pu compter sur le soutien de l’association luxembourgeoise Fortes Ensemble face à l’Endométriose qui œuvre à réunir, informer et positiver face à la maladie tout en développant un réseau de soin et de prévention.

Ailleurs, plusieurs pays ont commencé à reconnaître l’impact de l’endométriose et à adopter des politiques pour soutenir des femmes qui souffrent de cette maladie, notamment dans le cadre du travail. Comme la France, où la reconnaissance de la maladie comme un handicap permet aux femmes touchées de bénéficier de certains aménagements au travail. Dans certains cas, souvent après une chirurgie, la salariée atteinte d’endométriose a la possibilité de bénéficier d’un mi-temps thérapeutique.

Comme déjà évoqué dans un précédent article abordant , une salariée n’a aucune obligation d’informer son employeur de sa maladie. Toutefois, oser briser le tabou et en parler peut au moins permettre de lutter contre l’incompréhension des collègues, et éviter l’isolement. 

Des solutions ou du moins des pistes, il en existe, et l’OGBL en avance d’ailleurs certaines très concrètes. «Au Luxembourg, il y a des règles, comme le fait qu’un arrêt maladie ne peut excéder 78 semaines. Au-delà, le salarié n’est plus protégé contre le licenciement, et il n’y a pas d’exception pour l’endométriose», regrette la secrétaire centrale de la section femme de l’OGBL, Milena Steinmetzer. Mais selon elle, il existe bien des façons de permettre plus de flexibilité à ces femmes, «comme le congé social qui permet d’aider un proche malade. On pourrait très bien imaginer un dispositif similaire pour les femmes atteintes d’endométriose, sur la base d’un certificat médical. D’ailleurs, c’est un dispositif qui pourrait aussi être élargi à d’autres maladies chroniques. Le problème, c’est que cela impliquerait de devoir dévoiler son état de santé et nous, nous sommes réticents car cela relève du secret médical, donc c’est toujours délicat. Mais c’est en tout cas un sujet dont nous discutons beaucoup en interne, avec pourquoi pas l’idée d’intégrer cela aux conventions collectives. Aujourd’hui, on voit encore des personnes malades qui sont licenciées abusivement. Une autre solution serait le reclassement interne, lorsqu’il est possible. Ou alors que le médecin estime que la salariée n’est plus apte à occuper un poste», détaille Milena Steinmetzer qui rappelle que le médecin du travail et les délégués du personnel peuvent accompagner la salariée dans ses démarches. 

À ce jour, l’endométriose est bien reconnue comme une maladie au Luxembourg, selon la classification internationale des maladies. Mais «les absences médicales sont de la compétence du médecin. Ce dernier peut émettre un certificat d’incapacité de travail si une personne est souffrante et pas apte à travailler, notamment en cas d’indisponibilité pour des symptômes en relation avec le cycle menstruel ou en cas de problèmes de santé liés à l’endométriose», suggère le ministère qui dit «suivre de près les avancées scientifiques et les développements à l’étranger dans ce domaine, notamment en Espagne et en France».