En 2024, les salariés ont travaillé 69% des jours où ils se sentaient malade, d’après la Chambre des salariés. (Photo: Shutterstock)

En 2024, les salariés ont travaillé 69% des jours où ils se sentaient malade, d’après la Chambre des salariés. (Photo: Shutterstock)

Alors que l’absentéisme cristallise l’attention du débat public, la Chambre des salariés alerte sur un phénomène inverse: 69% des jours où les salariés se sentent malades, ils se rendent tout de même au travail. Un présentéisme dont le coût économique dépasserait celui de l’absentéisme.

La hausse de l’absentéisme est devenue l’un des sujets phares du débat économique luxembourgeois. , jamais l’absentéisme n’avait atteint un tel niveau dans le pays. De quoi faire réagir la Chambre de commerce qui, dans son avis sur le projet de budget 2025, en avait appelé à des mesures de fermeté,

Mais pendant que l’on scrute ceux qui ne viennent pas, un autre indicateur révèle une réalité bien différente: au Luxembourg, les salariés viennent surtout… trop. C’est ce que souligne la Chambre des salariés (CSL) dans la dernière édition de son Econews, en mettant en lumière le phénomène de présentéisme.

Douze jours: c’est, selon l’index Quality of Work de la CSL, le nombre moyen de jours durant lesquels les salariés se sont rendus au travail tout en se sentant malades au cours des douze derniers mois. Soit plus du double des jours d’absence pour maladie (5,3). En d’autres termes, dans 69% des cas où ils ne se sentent pas en état de travailler, les salariés choisissent tout de même de le faire.

Les plus précaires les plus exposés

Si toutes les catégories professionnelles sont concernées, les disparités sont frappantes. Les professions dites élémentaires — aides-ménagers, manœuvres, ouvriers — cumulent à la fois les jours d’absence les plus élevés (7,7 jours) et les jours de présence en étant malades les plus nombreux (26,5). À l’inverse, les cadres dirigeants ne déclarent que 3,3 jours d’absence et 6 jours de présentéisme.

Concernant les professions, le taux le plus élevé est observé parmi les salariés du groupe du personnel des services directs, comme les cuisiniers, les coiffeurs, les gardiens ainsi que les commerçants et les vendeurs qui travaillent en moyenne 80% des jours où ils se sentent malades. Cette catégorie est suivie de près par les salariés des professions élémentaires qui affichent un taux de 77%.

Du côté des secteurs d’activité, les «autres activités de services», telles que les activités de blanchisserie-teinturerie, de coiffure et de soins de beauté, de services funéraires, mais aussi les activités des organisations associatives se démarquent par un taux de présentéisme élevé, atteignant 87%. Ce taux tombe à 60% pour les personnes salariées du secteur de la santé humaine et de l’action sociale. Même dans les métiers en contact avec des personnes vulnérables, rester chez soi en cas de maladie reste donc difficile à envisager.

Entre arbitrage personnel et pression sociale

Les données de l’IGSS confirment cette tendance de fond: 85 % des salariés ayant été malades au moins une fois dans l’année ont travaillé durant leur épisode de maladie. La moitié de ces épisodes (49%) n’ont entraîné aucun jour d’absence, 26% une absence totale et 25% une présence partielle.

Dans un contexte où les craintes liées à la stabilité de l’emploi, à la perte de revenu ou à l’image renvoyée à l’employeur pèsent lourd, le présentéisme devient une stratégie de protection professionnelle. Quitte à fragiliser sa santé. «Un salarié dont le risque de perdre son travail est élevé, et qui suppose que son absence pourrait le pénaliser, choisira plus probablement de ne pas s’absenter du tout», précise la Chambre des salariés. «En outre, quand l’état de santé se détériore, les individus, au fil des épisodes de maladie, passent de la présence totale à la présence partielle, puis de la présence partielle à l’absence totale.»

La Dares, en France, ajoute qu’une bonne qualité de vie au travail — c’est-à-dire une certaine autonomie, de bonnes relations entre collègues, un collectif de travail solidaire — est associée à moins de présentéisme. À l’inverse, une charge excessive, des horaires imposés ou des contrats précaires l’encouragent.

Des conséquences bien réelles

Ce choix n’est pourtant pas sans conséquences, insiste l’organisation. À l’échelle de l’entreprise, les effets du présentéisme sont tout sauf marginaux. Non seulement il retarde la guérison des salariés, mais il augmente les risques d’erreurs, nuit à l’ambiance de travail et alimente le désengagement.

Plusieurs études estiment d’ailleurs que le coût économique du présentéisme pourrait dépasser celui de l’absentéisme, en raison de ses impacts indirects: baisse de performance, turnover, multiplication des arrêts de travail à moyen terme.

Il est donc question de repenser les politiques de lutte contre les absences pour cause de maladie en plaçant la santé des salariés au cœur de la discussion. La prévention, la non-stigmatisation, l’amélioration des conditions de travail, un climat de travail serein, la réinsertion bienveillante des personnes malades et un effort de compréhension des absences semblent constituer des fondamentaux pour prévenir autant le présentéisme que les absences pour cause de maladie», conclut la Chambre des salariés.