La healthtech comprend l’ensemble des technologies créées dans le domaine de la santé, et à son service, qu’il s’agisse des medtechs (technologies utilisées pour soigner et améliorer la vie des patients), de l’e-santé (l’application des technologies de l’information et de la communication au service de la santé) ou encore des biotechs (solutions qui mélangent sciences du vivant et technologies). Il s’agit là d’un des axes prioritaires de diversification de l’économie luxembourgeoise voulue par le gouvernement, et c’est dans ce cadre que Luxinnovation a lancé, en 2008, son Healthtech Cluster.
Quinze ans après, le cluster a aussi mis en place des outils spécifiques, tels que leJointcall healthtech en 2020, un partenariat public-privé qui consiste à aider les consortiums formés par des industries et la recherche publique ou les hôpitaux, afin de valider auprès d’un patient de nouveaux prototypes. «Aujourd’hui, nous avons atteint un niveau et une masse d’entreprises qui nous permettent de nous positionner», justifie Jean-Philippe Arié, à la tête du cluster.
Combien d’acteurs de la healthtech sont actifs dans le cluster de Luxinnovation?
Jean-Philippe Arié. – «Nous comptons environ 150 acteurs uniquement sur les technologies médicales. On ne compte que celles qui sont réellement actives et qui développent des technologies, et non pas de celles qui font de la vente ou de la gestion de brevet par exemple. Parmi ces 150, certaines sociétés sont plus liées au segment pharmaceutique, c’est-à-dire au médicament en lui-même. Nous avons à peu près la moitié qui œuvre purement dans le dispositif médical.
Depuis 2008 et la naissance du cluster, comment a évolué le secteur de la healthtech au Luxembourg?
«Depuis 2018, nous avons décidé de nous concentrer surtout sur les technologies médicales numériques et sur le diagnostic in vitro. C’est-à-dire tout ce qui permet de faire de la médecine personnalisée. En se concentrant sur un plus petit marché sur lequel on est meilleur et plus compétitif, on se donne des chances de devenir plus attractifs.
Ce focus sur les dispositifs médicaux numériques montre que le Luxembourg a sa place au niveau européen dans cette compétition. Alors que si l’on parlait du marché des nouveaux médicaments, nous aurions beaucoup de mal à être compétitifs par rapport à la Suisse, l’Allemagne, la France ou la Belgique. Les plus attentifs verront d’ailleurs que l’on a renommé le cluster, pour avoir un champ plus restreint, mais sur lequel on a du potentiel. Lors de l’événement, le ministre de l’Économie, (LSAP), viendra présenter la perspective nationale, à mettre en parallèle avec l’intervention du CEO de EIT Health, Jean-Marc Bourez, qui présentera une vision plus européenne. On aura alors un état des lieux précis.
Le Luxembourg compte en effet quelques pépites qui se démarquent…
«Oui. Lors de la conférence, on aura beaucoup de sociétés étrangères, mais aussi deux sociétés luxembourgeoises. Cela montre qu’en matière de healthtech, le Luxembourg a des choses à montrer et à raconter. Il s’agit d’Arspectra, une des quatre start-up qui a terminé la première édition du Fit4Start pour la santé en 2019, mais aussi IEE Sensing plus connue pour ses capteurs. On est très fiers d’avoir ces sociétés au Luxembourg.
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Vous vous recentrez donc sur les dispositifs médicaux numériques qui sont considérés comme la pierre angulaire de la digitalisation du secteur de la santé. De quoi parle-t-on concrètement?
«La digitalisation est partout, et aussi dans la santé. La santé est quelque chose de compliqué. Donc plus nous aurons de l’intelligence artificielle, d’outils capables d’analyser nos données, d’applications qui peuvent nous suivre quotidiennement, plus nous nous dirigerons vers une médecine personnalisée. La médecine digitale est la porte d’entrée de la médecine personnalisée, que ce soit au niveau de la prévention, du suivi, ou du parcours de soin.
Qu’est-ce qu’un dispositif médical numérique en termes d’innovation? Une montre connectée capable de mesurer vos constantes ou d’enregistrer votre cycle de sommeil est-elle un dispositif médical numérique?
«Un dispositif médical numérique, c’est avant tout un dispositif qui est règlementé au niveau européen, ce qui implique un contrôle très précis. La montre connectée que vous évoquez n’est pas un dispositif médical numérique au sens où nous l’entendons, car tout dépend de la revendication de la technologie. Si elle se contente d’opérer des mesures, elle n’est pas un ‘medical device’, mais si elle est capable d’enregistrer les données et d’appeler seule les secours en cas de problème médical, elle s’en rapproche, à condition que son efficacité soit contrôlée et prouvée.
C’est un point qui est très clair dans la règlementation européenne. Les autorités européennes délivrent alors le ‘CE medical’. D’ailleurs, beaucoup d’innovateurs qui poussent la porte de Luxinnovation se posent cette question. Car derrière, la stratégie pour développer le produit ne sera plus la même. C’est d’ailleurs l’enjeu d’une des conférences, car c’est quelque chose de très technique et complexe pour que le produit puisse arriver sur le marché. Mardi, le professeur Jochen Klucken abordera ce point.
Il y a toujours un moment où les entreprises ont besoin d’un capital qui vienne d’investisseurs privés.
Peut-on donner des exemples de dispositifs médicaux numériques luxembourgeois?
«Certains sont en développement. Mais nous pouvons par exemple citer B Medicals Systems qui fabrique des réfrigérateurs pour le stockage et le transport de vaccins ou qui vont aussi aider pour les transfusions sanguines. On peut aussi citer Rotarex qui fabrique des valves ou encore Siemens Healthineers qui développe des tests de diagnostics sanguins, des tests Covid… On a un historique qui n’est pas négligeable, et il y a beaucoup de produits très innovants qui vont arriver.
Quels sont les freins au développement de la healthtech?
«Au niveau européen, tout existe déjà. Jusqu’à aujourd’hui, pour les petites sociétés, on avait un problème de financement. Il existe des aides qui sont utilisées par ces entreprises, mais il y a toujours un moment où les entreprises ont besoin d’un capital qui vienne d’investisseurs privés. C’est quelque chose qu’on n’avait pas encore au Luxembourg. Mais des nouveautés arrivent et vont nous permettre de reprendre la main là-dessus.
Le marché européen lui-même a certaines limites. Les fabricants de dispositifs médicaux sont très encadrés. Mais du coup, on a un marché un peu protégé là où d’autres marchés sont plus faciles à conquérir. Par exemple aux États-Unis, on a une agence qui régule l’ensemble du territoire américain. Si on parle de l’Europe pour l’accès au marché, il faut composer avec les systèmes de sécurité sociale des 27 pays. Donc les négociations pour un remboursement de l’utilisation d’un dispositif doivent être traitées par le fabricant dans 27 pays. C’est un cauchemar pour l’entrepreneur. C’est long, compliqué, et ça limite les revenus. Or, si on ne génère pas des revenus facilement, on sera moins bon que les autres continents. Ce n’est pas un problème luxembourgeois, mais un problème européen.
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Faudrait-il donc renforcer le cadre européen?
«Oui, on en rêve, mais la sécurité sociale a traditionnellement une fonction nationale, ce qui est normal, car chaque pays a ses spécificités, mais il y a des choses à harmoniser. On peut imaginer qu’un fabricant qui a un dossier qui renseigne sur l’efficacité de son produit puisse présenter le même aux 27 pays. Cela serait déjà une belle avancée. Nous espérons que la commission va prendre le sujet en main et trouver des solutions. Pour tout ce qui concerne l’accès au marché, Andrzej Rys interviendra lors de l’événement de cette question d’harmonisation.
Comment voyez-vous le développement de la healthtech au Luxembourg dans les dix prochaines années?
«C’est l’intelligence artificielle qui va porter l’innovation dans le marché. Mais cela ne sera pas seulement une question d’innovation, mais aussi de pratique de la médecine, de parcours de soin. Avant, on allait chez le docteur, demain, nous ferons de la télémédecine. Avec des opérations de plus en plus précises via les robots, les patients pourront sortir plus vite, il faudra faire leur suivi post-opératoire. Ça veut dire que l’innovateur doit deviner ce que sera la médecine de demain, mais celle-ci reste aussi à inventer. Le parcours de soin évolue, le patient sera encore plus au centre de sa santé, et tout cela va changer la façon dont on va développer l’économie des dispositifs médicaux au Luxembourg. On parlera d’une ‘santé dans le cloud’, c’est là-dessus qu’on attend les entrepreneurs nationaux.»
European Digital Healthtech Hub Conference 2023, mardi 16 et mercredi 17 mai. Programme complet et modalités de participation .