Le 11 décembre 2019, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, présentait le Pacte vert pour l’Europe, la feuille de route stratégique pour entreprendre la transition écologique et énergétique de l’Union européenne. En marge de la définition d’objectifs climatiques ambitieux, le secteur de la finance se voyait confier une mission cruciale: réorienter le financement et l’investissement vers les activités durables. «Quatre ans plus tard, l’opérationnalisation efficace du cadre réglementaire en matière de finance durable reste le cœur du sujet», lance la coordinatrice ESG au sein de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), Laura Gehlkopf.
En tant que régulateur national, la CSSF participe à de nombreux forums et groupes de travail pour contribuer à définir les meilleures règles possibles et à les faire évoluer en bonne collaboration avec toutes les parties prenantes. «En matière de régulation, le Luxembourg a toujours prôné une approche harmonisée. Au fur et à mesure de l’entrée en vigueur des nouvelles réglementations, il faut bien constater que des points sont à clarifier, que des incohérences, voire des inconsistances, peuvent apparaître. Il est donc important d’y être attentif, de coopérer pour répondre à cette problématique centrale: comment réussir à mettre en œuvre une politique efficace et cohérente pour réorienter les flux vers une économie plus respectueuse de l’homme et de l’environnement», précise Laura Gehlkopf.
Responsabiliser les acteurs de la finance
Au-delà de son rôle de surveillance auquel elle est parfois réduite dans l’esprit collectif, la CSSF est aussi là pour responsabiliser les acteurs de la finance dans l’implémentation des nouvelles réglementations. «Nous devons trouver le bon équilibre entre la surveillance et une approche trop prescriptive qui nuirait à l’évolution des bonnes pratiques, reprend Laura Gehlkopf. Nous avons en face de nous des professionnels de la finance, qui doivent connaître leur métier, et avoir l’habitude de mettre en place des processus de gestion des risques et de bonne gouvernance.»
Le sujet de la finance durable, que l’on parle d’intégration de nouveaux facteurs ESG à prendre en compte, d’obligations de reporting ou de prise en compte de la volonté des investisseurs, vient s’intégrer dans des processus qui existent déjà. «Nous devons donc appeler à la responsabilité des professionnels de la finance pour intégrer cela de la manière la plus efficiente possible, tout en les guidant lorsque c’est nécessaire», annonce Laura Gehlkopf.
Grâce à son implication à l’échelle européenne, voire internationale, la CSSF se fait l’écho des pratiques et des positions de la place financière luxembourgeoise. À l’inverse, elle communique au marché local les grandes orientations prises, en veillant à orienter et guider au mieux les acteurs qu’elle supervise. «Que l’on parle de finance durable ou d’autres sujets réglementaires, les attentes des instances européennes à notre égard ne sont pas différentes, témoigne la coordinatrice ESG pour le métier des OPC au sein de la CSSF, Shaneera Rasqué. La CSSF conduit ses missions de surveillance prudentielle et des marchés dans le but de contribuer à la protection des investisseurs ainsi qu’à la solidité et à la stabilité du secteur financier. Il s’agit donc pour la CSSF de dûment incorporer les exigences découlant du Pacte vert pour l’Europe tel qu’actuellement développé par les différentes instances européennes.»
De nombreux défis à relever
Les défis à relever sont toutefois nombreux. Malgré le fait que certaines réglementations-clés comme le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité (SFDR) ou le règlement sur la taxonomie soient entrées en vigueur, le cadre réglementaire continue d’évoluer. «Nous sommes encore dans une phase d’ajustement. Des adaptations sont nécessaires afin de disposer d’un cadre réglementaire robuste et cohérent. Cela commence par la définition de ce qui constitue un investissement durable suivant les textes européens, souligne Shaneera Rasqué. Sur cet aspect, la Commission européenne a récemment clarifié que les acteurs du marché financier ont un certain degré de latitude pour définir eux-mêmes ce qu’ils entendent par un tel investissement, ce qui implique qu’il puisse y avoir des degrés d’appréciation différents du marché sur le même produit financier. Cela nuit forcément à la comparabilité des produits et peut évidemment poser des questions de risque de greenwashing, et de cohérence avec l’objectif de protection de l’investisseur.»
Sur cette question du greenwashing, le rôle de la CSSF est de responsabiliser les parties prenantes. «Nous pouvons nous assurer que les entités que nous supervisons respectent le cadre réglementaire, mais il y a une limite au-delà de laquelle nous ne pourrons pas aller. Notre travail ne consiste pas à se substituer aux experts scientifiques», constate Laura Gehlkopf.
«Sur ce sujet, l’enjeu est donc aujourd’hui de pouvoir s’appuyer sur des données de qualité, fiables et comparables afin d’évaluer le plus justement possible les impacts que peut avoir une activité sur l’environnement. Ces données doivent aussi être interprétées pour les rendre compréhensibles aux investisseurs», ajoute la coordinatrice ESG, Laura Gehlkopf. Difficulté supplémentaire en matière de finance durable. «Ces données touchent désormais à l’extra-financier, avec des sujets comme la comptabilisation des émissions carbone, mais aussi d’autres qui peuvent être encore plus compliqués à chiffrer. Il est donc nécessaire de faire le pont entre des gens qui ont une connaissance approfondie du secteur financier et d’autres qui développent des connaissances scientifiques en lien avec les critères ESG.»
Une réponse collective à des enjeux planétaires
L’an dernier, la CSSF, la Fondation ABBL pour l’éducation financière et la Luxembourg Sustainable Finance Initiative (LSFI) ont réalisé un sondage afin de mieux cerner la perception et la connaissance des ménages luxembourgeois par rapport à la finance durable. «Il en est ressorti une impression plutôt favorable du grand public vis-à-vis de la finance durable, mais une méconnaissance du sujet, d’où l’importance de démarches pédagogiques et le rôle pivot du banquier, partage Laura Gehlkopf. Pour investir dans un produit de finance durable, les investisseurs doivent avoir confiance dans ce secteur. Et cette confiance se construit par l’acquisition d’une bonne compréhension du sujet.
La CSSF a, là aussi, un rôle à jouer. Pour répondre à ces enjeux, nous avons notamment lancé, avec d’autres institutions, un site internet d’information (finance-durable.lu, ndlr). De manière plus générale, il est urgent pour l’ensemble du secteur de libérer les ressources existantes, de former des experts dans ces domaines ESG. Je suis convaincue que cela passe aussi par la réalisation du potentiel qui existe déjà sur la Place, notamment en permettant aux collaborateurs de se former et en faisant évoluer les rôles. Sur ce point, il revient aussi au top management de donner les bonnes impulsions.»
Le changement n’attend pas
L’entrée en vigueur des nouvelles réglementations se poursuit à un rythme soutenu. «L’agenda est chargé, confirme Shaneera Rasqué. Il y aura des évolutions réglementaires importantes que nous suivons de près, sans pouvoir toutes les nommer. Le travail entrepris par l’ESMA sur la définition du greenwashing risk suit son cours, avec une finalisation prévue en mai 2024, et la consultation de la Commission européenne vient d’être lancée sur la refonte de la SFDR. En parallèle, nous avons une proposition de règlement sur les ESG rating providers, et les travaux sur la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD), entre autres.»
Pour ce qui est du domaine des fonds d’investissement, il est également utile de rappeler l’action (Common Supervisory Action – CSA) sur la transparence et les risques de durabilité annoncée par l’ESMA le 6 juillet 2023. Outre le fait de permettre une revue de la conformité des acteurs du marché financier avec les dispositions en vigueur, cette CSA permettra également d’identifier les lacunes éventuelles liées au cadre réglementaire qui peuvent nécessiter un ajustement. Au vu de l’ampleur et de la globalité du défi climatique, seule une réponse collective peut s’avérer efficace.
«De ce fait, les instances européennes doivent contribuer à cet objectif en remédiant à ces initiatives qui peuvent entraîner la fragmentation des marchés, comme la mise en place de régimes nationaux ou des différences dans l’application des exigences réglementaires en finance durable pour différents produits financiers», confie encore Shaneera Rasqué.
Une telle fragmentation risque de remettre en cause le bon fonctionnement du passeport européen et donc du marché unique de l’UE. «Au niveau international, il est également important d’attacher une attention accrue à l’interopérabilité et la comparabilité entre les taxonomies de la finance durable applicables dans différentes juridictions», poursuit-elle. Aussi important et urgent que soit le besoin de répondre au défi climatique, il est essentiel de consacrer suffisamment de temps à la mise en place d’un cadre réglementaire aux fondements solides.
Cet article a été rédigé pour le supplément ESG de l’édition de parue le 25 octobre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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