«L’un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la crise du coronavirus est le fait que nous sommes victimes de l’interconnexion totale qui existe entre les différentes régions du monde», analyse Patrick Wies. (Photo: KPMG Luxembourg)

«L’un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la crise du coronavirus est le fait que nous sommes victimes de l’interconnexion totale qui existe entre les différentes régions du monde», analyse Patrick Wies. (Photo: KPMG Luxembourg)

Quels seront, en 2021, les principaux enjeux des suites de la crise pour l’État et les institutions? Sur invitation de Paperjam, plusieurs experts répondent à cette question. Pour Patrick Wies, advisory partner et public sector lead chez KPMG Luxembourg, le secteur public a démontré de grandes facultés d’adaptation. Et doit poursuivre sur cette dynamique en s’appuyant sur les avancées rapides réalisées durant la pandémie, notamment en matière de collaboration.

En raison de l’émergence d’une crise sanitaire mondiale, 2020 a été une année pleine de défis pour les pouvoirs publics. Dans un contexte délicat, le secteur public luxembourgeois a fait montre d’une grande capacité d’adaptation. Plusieurs bons points peuvent être accordés: l’agilité démontrée par rapport à la problématique de santé publique, la rapidité de la mise en place des mesures anti-crise pour soutenir les entreprises, la collaboration accrue qui a permis d’assurer la chaîne d’approvisionnement pour certains produits essentiels, et la bonne communication à l’attention des citoyens. Alors qu’on a souvent reproché à l’État sa réticence au changement ou sa lenteur, la pandémie nous a montré que le secteur public pouvait s’adapter rapidement.  

Une accélération de la digitalisation

On a beaucoup glosé sur la digitalisation des entreprises au cours de cette période de crise. Le secteur public, lui aussi, a accéléré sa digitalisation. Celle-ci a toutefois dû être réalisée au pas de charge. Au plus fort de la crise, les pouvoirs publics se sont lancés dans une course contre la montre: il s’agissait de rendre les services les plus essentiels accessibles malgré les confinements. Dans le domaine de la santé, de l’éducation, de la finance ou de l’économie au sens large, de nombreuses initiatives ont donc rapidement dû être mises en place. Cet effort devra se poursuivre demain, et la stratégie sur la gouvernance électronique 2021-2025 élaborée par le ministère de la Digitalisation servira de ligne directrice aux prochains développements digitaux lancés au sein des services publics. Le chantier reste en effet vaste.

Le véritable point de satisfaction concerne la collaboration rapidement mise en place entre les différents acteurs publics (ministères, administrations et bien d’autres) afin d’atteindre les objectifs fixés. Il faut reconnaître que, malgré l’organisation parfois trop verticale de l’État, des collaborations plus transversales se développent entre acteurs. De fait, les sujets et objectifs se définissant de manière cross-ministérielle, il est préférable d’éviter les approches en vase clos.

Mitiger les risques de l’interconnexion

Au-delà de cet aspect, l’un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la crise du coronavirus est le fait que nous sommes victimes de l’interconnexion totale qui existe entre les différentes régions du monde. Si celle-ci nous offre de nombreux avantages, elle présente aussi des risques. Un petit pays comme le Luxembourg est très impacté par les décisions de ses voisins, comme lorsqu’ils ont décidé de fermer leurs frontières, par exemple.

Nous avons aussi constaté que, faute d’accord ou d’alignement, de préférence européen, entre pays sur le télétravail, de nombreux secteurs étaient soumis à d’importants risques opérationnels, en raison du manque de main-d’œuvre locale. C’est le cas pour les entreprises, mais aussi pour les hôpitaux par exemple. 

Pourtant, ce type de risque n’a certainement pas été réellement perçu par le passé. Même s’il était sans doute difficile d’anticiper l’émergence de cette pandémie, il doit être possible d’identifier les risques qui pourraient se présenter, même dans des scénarios extrêmes, et de préparer des stratégies de mitigation. Les plans de continuité tant des entreprises privées que de l’État ont été mis à rude épreuve. Il convient désormais d’avoir une approche de gestion du risque, sujet par sujet, domaine par domaine. On doit notamment s’interroger sur différentes problématiques telles que la criticité de nos chaînes d’approvisionnement et notre forte dépendance par rapport à nos voisins européens ou au niveau mondial.

Ces stratégies de mitigation du risque mises en œuvre par l’État devraient être prises très au sérieux afin d’atteindre les résultats espérés. À cet égard, je peux citer l’exemple de l’Allemagne qui, avant le Covid-19, avait effectué un exercice dans le cadre d’un plan catastrophe appliqué au cas de l’émergence d’une pandémie. Aujourd’hui, on se demande si un tel exercice, effectué par les instances publiques, n’aurait pas dû inclure de manière plus large les entreprises et les citoyens.

Collaborer, aussi avec le privé

Si la collaboration accrue entre les services de l’État a joué un rôle important dans la qualité de la réponse apportée à la crise, elle devra se renforcer dès 2021 pour relever les défis de demain. Mais les pouvoirs publics ont également tout intérêt à intensifier leurs échanges avec les citoyens… ainsi qu’avec les entreprises. L’ouverture et la transparence, notamment en matière de gestion des données, devraient ainsi devenir deux concepts-clés pour l’Administration. L’idée d’un «data lake» qui rassemblerait la quantité importante de données dont dispose l’État, d’une part, et les entreprises, d’autre part, est par exemple très intéressante. En mutualisant ces données et en les rendant disponibles – en les valorisant, donc –, on peut en faire profiter à la fois le public et le privé. 

Dans cet ordre d’idées, on peut par exemple citer l’exemple d’un partage de données liées à la consommation électrique d’un quartier – détenues à la fois par le fournisseur d’électricité et des privés – qui permettrait d’optimiser la consommation d’énergie. Mais pour parvenir à conserver la confiance des citoyens, il faudra alors veiller à la confidentialité de ces données, à trouver le bon équilibre entre cet impératif et l’exploitation de la data.

Des compétences transversales

Au rang des défis qui attendent les services publics, il faut souligner celui des ressources humaines. Pour faire face à ses sujets qui, par nature, sont de plus en plus transversaux, il faudra impérativement recruter des responsables qui, eux aussi, disposent de compétences transversales. Par ailleurs, l’État aura besoin de ces compétences spécifiques qui sont aujourd’hui devenues précieuses: ingénieurs, développeurs, data scientists, etc. Pour cela, il faudra également se départir d’une certaine rigidité concernant la politique salariale.

Enfin, la modernisation de l’Administration ne se fera pas sans les fonctionnaires en place. Le change management sera donc essentiel pour mener à bien ce processus. Sur ce sujet, comme sur tous ceux que nous venons d’aborder, il sera essentiel de capitaliser sur les avancées réalisées en 2020…