En octobre 1995, soit voici plus de 25 ans, ce qui était alors le cabinet Arthur Andersen livrait à la Chambre immobilière une étude commandée trois ans plus tôt et intitulée «Étude concernant l’état du marché du logement social et la position des promoteurs privés au Grand-Duché de Luxembourg». Paperjam a pu en obtenir un exemplaire.
Quelle a été la raison d’être de cette commande d’analyse? Depuis 1992, les promoteurs immobiliers faisaient face à de multiples difficultés. Ainsi, le nombre d’autorisations de bâtir avait connu une chute libre entre 1992 et 1996, tant pour les maisons individuelles que les résidences à appartements. Dans le même temps, l’État, via la SNHBM et le Fonds pour le logement à coût modéré (FLCM) «ainsi que les communes», agissait toujours plus «en tant que promoteurs immobiliers» et s’érigeait donc en concurrent. «L’intervention des promoteurs publics dans le logement social est en croissance continue», note ainsi le rapport. Enfin, toutes les procédures administratives avaient tendance à devenir plus longues, alors que la digitalisation était à peine évoquée. «Par contre, l’intervention des promoteurs publics dans le logement social est en croissance continue», note le rapport.
Les promoteurs privés sont donc en difficulté au milieu des années 1990 et craignent de l’être plus encore par la suite. La Chambre immobilière demande donc à Arthur Andersen de dresser «la situation réelle du marché du logement», notamment pour «mieux appréhender le système des aides et subventions afin de pouvoir comparer le secteur privé et les secteurs étatique et communal.»
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Ce travail a été évoqué par le député ADR lors de la récente table ronde consacrée au logement à l’initiative du Paperjam + Delano Business Club. Déjà, Arthur Andersen démontrait, selon Roy Reding, «qu’un promoteur privé peut construire plus vite, mieux, et moins cher qu’un promoteur public».
De nombreux feux à l’orange
La lecture des plus de 130 pages d’Arthur Andersen est en tout cas cruelle pour ceux qui ont eu la responsabilité de la politique du logement depuis cette époque. De nombreux feux étaient déjà plus qu’orange, des obstacles annoncés, des pièges décrits. Des pistes de solution et de réflexion étaient proposées. Peu ont été suivies, ou bien n’ont guère fait évoluer la situation.
Un exemple chiffré? En 1998, Arthur Andersen relève que «le total des logements achevés par an s’élève à 2.500 à 3.000». En un quart de siècle, l’offre n’a donc que très faiblement augmenté, et donc toutes les mesures prises pour la dynamiser semblent avoir eu l’effet d’un pétard mouillé.
L’action du secteur public porte essentiellement sur les symptômes et moins sur les causes des dysfonctionnements.
Déjà, l’action publique est fustigée: «le Luxembourg semble maintenir sa politique d’interventionnisme direct de l’État via des sociétés de promotion publiques», alors que la plupart des pays européens font l’inverse. Ce qui a fonctionné, faut-il reconnaître, puisque le nombre de ménages propriétaires de leur logement est passé de 49% en 1947 à 64% en 1991. Mais Arthur Andersen a vu le danger: «l’action du secteur public porte essentiellement sur les symptômes et moins sur les causes des dysfonctionnements qu’il faut constater sur le marché du logement.» Ces causes sont notamment les éléments qui ont un effet réducteur sur l’offre ou catalyseur sur la demande.
L’étude liste donc ces causes sur lesquelles une réflexion devrait être menée de toute urgence, car étant les racines du mal: augmentation de la population active pour les besoins de la dynamique économique, taille limitée du pays qui empêchera de mobiliser à l’infini «des surfaces destinées à la construction si on veut préserver l’environnement» (sic), loi fixant les loyers maximums constituant un frein à l’investissement, des règlements communaux et des plans d’aménagement qui empêchent une utilisation optimale du sol, des coûts de construction élevés par rapport à des standards qui ne le justifient pas…
Les inégalités importantes sur le marché de la promotion entre acteurs privés et publics sont aussi pointées du doigt tant au niveau de la fiscalité que des conditions de financement. Pour en arriver à conclure que «pour réaliser un projet identique, le coût total du FLCM est moins élevé que celui de promoteurs privés. Or, une comparaison de prix effectuée sous certaines hypothèses montre clairement que le prix de vente pratiqué par les promoteurs privés est, le plus souvent, moins élevé que celui des promoteurs publics.»
Les solutions de 1998 toujours d’actualité en 2023
Arthur Andersen propose alors trois scénarii possibles qui sont soit le maintien du système de l’époque qui exclut les promoteurs privés (les aides sont individuelles et les promoteurs publics sont subventionnés), soit le maintien des politiques d’aides individuelles, mais une mise à égalité des promoteurs publics et privés, soit une optimalisation des aides individuelles et un retrait complet de l’État de la promotion de construction de grands ensembles. Chaque aux élus et ministres de décider. Mais peu importe le choix, des mesures spécifiques seront nécessaires:
– Revoir les règlements communaux au cas par cas pour optimiser l’utilisation du sol;
– Mettre à disposition des terrains publics via des baux emphytéotiques;
– Revaloriser le rôle des intermédiaires sur le marché;
– Réduire les délais d’obtention des autorisations;
– Attirer les investisseurs vers la construction de logements sociaux via des incitants fiscaux;
– Taxer les terrains à bâtir non mobilisés dans les périmètres de construction;
– Réduire les droits d’enregistrement;
– Inciter à la reconversion de surfaces de bureaux en logements;
– Inciter à la rénovation d’anciens logements.
– …
Des propositions très proches et bien souvent identiques à celles formulées en 1998 par Arthur Andersen. Cela a été à nouveau le cas le 28 mars lors de la table ronde intitulée
Le rapport du cabinet Arthur Andersen évoquait aussi les perspectives pour marché du logement, notamment abordable. L’urgence s’y lisait à presque toutes les pages: une offre qui restera insuffisante, une demande qui ne cessera d’augmenter sous la pression d’une population active toujours plus importante et nécessaire à la dynamique économique, un écart croissant entre les aides individuelles et les prix du marché, un effet spéculatif sur les terrains…
Elles n’ont pas été lues avec assez d’attention, semble-t-il.