Le «no show» a toujours été un gros problème dans la restauration, au Luxembourg comme ailleurs, notamment pour les restaurants bistronomiques et gastronomiques, qui ont souvent peu de couverts, un ticket moyen élevé, et qui fonctionnent en cuisine selon les réservations. Face aux annulations de dernière minute, voire au «never show» – c’est-à-dire lorsqu’une réservation n’est jamais honorée, sans même prévenir –, certaines scènes gastronomiques réputées, comme en France ou au Danemark, n’hésitent pas depuis des années à demander une empreinte bancaire, voire une avance sur le menu, pour confirmer la prise d’une réservation. C’est notamment le cas du célébrissime Noma, à Copenhague, où il faut payer le menu à l’avance pour avoir une chance de le déguster quelques semaines/mois plus tard...
Les étoiles volontaires, mais prudentes
Dans cette dynamique, le Luxembourg semble faire état d’exception, comme le confirme Arnaud Magnier, chef étoilé et patron du restaurant Clairefontaine en centre-ville de Luxembourg depuis bientôt 20 ans: «Je suis pour la prise d’empreinte bancaire à la réservation depuis des années, je l’avais même instaurée en 2018 pour les tables de plus de 6 personnes. Mais lorsque j’ai appliqué cette mesure aux tables de 4 personnes, nous avons reçu un retour très négatif. Nous avons même perdu une paire de bons clients, vexés qu’on ose leur demander ce genre de chose... Il faut comprendre que dans notre gamme d’établissements, ne pas remplir une table et ne pas pouvoir l’allouer à quelqu’un d’autre suite à un ‘no show’ est une perte d’argent considérable. Lorsqu’on investit en permanence, et surtout après cette période pandémique très difficile, il est impératif que l’on repense à ce genre de pratique tous ensemble, afin de parler d’une voix unie…»
Même constat chez Cyril Molard, seul chef 2 étoiles au Grand-Duché, pour qui l’union et la confiance mutuelle avec la clientèle sont les maîtres-mots sur ce sujet: «La pression toute relative de laisser ses coordonnées bancaires lors de la réservation effraie beaucoup de monde. C’est pourtant un moyen de mieux fonctionner ensemble et de respecter notre travail à sa juste valeur. À l’étranger, cela ne semble poser de problème à personne, alors pourquoi être aussi sceptiques au Luxembourg, où la scène gastronomique sait s’illustrer comme ailleurs?» Selon le patron de Ma Langue Sourit, c’est également une action concertée et épaulée par tous les acteurs du secteur qui sera la clé pour avancer sereinement et convaincre la clientèle locale...
Des avis contrastés, mais favorables
Pour Mathieu Van Wetteren, chef et patron du restaurant Apdikt, à Steinfort, la réponse est clairement oui lorsqu’il s’agit de demander les coordonnées bancaires lors des réservations. Il n’a d’ailleurs pas attendu le peloton pour mettre en place ce système, actif depuis plus d’un an lorsqu’on réserve dans son établissement, sans toutefois jouer l’intransigeance: «À un moment, il a été clair que je devais mettre un système de la sorte en place. Avec les 24 couverts de l’Apdikt, le ‘no show’ non maîtrisé peut représenter des manques à gagner importants, voire des pertes, puisque je fonctionne avec un menu unique, approvisionné en produits en fonction du nombre de réservations. Bien sûr, avec le Covid, nous faisons preuve de tolérance lorsque l’annulation est faite avec bienveillance en amont…» Selon le chef, cette rigueur permet à tout le monde d’être plus sereins: pas de confusion possible dans les dates, et assurance d’avoir une table pour les clients, organisation optimale pour la cuisine et le service en salle...
Au Château de Bourglinster, le chef étoilé René Mathieu est plus prudent. S’il est pour la prise de l’empreinte bancaire sur le fond, il est également d’avis que «cela doit se faire dans une dynamique de groupe et de sensibilisation plus générale de la clientèle aux bonnes pratiques gastronomiques et environnementales». À La Distillerie, une table annulée même peu de temps avant le repas est souvent comblée grâce à une annonce sur les réseaux sociaux du restaurant et trouve en général rapidement (re)preneur. L’idée est donc d’utiliser au maximum ce fonctionnement avant de mettre en place une politique de réservation sinon plus stricte, en tout cas fédératrice au Luxembourg.
Une technologie et des partenariats pour faire avancer les choses?
Toujours selon René Mathieu, des partenaires locaux capables de développer une technologie idoine pourraient jouer un rôle important dans ces prochaines étapes. Ainsi, chez Payconiq – qui se définit régulièrement comme un partenaire du secteur horeca dans ses campagnes de communication –, on reste attentif à l’évolution de cette discussion: «Nous sommes toujours à l’écoute du secteur et ouverts au développement de nouveaux outils pour faciliter les méthodes de paiement auprès notre clientèle locale. Si, pour l’instant, nous sommes concentrés sur l’optimisation du paiement sur site, nous imaginons évidemment réfléchir à de nouvelles solutions technologiques ad hoc si cette dynamique d’empreinte bancaire ou de prépaiement venait à évoluer dans les années à venir», nous confirme ainsi la direction de la Communication de la société luxembourgeoise.
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Du côté de la fédération Horesca, l’ensemble des restaurateurs luxembourgeois pourront également trouver une oreille attentive dans ce sens, comme nous le confirme son secrétaire général François Koepp: «Après cette période si difficile pour le secteur, on est obligé de penser à cette problématique. La prise de coordonnées bancaires se fait très bien à l’étranger et dans l’hôtellerie, alors pourquoi pas dans les restaurants luxembourgeois? Le plus important restera pour nous en tout cas que la clientèle soit informée très clairement et sans ambiguïté possible sur la procédure.»
Les hôtels prennent bien les coordonnées bancaires lors de la réservation. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même au restaurant?
Enfin, même chose pour l’association FoodaMental, qui milite pour le «manger mieux» au Luxembourg et qui a prévu une réunion de concertation sur le sujet dans les jours à venir, comme nous le confirme Arnaud Magnier, un de ses ambassadeurs et fondateurs...
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