Louis Chauvel: «Comparées à la situation de la France, les retraites au Luxembourg sont moins exposées.» (Photo: Maison Moderne)

Louis Chauvel: «Comparées à la situation de la France, les retraites au Luxembourg sont moins exposées.» (Photo: Maison Moderne)

Le système de financement des retraites pourrait s’écrouler dans de nombreux pays. Qu’en est-il au Luxembourg? Le professeur Louis Chauvel (Uni.lu) met en exergue la dépendance des pensions à la croissance économique d’un pays, lui-même dépendant de la globalisation.

C’est un phénomène presque universel: la tendance de seniorisation touche tous les pays de la planète. Toujours plus de retraités, généralement en meilleure santé, bénéficiant d’une plus forte longévité et d’une part croissante du PIB. Leur taux de propriété du logement s’accroît, comme pour les résidences secondaires, et les taux de départ en vacances augmentent. Tout cela dans un contexte où démographie et politique font bon ménage: le poids électoral croissant des seniors permet de faire reconnaître les besoins collectifs de prise en charge médicale, d’accessibilité et de mobilité adaptées aux adultes vieillissants.

Les moyennes dissimulent évidemment des contrastes importants: l’égalité devant le vieillissement n’est pas pour demain. Mais avec un gain de 8,4 ans d’espérance de vie en une génération, le Luxembourg est dans la tête des classements.

C’est aussi le pays où, croissance aidant, le niveau de vie des seniors a le plus progressé. Ces performances sont un succès, qui dissimulent aussi un coût collectif considérable.

Les retraités de la génération passée, dans les années 1980, étaient plus pauvres, plus rares — les baby-boomers étaient encore au travail —, et mouraient vite. Leur financement pesait modérément sur les actifs d’alors. Aujourd’hui, le profil est inverse: nombreux, plus aisés, en meilleure santé. Dans les économies du sud de l’Europe, la stagnation, l’endettement public excessif et le chômage de masse ne permettent pas d’avoir tout à la fois un système généreux de retraite et de soutenir en même temps les investissements d’avenir — l’enseignement, la recherche, la science.

Les adultes actifs financent par leur travail les retraites, la santé, la dépendance des seniors, et vivent maintenant avec un revenu inférieur.
Louis Chauvel

Louis ChauvelUniversité du Luxembourg

Dans ces pays du sud, comme en France, le niveau de vie (revenu après impôts et redistributions, rapporté à la taille du ménage) des personnes de 69 à 71 ans dépasse maintenant la moyenne nationale de 10%, alors qu’ils étaient 10% en dessous dans les années 1980. S’il était légitime de permettre un rattrapage des seniors, pour être à parité avec le reste de la — population, le fait que les septuagénaires dépassent maintenant le niveau de vie des quadragénaires devient un problème. Les adultes actifs financent par leur travail les retraites, la santé, la dépendance des seniors, et vivent maintenant avec un revenu inférieur. Le sentiment d’injustice s’accroît dès que ces quadragénaires soupçonnent que le bien-être des seniors pourrait être de courte durée: ces adultes en milieu de vie, relativement appauvris, dont le salaire ne permet plus vraiment d’acheter un logement, pourraient être les seniors pauvres de 2040.

Ce constat permet de comprendre les tensions sociales en France où, devant la tendance de seniorisation, le choix fut de laisser filer la dette publique sans assurer pour autant le minimum vital de l’investissement dans des services publics de qualité. L’hôpital, l’université, les transports publics, notamment, subissent ce déclin. La perte de compétitivité qui en résulte — les lourdes contributions sociales et impôts ne sont plus la contrepartie de services publics efficaces — laisse présager l’insolvabilité et l’insoutenabilité à venir du système français.

Dans ce contexte, les retraites françaises ressemblent à un jeu pyramidal de Ponzi, du nom de cet escroc des années 1920 dont le fonds servait des intérêts très supérieurs à la concurrence en collectant l’épargne de nouveaux entrants toujours plus nombreux, jusqu’à l’explosion du système. Dans un système de retraite par répartition mal géré, le résultat attendu est un peu le même.

Les pessimistes disent que le pays est ainsi en état de dépendance aux migrations, mais c’est en réalité le cercle vertueux d’une économie efficace et d’une dynamique forte de la population.
Louis Chauvel

Louis ChauvelUniversité du Luxembourg

Chaque nouvelle génération contribue plus lourdement, mais elle l’accepte car elle croit en la promesse de bénéficier plus tard de retraites encore meilleures. Ce jeu, qui commence bien, finit en pyramide de Ponzi lorsqu’il est mal géré: une crise économique, la baisse démographique des cotisants ou la perte de confiance font qu’un jour les suivants refusent de payer la note et vont voir ailleurs. La conséquence est l’écroulement final du système.

Comparées à la situation de la France, les retraites au Luxembourg sont moins exposées. Même si ces dernières sont certes assez généreuses, avec une population retraitée de bonne longévité, une fécondité médiocre, le pays pourrait être très inquiet de son avenir. Il reste que les ressources fiscales spécifiques, le dynamisme du commerce européen et de la finance et la forte expansion de la population des cotisants actifs (les migrations et le travail frontalier) font tenir un équilibre qui serait impossible autrement. Les pessimistes disent que le pays est ainsi en état de dépendance aux migrations, mais c’est en réalité le cercle vertueux d’une économie efficace et d’une dynamique forte de la population.

Il reste qu’ici les mêmes soucis de financement apparaîtront si la machine de la croissance des retraites s’emballe, si le logement et les infrastructures de transport ne suivent pas la tendance démographique, si le pays rate sa vocation économique globale. Une perte d’attractivité peut conduire à l’inversion de la pyramide des âges, avec une explosion du nombre des pensionnés et l’implosion des cotisants nouveaux disposés à financer un système en perte de crédit. On sent venir un vent de panique avec ce possible «Demographic Armageddon». L’endettement public pourrait laisser espérer quelques années supplémentaires, mais ce serait au prix du sacrifice des intérêts des générations suivantes.

Devant ce risque, la démographie appliquée aux pensions a une solution presque miracle, même si elle n’est pas appréciée des travailleurs: le report du départ à la retraite vers des âges plus élevés. Sans atteindre l’extrémisme des propositions du Premier ministre japonais Shinzo Abe qui imagine un départ à l’âge de 75 ans, l’amélioration de la santé des seniors légitime un départ plus tardif. Dans le contexte luxembourgeois de faible chômage, et même si certains employeurs utilisent les départs précoces en retraite comme élément de leur politique interne de renouvellement des effectifs, un maintien plus tardif dans l’emploi est souvent envisageable, par la retraite progressive, l’adaptation, la formation et le bénévolat.

Ce prolongement des carrières suppose une meilleure formation tout au long de la vie pour faire face aux changements de qualifications et de compétences. Le droit à la retraite est devenu parfois un devoir de mise à la retraite — couperet pour les travailleurs qui aimeraient continuer. La révolution que représente la seniorisation de la société suppose de transformer le regard sur l’emploi des aînés.