À Doha, au Qatar, Arata Isozaki Architects a conçu le Ceremonial Court situé à l’Education City. (Photo: Dan Tiego/Shutterstock)

À Doha, au Qatar, Arata Isozaki Architects a conçu le Ceremonial Court situé à l’Education City. (Photo: Dan Tiego/Shutterstock)

Suite au décès de l’architecte japonais Arata Isozaki le 28 décembre 2022, l’architecte et auteur Emmanuel Petit (Jean Petit Architectes) revient sur la vie de celui-ci et sur l’impact de son œuvre. 

«L’architecte Arata Isozaki, né le 23 juillet 1931, est décédé à l’âge de 91 ans le 28 décembre 2022.

Depuis la création de son bureau d’architecte en 1963, Isozaki est l’auteur de certains des bâtiments les plus originaux et les plus audacieux, de renommée internationale. Notamment le Oita Medical Hall (1959-1960), la bibliothèque centrale de Kitakyushu à Fukuoka (1973-74), le Civic Center de la ville de Tsukuba (1978-83), le Museum of Contemporary Art de Los Angeles, le National Convention Center du Qatar (2008-11) et le Himalayas Center de Shanghai (2011-14).

Ces bâtiments font partie des projets exceptionnels qui ont marqué leur époque en définissant l’air du temps du point de vue architectural – comme le brutalisme dans les années 1960, le postmodernisme à la fin des années 1970 et 1980, le high-tech organique dans les années 1990 et 2000. Ils partagent un sens aigu de la plasticité au service de narratifs culturels particuliers. Esthétiquement, ce sont de véritables pièces uniques, et les produits d’un esprit créatif, qui ont su se débarrasser de la plupart des carcans de l’interdit culturel.

Une esthétique architecturale empreinte de son parcours 

Isozaki était un architecte avec une orientation résolument internationale, un ardent défenseur du dialogue entre l’Est et l’Ouest, un participant actif au discours architectural et une personnalité avec un penchant pour la théorie architecturale. Il a reçu la médaille d’or RIBA en 1986 et le Lion d’or de la Biennale d’architecture de Venise en 1996, ainsi que le prix Pritzker en 2019.

L’esthétique architecturale d’Isozaki trouve son origine dans son parcours de vie: jeune adolescent, il a pu observer les atrocités de la Seconde Guerre mondiale tandis que les villes japonaises enregistraient le dénouement d’une époque historique de son pays; à partir de ce moment, certaines des présomptions confiantes et progressistes de la modernité se révèlent à lui comme unilatérales et naïves.

D’abord élève de Kenzo Tange et proche du groupe Metaboliste au Japon, il devient de plus en plus critique à l’égard de leurs projets visionnaires, audacieux et tournés vers l’avenir. Isozaki a compris que les années soixante et soixante-dix n’étaient pas des décennies pour les solutions uniformes et universelles, mais plutôt l’ère de l’expérimentation ludique. Isozaki fait ainsi partie de la troisième génération des modernistes, pour qui les certitudes positivistes de la culture artistique du début du siècle doivent être remises en cause au regard d’un sentiment de liberté et de nonchalance.

Isozaki a cultivé un intérêt pour le dialogue culturel entre «l’Est» et «l’Ouest» et le mélange des paradigmes culturels. Autant le «style international» occidental, qui trouve ses origines dans la diffusion américaine de l’architecture socialiste européenne, a imposé ses thèmes au Japon, autant il se retrouve à puiser dans la culture japonaise. Isozaki a capté ce tournant global en concoctant une réponse esthétique basée sur la diversité, l’hétérogénéité et la contradiction. Parfois, ses bâtiments parodiaient ouvertement le choc des cultures et tournaient à l’ironie. À Tsukuba, il a fabriqué toute une mise en scène d’une sorte de cadavre exquis de styles architecturaux différents – de Ledoux à Michel-Ange, de Giulio Romano à Carlo Scarpa, et de Kenzo Tange à Archigram. Dans les années 1970 et 1980, il est devenu l’équivalent japonais de l’Autrichien Hans Hollein: ses bâtiments pouvaient virer à des parodies spirituelles et humoristiques.

Son penchant romantique pour les ruines et les fragments

Isozaki a tiré l’une de ses analogies préférées en architecture de la sphère de l’organicisme biologique: s’appuyer sur le thème métaboliste de la croissance organique est devenue un sujet récurrent dans ses textes et projets. Pourtant, opposé à l’approche positiviste des Métabolistes, il ajoute à cette thématique les notions de «cycle de vie» et de «déclin». Il considérait toutes les choses physiques comme éphémères; c’est pourquoi le destin de toute utopie était d’être fatalement renversé. C’est ce caractère transitoire qui, dans son esprit, rend les phénomènes esthétiques singuliers et uniques; ils acquièrent la vie de leur hétérogénéité et de leur multiplicité.

Traduit en esthétique, Isozaki a développé un penchant romantique pour les ruines et les fragments. Ainsi, en 1968, il développait une installation intitulée «Electric Labyrinth» et composait le collage «Incubation Process» pour suggérer que le concept d’utopie ne peut survivre qu’à l’état de naufrage. Les deux pièces illustrent le paradoxe, l’esthétique à double face de la perfection de la forme et de son déclin. Des décennies plus tard, dans les années 1990, l’accent mis sur la forme organique est devenu plus sûr de lui et monumental sans toutefois jamais perdre le sens de la délicatesse et même de la fragilité.

Isozaki était un architecte avec une gamme esthétique impressionnante, il était un virtuose de la forme architecturale et un ambassadeur culturel de son pays d’origine, le Japon. Il était l’un des rares grands dont les noms sont venus déterminer le caractère de l’architecture de la seconde moitié du 20e siècle.»

est architecte et auteur. Il a obtenu son doctorat en théorie de l’architecture de l’Université de Princeton et son master of science en architecture de l’ETH de Zurich. Il a enseigné à l’Université de Yale, à la Harvard Graduate School of Design, au MIT, à la Bartlett School of Architecture et à l’École polytechnique de Lausanne.

Il est l’auteur de «Irony, Or, The Self-Critical Opacity of Postmodern Architecture» (Yale Press, 2013), éditeur de «Philip Johnson: The Constancy of Change» (Yale Press, 2009), de «Stanley Tigerman’s Writings on An American Architectural Condition» (Yale Press, 2011), et de «Reckoning With Colin Rowe» (Routledge, 2013). Il est administrateur délégué de Jean Petit Architectes à Luxembourg-ville.

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