Manuel Maleki est Ph.D. economist au sein du groupe Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki est Ph.D. economist au sein du groupe Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

L’histoire du marché du pétrole est indissociable des sanctions et des embargos. Que ce soit pour faire pression sur les pays consommateurs ou sur les pays producteurs, les effets de ces sanctions restent variables. Et discutables lorsqu’elles visent les très grands acteurs.

Lors de tensions entre États, il n’est pas rare de voir s’inviter à la table des moyens de pression les sanctions économiques. Ces dernières ont connu une recrudescence depuis la fin des années 90 en particulier quand des pays producteurs de pétrole comme la Russie ou l’Iran sont concernés. Dans ce cadre-là, ce sont les pays acheteurs d’or noir qui décident de se priver de ces fournisseurs pour mettre ces derniers sous pression. Ces sanctions peuvent avoir une portée nationale, mais aussi parfois une portée extraterritoriale touchant ainsi des entreprises qui ont leur siège social dans d’autres pays. Ce dernier type de sanctions tant à se développer avec le développement de l’extraterritorialité du droit.

Toutefois, historiquement, les sanctions n’ont pas toujours été du consommateur vers le producteur. Cette conception des sanctions et de l’embargo sur le pétrole est assez récente et remonte à la révolution iranienne en 1979 quand les États-Unis ont décidé d’interdire l’achat de pétrole iranien. Cette approche s’est depuis répétée plusieurs fois avec l’Irak, le Venezuela ou bien plus récemment la Russie. L’impact des sanctions est multiple est protéiforme, car ces dernières modifient un équilibre existant pour mener les acteurs vers un équilibre différent qui peut permettre d’atteindre les objectifs de celui qui sanctionne comme cela peut lui rendre la vie plus pénible. Un autre impact est celui sur l’équilibre même des produits qui sont soumis à ces sanctions. Dès lors, il faut s’intéresser à comment le marché de l’or noir réagit face à l’ensemble des sanctions qui touche son fonctionnement.

Acte 1: des sanctions décidées par les producteurs à l’encontre des consommateurs

L’histoire du pétrole au cours du XXe siècle se caractérise par des embargos et/ou sanctions qui vont du producteur vers le consommateur, l’idée étant de priver un pays de ressources en énergie. Ce fut la solution choisie par le Président américain Franklin Roosevelt le 1er août 1941 à l’encontre du Japon. À ce moment de l’Histoire Tokyo importait 80% de son pétrole des États-Unis, la production américaine, de près de 3,7 millions de barils par jour (Mbj) représentait alors environ 65% de la production mondiale. Cette décision qui mettait à mal les volontés de conquêtes nippones en Asie participa à l’entrée en guerre du Japon contre les États-Unis le 7 décembre 1941.

Cette stratégie d’embargo fut reprise en octobre 1973 par les membres de l’OPEP à l’encontre de plusieurs pays dont en particulier les États-Unis où les importations de pétrole en provenance des pays du Golfe représentaient environ un quart de ses importations totales d’or noir. Cette décision provoqua un quadruplement du prix du baril et malgré la fin de l’embargo en mars 1974, le prix de l’or noir resta structurellement plus élevé. Cet embargo fut compensé par l’accroissement des importations en provenance d’autres pays comme le Venezuela ou l’Iran. 

Acte 2: changement de paradigme

Avec la révolution iranienne de 1979 et les tensions entre Washington et Téhéran va s’ouvrir un nouveau chapitre des sanctions liées au pétrole. On passe d’une situation où le producteur sanctionnait le consommateur à une situation ou le consommateur sanctionne le producteur. Comme écrit précédemment, ces sanctions ne vont faire que croître au cours du temps et toucher d’autres pays. Actuellement, trois importants producteurs de pétrole voient leur production soumise à des sanctions: la Russie avec environ 10 Mbj, l’Iran (3 Mbj) et le Venezuela avec 0,8 Mbj, ce qui fait un total d’environ 14 Mbj soit un peu moins de 14% de la production mondiale. Cependant, ces pays trouvent à vendre leur pétrole à des pays qui acceptent de voir leurs entreprises se faire sanctionner comme la Chine, ou bien à des pays qui réexportent ces productions en changeant l’étiquette d’origine. Ainsi, cette stratégie de sanctions met sous pression les pays ciblés, mais nourrit aussi la contrebande et les marchés parallèles. 

Entre 10 et 15% de la production mondiale de pétrole fait face à des sanctions

Il apparaît que ces trois États doivent vendre leur pétrole moins cher que le prix du marché, ce qui pourrait avoir un effet déflationniste sur les cours. Il semble que l’effet des sanctions sur le prix de vente ait tendance à s’émousser. En effet, au cours de l’année 2022, la mise sous sanction du pétrole russe avait provoqué un écart de prix de vente de plus de 20 dollars par baril entre le baril de Brent et celui d’Urals. Aujourd`hui, cet écart oscille autour de 10 dollars, cela illustre bien le fait que les sanctions, même si elles ont un effet à court terme sur le prix, cet effet tend à s’estomper avec le temps et les stratégies d’adaptation par les acteurs. 

Un autre effet des sanctions et la baisse structurelle des capacités de production des pays visés qui ont beaucoup plus de difficultés à se fournir en pièce de maintenance, à développer de nouveaux champs, etc. Par exemple, la production historique du Venezuela avant les sanctions américaines était de près de 3 Mbj, celle de l’Iran avant la révolution de 1979 était de plus de 6 Mbj. Ainsi, en termes d’offre potentielle, le marché est aujourd’hui privé d’à minima 3 Mbj soit 3% de la production mondiale. Cette réduction de la production a donc pour effet de soutenir les cours.

Distorsions de marché

 Même si la réduction de l’offre de ces deux pays a été compensée par l’arrivée de nouveaux acteurs comme le pétrole non conventionnel américain. Ces compensations et la décote du pétrole sous sanctions permettent donc d’éviter un emballement à la hausse du prix. Un autre facteur important est que la multiplication des sanctions provoque des distorsions sur le marché du pétrole ou plus précisément sur les marchés du pétrole puisqu’il y a plus de 160 types de pétroles et dérivés qui sont achetés et vendus sur les marchés. Or, le Venezuela est connu pour produire du pétrole lourd, la Russie du diesel, etc. Dès lors, les sanctions provoquent des dérèglements parmi les prix et les écarts de prix entre produits pétroliers. De plus, les sanctions nourrissent la volatilité des cours tant à la hausse qu’à la baisse rendant les investisseurs plus nerveux et le marché moins facilement lisibles.

L’expérience montre que l’assouplissement des sanctions a, au moins à court terme, un impact négatif sur le prix provoquant une baisse des cours comme on n’a pu l’observer lors du relâchement des sanctions contre l’Iran en 2016. Téhéran a pu vendre son pétrole plus facilement et se débarrasser d’importants stocks de pétrole entreposés dans des bateaux.

Des stratégies non durables

En conclusion, l’histoire du pétrole, comme toutes ressources stratégiques, est indissociable des sanctions et embargos. Si dans un premier temps, la rareté de la ressource a mené des pays à priver les acheteurs de pétrole provoquant une flambée des cours de l’or noir, depuis un demi-siècle nous observons le cheminement inverse avec des pays consommateurs qui sanctionnent les pays producteurs. Les conséquences sur le marché sont un accroissement de la volatilité des cours et une distorsion des écarts de prix entre produits énergétiques. L’impact durable sur les prix est beaucoup plus dur à évaluer puisqu’interviennent de nombreuses variables comme la baisse structurelle de la production des pays sanctionnés ou bien la décote du pétrole sous sanction qui rend difficile la mesure exacte de l’impact. L’expérience a montré qu’un relâchement des sanctions avait au moins à un court terme un effet dépressif sur les cours de l’or noir. Enfin, plus les sanctions touchent des acteurs importants du marché moins ces dernières semblent pouvoir être tenables dans le temps, puisque le pouvoir de marché des acteurs sanctionnés grandi avec leur taille, ceci interroge ainsi sur la crédibilité et la soutenabilité de ces régimes de sanctions.